[p. 395]

MDXXVI

Lettres de don à Louis, seigneur de Belleville, de tout le droit de traite appartenant au roi sur le port de Cosnac (Saint-Thomas-de-Conac), en compensation d’une partie de ce qui lui était dû à cause de la cession par lui faite à Louis XI des ville, château, baronnie, terre et seigneurie de Montaigu.

  • B AN JJ. 194, n° 371, fol. 208 v°
  • a P. Guérin, Archives historiques du Poitou, 38, p. 395-400
D'après a.

Loys, par la grace de Dieu roy de France. Savoir faisons à tous, presens et avenir, comme puis naguères nostre ame et feal cousin, conseiller et chambellan, Loys seigneur de Belleville, nous ait baillé et laissé, pour nous et noz successeurs perpetuellement et à tous jours, les ville, chastel, baronnie, terre et seigneurie de Montagu en Poictou1, avec ses appartenances, appendances et deppendances [p. 396]quelxconques, moyennant et parmy ce que, pour et en recompense de ce, nous lui ayons, entre autres [p. 397] choses, promis et accordé lui donner, bailler, ceder, quicter, transporter et delaisser, pour lui, ses hoirs et [p. 398] ayans cause à tousjours mès, nostre droit de traicte que avons acoustumé d’avoir, prandre, cueillir et lever au port de Caunac2, et de les en faire joir paisiblement ; pour quoy nous, ces choses considerées, voulans acomplir nostre dicte promesse, ainsi que raison est, avons pour ces causes, de nostre certaine science, grace especial, plaine puissance et auctorité royal, donné, cedé, quicté, transporté et delaissé, donnons, cedons, quictons, transportons et delaissons, par ces presentes, à nostredit cousin, le seigneur de Belleville, pour lui, ses hoirs, successeurs et ayans cause perpetuelment et à tousjours, par manière et pour partie de sa recompense desdites ville, chastel, baronnie, terre et seigneurie de Montagu, qu’il nous a naguères baillées et delaissées, comme dit est, nostre dit droit de traicte que avons acoustumé d’avoir, prandre, [p. 399] cueillir et lever audit port de Caunac, avec toutes ses appartenances, appendences et deppendences quelxconques, sans aucune chose en reserver à nous ne à noz successeurs, pour icellui droit de traicte avoir, tenir et exploicter et en joir et user par nostre dit cousin le seigneur de Belleville, sesdiz hoirs, successeurs et ayans cause doresenavant perpetuelment et à tousjours, comme dit est, et autrement en faire et disposer à leur bon plaisir et volenté, comme de leur propre chose et heritage, en faisant et paiant les droiz et devoirs anciens et acoustumez où et ainsi qu’il appartiendra. Si donnons en mandement, par cesdictes presentes, à noz amez et feaulx conseillers les gens de nostre court de Parlement, de noz Comptes et tresoriers à Paris, au seneschal de Xaintonge et à tous noz autres justiciers et officiers, ou à leurs lieuxtenans, presens et avenir, et à chacun d’eulx, si comme à lui appartiendra, que de noz presens don, cession, quictance et transport et delaissement ilz facent, seuffrent et laissent nostredit cousin, le sire de Belleville et sesdiz hoirs, successeurs et ayans cause joir et user plainement et paisiblement, en lui baillant ou faisant bailler et delivrer, ou à son procureur ou commis quant à ce, la possession reelle et joyssance planière dudit droit de traicte et ses deppendances, sans lui faire, mettre ou donner, ne souffrir estre fait, mis ou donné aucun destourbier ou empeschement au contraire, et ces presentes facent lire, publier et enregistrer par tous les lieux où mestier sera. Car ainsi nous plaist il estre fait, nonobstant que ledit droit de traicte soit de nostre ancien dommaine, que d’icellui ne doyons aucune chose aliener ne transporter, que la valleur d’icelluy ne soit ycy aucunement declarée ne speciffiée, que d’icelle valleur ne soit levée descharge par le changeur de nostre tresor, et quelxconques ordonnances, mandemens ou deffences à ce contraires. Et afin que ce soit chose ferme, etc., Sauf, etc. Donné à Sablé, ou moys [p. 400]d’aoust l’an de grace mil cccc. soixante treize, et de nostre règne le treizeiesme.

Ainsi signé : Loys. — Par le roy, Tilhart. Visa.


1 Louis de Belleville, seigneur de Montaigu, chambellan du roi, était l’aîné de cinq frères et une sœur, enfants de Jean III Harpedenne, dit de Belleville, sur lequel voy. nos t. VIII et X (Arch. hist., t. XXIX, p. 45 ; XXXV, p. 367), et de Marguerite de Valois, fille naturelle du roi Charles VI et d’Odette de Champdivers, la petite reine. Il avait épousé lui-même Marguerite de Culant, fille de Charles, grand-maître de France, dont il laissa quatre enfants, un fils, Louis II, qui rentra en possession de Montaigu en 1492, et trois filles, Catherine, mariée à Philippe de Cousdun, sr de Migré, Renée et Marguerite, nommés dans des lettres patentes de mai 1474, dont on trouvera le texte plus loin, à leur date, et dans un acte de vente du 16 juin 1478. (Bibl. nat., ms. fr. 20647, pièces orig., vol. 279, n° 18.) Louis Ier de Belleville mourut après le 26 décembre 1473 et avant la fin d’avril 1474. Le 14 novembre 1473, Louis XI lui fit don, par lettres données à la Cour-Dieu, des fruits, revenus et émoluments des ville, terre et seigneurie de Montaigu jusqu’à cette date ; il y est qualifié chevalier, chambellan du roi, naguère seigneur de Montaigu en Poitou. On trouvera plus loin dans ce volume des lettres patentes datées de Senlis, au mois de mai 1474, portant cession par le roi à Marguerite de Culant, veuve de Louis de Belleville, des château, châtellenie, terre et seigneurie de Montmorillon, en échange du comté de Dreux promis à son feu mari. (JJ. 204, n° 73, fol. 47.) Aux renseignements donnés sur ce personnage en différents endroits de notre précédent volume (p. 367, note, 407, note, 454, note, 456, note) nous en ajouterons quelques autres. Par un arrêt de la Cour des Aides, dont nous n’avons pas retrouvé la date, la terre de Montaigu avait été saisie et mise en la main du roi, à la requête de Mathieu Beauvarlet, receveur général des finances d’outre-Seine et Yonne, pour une somme de 700 livres qui lui était due par Jean III de Belleville, et trois commissaires furent nommés pour en administrer les revenus, Pierre Raynart, Pierre Herbertin et Pierre Guerry. Ceux-ci, n’ayant pas rendu leurs comptes, furent l’objet de poursuites de la part de M. Beauvarlet, après le décès du père de Louis de Belleville, ce dernier étant devenu seigneur de Montaigu. Assignés à comparaître devant la Cour des Aides, dont ils tenaient leur délégation, ils firent défaut et furent condamnés à payer les 700 livres et tous les dépens. (Arrêts des 6 juillet 1468 et 3 février 1469 ; Arch. nat., Z1a 68, à ces dates.) Le 13 mai 1471, Louis de Belleville était appelant au Parlement de Bordeaux, provisoirement installé à Poitiers, contre Louis de Beaumont, sr de la Forêt, qui avait fait saisir et mettre en criée quelques-uns de ses héritages et des biens appartenant à sa sœur Marie, veuve de Bertrand Larchevêque, seigneur de Soubise, en payement d’une somme à laquelle ils avaient été condamnés envers lui, par sentence du sénéchal de Poitou. (X1a 4812, fol. 145 v°.) Treize ans plus tard, sa veuve, Marguerite de Culant, et deux de ses frères, Antoine et Gilles de Belleville, étaient encore en procès contre ledit de Beaumont ou ses ayants cause au sujet des criées des terres de la Lande et de Saint-Hilaire-le-Vouhis. (Acte de février 1484, X1a 4825, fol. 140 v°.) Citons encore deux quittances de Louis de Belleville, chevalier, l’une du 9 avril 1471 n.s., l’autre du 15 mai 1478, chacune de 800 livres, montant de sa pension d’une année. Louis XI avait porté cette pension à 1.200 livres pour l’année 1474. Ce fut sa veuve qui en bénéficia ; elle en donna quittance, pour elle et au nom de ses enfants mineurs, le 4 juin 1475. (Bibl. nat., ms., pièces orig., vol. 279, nos 14, 15 et 16.) Le n° 17 du même recueil est un mandement du roi au sénéchal de Poitou, donné à (blanc), le jour de (blanc) 1475, lui ordonnant de faire jouir le chapitre et l’église collégiale de Saint-Maurice de Montaigu de la terre et seigneurie de Vendrennes, que feu Jean de Belleville, père de Louis, leur avait léguée par son testament, en même temps qu’il fondait ladite église. Au mépris de cette largesse, Marguerite de Culant, à la mort de son mari, comme ayant le bail de ses enfants mineurs, s’était emparée desdits château, terre et seigneurie, et prétendait les remettre en sa possession.

Louis XI, qui à plusieurs reprises avait eu à se venger des intrigues de François II, duc de Bretagne, avec Charles le Téméraire, ou à repousser ses agressions, regrettait de ne point posséder en propre quelque bonne place forte sur la frontière de Bretagne. Montaigu, à ce point de vue, méritait d’être l’objet de ses préoccupations. Louis de Belleville, seigneur du lieu, était fidèle, et le roi lui ayant demandé, le 14 août 1467, l’engagement de garder loyalement cette place à son service contre le duc, il n’hésita pas à en prêter le serment (Arch. nat., J. 183, n° 154) ; il donna du reste une preuve de cette fidélité en repoussant trois mois plus tard les Bretons qui étaient venus assaillir Montaigu et en leur donnant la chasse jusqu’à Clisson. (Dupuy, Hist. de la réunion de la Bretagne à la France, t. Ier, p. 194.) Malgré tout, il parut préférable au roi de se rendre acquéreur de la place et il traita de cette affaire avec Louis de Belleville, puis avec sa veuve et ses enfants. L’importance des concessions qu’il leur fit tout d’abord en échange indique assez le haut intérêt qu’il attachait à cette possession et combien il était pressé de mettre son projet à exécution. Le 1er janvier 1473, peu de temps après avoir signé avec François II la prolongation de trêve pour un an, il avait visité Montaigu (Dom Lobineau, Hist. de Bretagne, t. Ier, p. 720), et il ne tarda pas à entamer les pourparlers. Le 28 juillet, à Montsoreau, le sr de Belleville s’engagea verbalement à céder Montaigu au roi en toute propriété, moyennant des compensations à débattre ; le 1er août, il passa procuration, datée dudit Montaigu, à Marguerite de Culant, et celle-ci, quatre jours après, signa avec Louis XI à Sablé (4 août 1473) le traité de cession définitive. En échange de Montaigu, le roi abandonnait tout le comté de Dreux, et, comme il ne pouvait en disposer tout de suite, en attendant, il baillait en gage au sr de Belleville le comté d’Évreux et la terre et seigneurie de Montmorillon. Louis avait quatre frères, Jean, Antoine, Jacques et Gilles, et une sœur, la dame de Soubise, qui tous prétendaient avoir droit au dédommagement, « comme ayant chacun une part sur la succession de Belleville-Montaigu ». Louis XI ne chicana pas ; il leur promit tout ce qu’ils demandèrent. Le sr de Belleville voulut se réserver quelques paroisses de la châtellenie de Montaigu, comme les Brouzils, Chavagnes, etc., et cette concession lui fut accordée sans difficulté. (Vidimus de Robert d’Estouteville, garde de la Prévôté de Paris, Arch. nat., J. 183, n° 159 ; voy. aussi ci-dessous, n° MDXXXV.) Ces conventions furent ratifiées par Louis de Belleville, le 26 décembre 1473, dans un acte notarié passé devant le vicomte d’Évreux, dans lequel il s’intitule seigneur de Belleville, comte d’Évreux, seigneur de Saintes, de Montmorillon, de Cosnac et de la Chaize-le-Vicomte, conseiller et chambellan du roi ; cet acte est revêtu de son sceau. (Arch. nat., P. 13731, cote 2208.) Le mois précédent, 12 novembre 1473, il avait donné quittance de 600 livres, sur les 10.000 livres que le roi lui avait promises en outre pour le récompenser de la cession de Montaigu. (Id., J. 183, n° 157.)

L’abandon du droit de traite sur le port de Cosnac, dont le texte est publié ici, constitue une nouvelle preuve du vif désir de Louis XI de terminer cette affaire coûte que coûte. Elle lui tenait tellement à cœur que, sans attendre la signature du traité, dès le 2 août, de Sablé, il écrivait au sire de Bressuire, lui annonçant qu’il venait de nommer gouverneur de Montaigu le sr de Blanchefort, et le pressant d’envoyer dans la place le plus diligemment possible une garnison et « trente ou quarante gentilshommes bien seurs, et qu’ilz y soient samedi prochain, bien habillez et en bon point, etc. ». (J. Vaësen, Lettres de Louis XI, t. V, p. 163.) La mort inattendue de Louis de Belleville ne changea rien aux projets de Louis XI de transformer Montaigu en une grande place de guerre, pour protéger la frontière de Bretagne ; mais elle détermina des changements dans les compensations offertes à la veuve, aux enfants et aux frères du défunt, lesquelles en définitive furent beaucoup moins avantageuses pour ceux-ci que les conventions du traité de Sablé. Les négociations se poursuivirent pendant plusieurs années et donnèrent lieu à deux nouveaux traités, l’un confirmé par lettres patentes datées de Senlis, mai 1474, dont on trouvera le texte plus loin (n° MDXXXIV) et l’autre, où il n’est plus question que de la terre et seigneurie de Montmorillon à attribuer à la veuve et aux enfants de Louis de Belleville, fut conclu au mois d’avril 1479. Notre prochain volume contiendra plusieurs actes relatifs à cette affaire, nous en signalerons d’autres conservés dans les layettes du Trésor des chartes, au Parlement, à la Chambre des comptes, etc., et nous en profiterons pour faire, dans la prochaine introduction, une étude sur cette période de l’histoire de Montaigu.

2 Sic. Conac, d’après la manchette de l’époque ; c’est aujourd’hui Saint-Thomas-de-Conac, petit port sur la Gironde.