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MDXIV

Rémission donnée en faveur de Michau Moulineau, couturier, du bourg de Notre-Dame de Celles, qui avait tué un nommé Jourdain, parce que celui-ci, dans une dispute, lui avait dit qu’il serait pendu comme son père.

  • B AN JJ. 197, n° 302, fol. 164 v°
  • a P. Guérin, Archives historiques du Poitou, 38, p. 340-343
D'après a.

Loys, par la grace de Dieu roy de France. Savoir faisons à tous, presens et avenir, nous avoir receue l’umble supplicacion de Michau Moullineau, pouvre homme, cousturier du bourg et parroisse de Nostre Dame de Selles en Poictou, aagé de vingt quatre ans ou environ, chargé de jeune famme et d’un petit enffant, contenant que le jour de saint Thomas devant la feste de Noël derrenier passé, ainsi que ledit suppliant venoit de la ville de Melle audit Selles, arriva en l’ostel de Jehan Callart où il trouva ung jeune homme qui se disoit clerc de Jehan Genevoys1, homme de pratique, soy complaingnant, disant que l’on avoit prins son chappeau et sa cornète en l’ostel de Jehan Lespicier, et ne les povoit recouvrer, et sur ce point se partit icellui clerc et s’en alla. Et incontinant s’en alla ledit Michau suppliant chez ledit Espicier où il trouva plusieurs compaignons, et ainsi qu’ilz descendoient d’une chambre, leur dist ledit suppliant telles parolles ou semblables en substance : « Veez là le clerc du juge qui s’en va sans cornète et sans chappeau, et dit qu’il l’a perdu [p. 341] ceans. Il ne fait pas bon se jouer à lui ; s’il y a personne qui l’ait prins, si le lui rende. » Et lors ung nommé Jourdain, l’un desdiz compaignons, dist : « Je ne sçay qui l’a eu ; je ne l’ay pas eu ». Et ledit suppliant dist : « Je ne le dy pas ». A quoy ledit Jourdain dist audit suppliant telles parolles : « De quoy te mesles tu ? » Et ledit suppliant respondit : « Je ne vous le dy pas par mal ». Et après eurent plusieurs parolles rigoreuses entre eulx, entre lesquelles ledit Jourdain dist audit suppliant telles parolles : « Tu seras pendu comme ton père ». Adonc, ledit suppliant s’efforça de prandre une espée sur ung lit et frapper ledit Jourdain, dont il fut reffraint et gardé ; puis print ledit suppliant dedens le foyer ung baston ferré de quoy l’on atize le feu, et poursuyvit ledit Jourdain jusques au fouyer dudit Jehan Lespicier, et ainsi que icellui suppliant cuidoit frapper ledit Jourdain, le coup cheut sur le bras du varlet dudit Espicier ; et atant furent deppartiz, et s’en alla ledit Jourdain chez son maistre, nommé Anthoine Doulx, et illec print ung grant baston, menassant ledit suppliant qui s’en alloit en son hostel. Lequel suppliant saillit et en icellui son hostel print une javeline et vint audit Jourdain, lequel monta en ung plancher où il fut laissé par ledit suppliant qui s’en retourna. Mais lui dist ledit Jourdain derechef et par plusieurs foiz qu’il seroit pendu comme son père. Et à ung certain autre jour, environ deux ou trois jours après, survint ledit Jourdain en l’ostel où demeure Jehan Moullineau, où estoit ledit suppliant, à qui porcion dudit hostel appartient, et audit Jourdain dist telles parolles : « Que vien tu querir cy ? Va t’en ». Et lors ledit Jourdain lui respondy : « Tes toy ! ta maison est bien engaigée et si hantes en tel lieu où les jambes te feront bien mestier ». Et alors ledit suppliant print ung tison de feu et s’efforça d’en frapper ledit Jourdain, lequel s’en alla. Et le jeudi vigille de la Circon[ci]sion, advint que ledit suppliant se trouva en l’ostel de [p. 342] Jehan Pallain2, où estoient plusieurs compaignons faisant grant chère pour l’onneur de la feste que l’en appelle communement Aguillaneu, et bien tost survint une autre compaignie de gens qui venoient dançans, qui entra en icellui hostel et eulx tous assemblez chantèrent, beurent et dancèrent, excepté ledit suppliant qui point ne dança, mais s’efforça de jouer à saillir. Et illec estoit ledit Jourdain et ainsi qu’ilz se departoient, descendit d’un degré ou eschelle ledit suppliant, le second ou tiers, et tantost après descendit ledit Jourdain ; et ainsi qu’il sortoit dehors, ledit suppliant, recors de ce que ledit Jourdain lui avoit dit qu’il seroit pendu comme son père, tira ung cousteau ou badelaire qu’il portoit et d’un coup de taille le frappa en la teste, au travers de la joue et environ l’oreille, dont il cheut à terre, et d’un autre coup le frappa par les deux jarretz ; au moyen desquelx coups ledit Jourdain, une heure après ou environ, alla de vie à trespas, sans parler. Pour occasion duquel cas, ledit suppliant, doubtant rigueur de justice, s’est absenté du païs, ouquel ne ailleurs en nostre royaume il n’oseroit jamais seurement converser, reppairer ne demourer, se noz grace et misericorde ne lui estoient sur ce imparties, en nous humblement requerant iceulx. Pour quoy nous, ces choses considerées, voulans misericorde prefferer à rigueur de justice, audit Michau Moullineau suppliant avons le fait et cas dessus declairé quicté, remis et pardonné, etc., satisfaction [p. 343] faicte à partie civillement tant seullement, se faicte n’est, etc. Si donnons en mandement, par ces presentes, au seneschal de Poictou et à tous noz autres justiciers, etc., que de noz presens grace, quictance, remission et pardon ilz facent, seuffrent et laissent ledit suppliant joir et user plainement et paisiblement, etc. Donné à Vandrines en Poictou, ou mois de janvier l’an de grace mil cccc. soixante et douze, et de nostre règne le douzeiesme.

Ainsi signé : Par le roy, l’evesque d’Avranches3, le sire de Gaucourt4 et autres presens. Tilhart. — Visa. Contentor. J. Duban.


1 Jean Genevois est qualifié praticien en cour laie, demeurant à Melle, dans des lettres de janvier 1465, portant que la rémission qui lui avait été accordée précédemment comprendrait, outre l’homicide de Guillaume Bastard, plusieurs autres délits antérieurs. (Ci-dessus, n° MCCCXCIX, p. 3-5.)

2 Un Jean Pallain (on ne saurait affirmer qu’il s’agit du même personnage), Louis Pallain et Marguerite de La Rivière avaient été poursuivis pour « certains excès et attemptaz par eux commis et perpetrez », par Josselin Du Bois, chevalier, sr de Chabanne, comme ayant droit de Catherine Maussabré, et condamnés par le sénéchal de Poitou, ils avaient interjeté appel au Parlement. Le 20 février 1483, sur requête de Josselin Du Bois, la cour défendit aux appelants de ne rien entreprendre ni innover au préjudice de l’affaire pendante et de ne point tenir ledit Josselin en procès ailleurs qu’en ladite cour, sous peine de perdre leur cause et de payer cent marcs d’argent d’amende. Ils furent, à la même date, ajournés à comparaître en personne pour répondre au procureur général à toutes fins et à Josselin Du Bois, à fin civile seulement. (Arch. nat., X2a 48, à la date.)

3 Jean Bouchard ou Bochard, évêque d’Avranches du 28 avril 1453 au 28 novembre 1484. (Ci-dessus, p. 326, note.)

4 Charles de Gaucourt, chevalier, seigneur de Châteaubrun en Berry, fils de Raoul VI et de Jeanne de Preuilly, était membre du Conseil royal depuis l’année 1455. Louis XI le fit chevalier à Reims, le jour même de son sacre, et, après la fuite de Charles, son frère, en Bretagne, il le chargea de maintenir le Berry dans son obéissance. Le 27 octobre 1465, le roi lui céda la seigneurie de Vierzon, en échange des capitaineries de Chinon, de Rouen et de Gisors, et un mois plus tard il ajouta à ce don une pension de 4000 livres. Le sire de Gaucourt mourut à Paris en 1482 et fut enterré dans l’église de Saint-Jean-en-Grève. (Le P. Anselme, Hist. généal., t. VIII, p. 371 ; J. Vaësen, Lettres de Louis XI, t. V, p. 24.)