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MCCCCLXV

Rémission octroyée à Bernard de La Touche, archer de l’ordonnance de la compagnie de Louis de Crussol, sénéchal de Poitou, qui, à la suite d’une rixe avec Jean Salmon, lieutenant du château d’Argenton, celui-ci étant venu l’assaillir à la tête d’une troupe armée, avait frappé mortellement l’un de ses hommes.

  • B AN JJ. 196, n° 138, fol. 77 v°
  • a P. Guérin, Archives historiques du Poitou, 38, p. 179-183
D'après a.

Loys, par la grace de Dieu roy de France. Savoir faisons à tous, presens et avenir, nous avoir receue l’umble supplicacion de Bernard de La Tousche, archier de nostre ordonnance soubz la charge et compaignie de nostre amé et feal chevalier, conseiller et chambellan, le sire de Crussol, seneschal de Poictou1, contenant que, le viiie jour de juillet derrenier passé, à l’occasion de ce que Jehan Salmon, lieutenant du chasteau d’Argenton en Poictou, fut [p. 180] adverty que deux enfans de ladicte ville d’Argenton, peschoient en la rivière dudit lieu à la lingne, lui, acompaigné du portier dudit chasteau, d’un sien serviteur ou autre, nommé Jehan Mareschal, alèrent à ladicte rivière pour prendre au corps et mettre en prison lesdiz deux enfans, l’un desquelz enfans, pour cuider estre en seurté s’en vint retraire au logeis de Loys d’Escoreaulx, dit Finet2, homme d’armes de nostre ordonnance soubz la charge d’icellui nostre dit seneschal de Poictou. Et ledit enfant entré oudit logeis, vint ledit Salmon qui le pour-suyvoit et dist audit Finet, homme d’armes : « Baillez moy cest homme qui est entré en vostre logeis, qui a pesché à la rivière de Monseigneur, ou autrement je l’iray querir en vostre maison. » Et ledit Finet respondi : « Je ne l’ay pas fait venir, ne aussi je ne le chasseray pas dehors. » Et à tant s’en alèrent ledit Salmon et ses gens. Et peu de temps après, ledit suppliant se trouva devant le logeis dudit homme d’armes où il trouva lesdiz deux compaignons qui avaient pesché et leur commença à dire tout en riant : « Enfans, avez-vous du poisson ? » et après les convya à disner avec luy et ung nommé Guillaume de La Broce, seigneur desdiz enfans, et ung presbtre nommé Jehan Bertonneau. Et après qu’ilz eurent disné, chacun s’en alla à son affaire, et ledit suppliant s’en ala à la halle de ladicte ville, pour soy esbatre et jouer, et de là s’en retourna ou logeis dudit Finet, homme d’armes, où il trouva deux hommes, lesquelz lui tendirent à boire. Et après ung nommé le sr de l’Almaire et ledit supliant jouèrent aux tables3, et ainsi qu’ilz jouoient, ledit Finet [p. 181] partit de son logeis et s’en ala en la halle de ladicte ville où il trouva ledit Salmon ; lesquelz s’entreprindrent de parolles et s’entredirent de grans villenies l’un à l’autre, tellement que le gentilhomme avecques lequel ledit supliant jouoit aux tables dist : « Bernard, levez-vous et alez à ce debat », ce que ledit supliant fist et oy plusieurs parolles et injures que ledit Salmon dist audit Finet, et dist audit Salmon : « Vous estes ung très meschant homme de dire telles parolles et injures à cest homme d’armes. » Et ledit Salmon lui demanda : « De quoy vous meslez vous ? » Et lors ledit suppliant lui respondi : « Si faiz et si vous m’en dictes ung mot de desplaisir, je vous monstreray comment il m’en desplaira. » Et incontinant ledit Salmon dist audit supliant : « Alez vous chier ! Vous n’oseriez. » Sur quoy ledit supliant tira sa dague et ledit Salmon cuida tirer la sienne ; mais ledit supliant y eut plus tost la main que luy et la tint si bien que en se demenant il rompit sa sainture et, de la sescousse de ladicte sainture, cheut à terre. Et quant il fut cheu, ledit supliant ne le bouta ne toucha, mais lui dist telles parolles : « Si n’estoit l’onneur de madame de Thouars, qui est fille de ton maistre4, je te copperoys voulentiers la gorge, » combien [p. 182] qu’il n’avoit voulenté de lui malfaire, ce qu’il eust bien peu faire, car il n’y avoit homme qui l’en gardast. Et après que icellui Salmon fut levé, s’en courut en l’ostel de la chamberie pour cuider trouver ung baston et venir courir sus audit supliant, le quel ne partit point de là, tant qu’il vit saillir hors dudit hostel ledit Salmon qui n’avoit point de baston et print son chemin pour s’en aler au chasteau, en disant audit supliant : « Faulx traictre, villain, je t’auray aujourd’uy, » et ledit supliant print une petite pierre et la lenssa après luy ; de laquelle il ne le frappa point ne n’avoit voulenté de le frapper. Et ce fait, ledit supliant s’en ala au logeis dudit Finet et emporta la dague dudit Salmon en sa main, laquelle il gecta en l’ostel par la fenestre, en disant à ceulx qui estoient dedans qu’elle fust rendue audit Salmon, afin qu’il s’en deffendist mieulx unes autres foiz. Et commença à dire ledit Finet audit supliant : « A, Bernard, Bernard, ilz vont faire une armée au chasteau pour nous venir courir sus. » Et adonc ledit supliant dist à son varlet qu’il alast querir sa javeline et son espée et apportast le voulge dudit homme d’armes. Et si tost qu’il fut venu et arrivé, ledit Salmon et son armée vindrent devant le logeis dudit Finet pour l’assaillir, lui, ses gens et ledit supliant qui y estoit ; et eulx arrivez, ledit Salmon dist : « Saillez, villains, saillez ! Veés moy cy, homme pour homme ! » et le dist par plusieurs foiz. Et le dit supliant demanda audit homme d’armes : « Comment nous lairons nous en ce point oultrager ! » Et ledit Finet dist : « Ne sortons point, mais deffendons nostre porte. » Et ledit supliant dist : « Puisqu’ilz nous sont venuz assaillir, je sortiray, » et sortit franchement, sa javeline dedans sa main et son espée au costé saincte, et en saillant trouva ung nommé Jehan Douze, du chasteau, auquel il ne demanda riens et s’en ala aux autres qui l’estoient venuz assaillir, et vint à eulx et du premier coup vint bailler au portier du chasteau, qui illec estoit, un [p. 183] coup par le hault de la poictrine, dont ne le blessa point ; mais ung nommé Jehan Mareschal vint contre ledit supliant, lui cuidant donner d’un voulge par le cousté, et lors ledit supliant advisa qu’il le vouloit enclourre et recula ung pas en arrière, en disant troys foiz : « Ribault, laisse ton voulge ou je te navreray », dont il ne voult riens faire, ainçois empressoit tousjours ledit supliant, lequel ne le vouloit pas tuer ne frapper. Mais quant il vit qu’il ne vouloit pas cesser et qu’il se trouva empressé, doubtant le danger de sa personne, lui donna ung coup en la cuisse, dont ledit Mareschal est alé de vie à trespas. A l’occasion duquel cas ledit supliant, doubtant rigueur de justice, s’est absenté du pays et n’y oseroit jamais retourner, converser ne reppairer, se noz grace et misericorde ne lui estoient sur ce imparties, en nous humblement requerant que, attendu que en tous ses autres faiz, il a tousjours esté de bonne vie, renommée et honneste conversacion, etc. et que dès son jeune aage il s’est employé en nostre service, il nous plaise lui impartir nos dictes grace et misericorde. Pourquoy nous, etc., audit supliant, etc., en mettant au neant, etc., satisfaction, etc. Au seneschal de Poictou et à tous, etc. Donné à Tours, ou moys de juillet l’an de grace mil cccc. soixante neuf et de nostre règne le huitiesme.

Ainsi signé : Par le roy, à la relacion du Conseil. J. Dameysin. — Visa. Contentor. Rolant.


1 Bernard de La Touche est encore nommé parmi les archers de la compagnie de Louis de Crussol, sénéchal de Poitou, dont la montre fut reçue à Poitiers, le 5 mai 1470. Au nombre des hommes d’armes de la même compagnie on trouve aussi un Pierre de La Touche, et un autre archer porte les mêmes nom et prénom. (Arch. hist. du Poitou, t. II, p. 304, 306.) Bernard de La Touche figure parmi les hommes d’armes du Châtelleraudais sur le rôle de l’arrière-ban convoqué en 1491 par Jacques de Beaumont, sire de Bressuire, sénéchal de Poitou, et dont la montre fut faite à Poitiers, le 26 novembre, par-devant Guillaume Arembert, procureur du roi en Poitou (Roolles des bans et arrière-bans de la province de Poitou, etc. Réimpr. Nantes, 1883, in-4°, p. 46).

2 Sur l’état des hommes d’armes de la compagnie du sire de Crussol, dressé pour la montre du 5 mai 1470, ce personnage n’est désigné que par son sobriquet « Fynet ». (Arch. hist. du Poitou, t. II, p. 304.)

3 Le tablier en usage pour le jeu de trictrac était divisé en quatre parties qu’on appelait tables, et par extension ce mot au pluriel est employé le plus souvent pour le trictrac même. (Fr. Godefroy, Dict. de l’anc. langue française.)

4 Il s’agit de Nicole ou Colette de Chambes, seconde femme de Louis d’Amboise, vicomte de Thouars, prince de Talmont, qui l’avait épousée par contrat du 5 mai 1465. Elle était fille de Jean II de Chambes, sr de Montsoreau et d’Argenton, à cause de sa femme, capitaine châtelain de la Rochelle, Niort, Talmont, etc., et de Jeanne Chabot, fille elle-même de Thibaut IX, sr de la Grève, et de Brunissende d’Argenton. Le frère de celle-ci, Antoine, seigneur d’Argenton, étant décédé en 1461, sans postérité, Jeanne Chabot hérita de ladite terre et seigneurie, dont son mari désormais porta le titre. Ensuite elle passa à Hélène de Chambes, leur fille cadette, qui épousa, comme l’on sait, Philippe de Commines. Quant à Colette, devenue veuve du vicomte de Thouars, le 28 février 1470, elle ne put obtenir de Louis XI, qui s’était emparé de la succession de Thouars, la restitution de sa dot et, mécontente de ses procédés, elle se lia avec Charles duc de Guyenne, dont elle devint la maîtresse ; elle en eut deux filles : Jeanne, religieuse, et Anne, femme de François de Volvire, sr de Ruffec, et mourut le 14 décembre 1471. (Cf. A. Ledru, Louis XI et Colette de Chambes. Angers, 1882, in-8°.)