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MCCCCLXXIV

Rémission accordée par Louis XI, à l’occasion de son premier passage par la terre de Benet, à Jeanne Robin, détenue prisonnière au château dudit lieu parce que, à l’instigation de sa mère et avec la complicité de celle-ci et de sa belle-sœur, elle avait tué René Colinet, son mari.

  • B AN JJ. 197, n° 104, fol. 62 v°
  • a P. Guérin, Archives historiques du Poitou, 38, p. 209-213
D'après a.

Loys, par la grace de Dieu roy de France. Savoir faisons à tous, presens et avenir, nous avoir receue l’umble supplicacion des parens et amys charnelz de Jehanne Robine, jeune femme, grosse d’anffant, de la parroisse de Bennenz1, contenant que, troys ans a ou environ que ladite Jehanne povoit avoir environ seze ans, vint demorer en l’ostel de Raymond Robin, père de ladite Jehanne, Regné Colinet, pour le servir et besongner de teixier en linge, durant lequel temps ledit Raymond Robin et Michelle Pironne, père et mère de ladite Jehanne, traictèrent le mariage d’elle et dudit Regné Colinet, oultre le gré et volunté d’icelle Jehanne. Lequel mariage fait et acompli, les diz Colinet et Jehanne, sa femme, demourèrent avecques ledit Remond et Michelle Pironne en communité par l’espace d’un an ou plus ; mais depuis, pour les grans haynes que conceurent ledit Regné Colinet et ladite Michelle Pironne, mère d’icelle Jehanne, se despartirent et alèrent demourer au près d’eulx ou [p. 210] bourc dudit Bennez, où ilz ont depuis demouré par l’espace d’un an ou environ ; durant lequel ledit Colinet, mari de ladite Jehanne, lui tenoit mauvais termes et converssoit souventes fois ès tavernes et lieux publicques. Et ladite mère d’icelle Jehanne, mal contente du gouvernement dudit Regné et deliberée de s’en venger, dist à ladite Jehanne qu’elle lui vouloit faire des poissons (sic), lesquelles elle feroit boirre à sondit mary. Laquelle Jehanne respondit à sadite mère que elle n’en feroit riens ; et lors ladite Michelle Pironne lui dist de rechief que s’elle ne le faisoit, qu’elle la feroit mourir ; laquelle Jehanne, qui craignoit sa dite mère, pour la doubte d’elle et eviter à son grant malleffice, lui promist de faire tout ce qu’elle vouldroit. Laquelle Michelle Pironne, en perceverant en son mauvaiz courraige et propos, le mardi de Pasques derrenierement passées, print ung chat qu’elle tua et en porta la cervelle à ladite Jehanne, et lui dit qu’elle en fist mengier audit Regné en sa souppe ; laquelle Jehanne lui promist le faire, et incontinant qu’elle fut absentée de sadite mère, gecta ladite cervelle et n’en bailla point audit Regné. Et le landemain icelle Michelle, mère de ladite Jehanne, vint à elle et lui demanda si elle avait donné à son dit mary de ladite cervelle à menger ; laquelle, pour tous jours obeir à sadite mère et eviter à sa grant malice, respondit que oy. Laquelle Michelle dist que, veu que ledit Regné n’en estoit aucunement malade et que nulles poisons ne lui povoient nuyre, qu’elle s’en vengeroit en aucune [autre] manière. Et environ le xviiie jour d’avril derrenier passé, ung jour de mardi que les gens d’armes de la compaignie de nostre chier et amé cousin le grant seneschal de Normandie2 vindrent loger audit lieu de Bennez, le père et [p. 211] le frère de ladite Jehanne [estans] au chasteau dudit lieu, pour garder de leurs biens meubles qu’ilz y avoient retraiz, incontinent, ce jour devers le soir, que ledit Regné estoit couchié, vint ladite Michelle Pironne, mère de ladite Jehanne, qui lui demanda où estoit ledit Regné son mary, qui lui respondit qu’il estoit couchié en son lit où il dormoit. Laquelle Michelle, mère de ladite Jehanne, lui dist lors que ledit Regné, son mary, l’avoit vendue aux gens d’armes et aussi l’avoit menassé toute la journée qu’il la meneroit à Jube (sic), en disant de rechief à ladite Jehanne qu’il estoit force qu’elles le feissent mourir, et que jamais n’auroit repoux jusques à ce qu’elle seroit vengée. Et à ceste heure, ladite Jehanne qui est jeune et craignoit sadite mère, et aussi pour ce que sadite mère lui avoit dit que sa dite mère3 l’avoit vendue aux gens d’armes se accorda à estre à murdrir ledit Regné Colinet, son mary ; et appellèrent avec elles Guitère Desgrois4, femme de Jehan Robin, frère de ladite Jehanne, laquelle par force et menaces de ladite Michelle, sa dame, se consentit pareillement à estre audit murtre ; et allèrent lors toutes troys ensemble à l’ostel dudit Regné et de ladite Jehanne, en laquelle ilz trouvèrent ledit Regné dormant en son lit. Et lors ladite Jehanne prinst ung pilon de quoy on fait la saulce et en donna sur la teste dudit Regné, mès ne scet bonnement en quel lieu ; au moien duquel coup ledit Regné se escria, et incontinent ladite Michelle Pironne le print au braz tellement qu’il ne se peut deffendre, et à l’aide que firent [p. 212] lesdictes Jehanne et Guitière, qui tenoient les draps du lit, icelle Michelle ataignit et fist mourir ledit Regné Colinet. Pour l’occasion duquel cas, ladite Jehanne a esté constituée prisonnière ès prisons du chastel de Bennès5, èsquelles elle est encores detenue prisonnière en grant misère et pouvreté, en voye d’y miserablement finer ses jours, se noz grace et misericorde, etc., si comme lesdiz suplians dient, humblement requerant que, attendu que en tous ses autres faiz et affaires elle a esté de bonne vie, renommée et honeste conversacion, sans jamais avoir esté, etc., d’aucun autre villain cas, blasme ou reproche ; que en passant par la terre dudit Bennez, en justice de laquelle ladite Jehanne est prisonnière, comme dit est, en laquelle n’avons point encores passé depuis nostre advenement à la couronne, il nous plaise, etc. Pour quoy, etc., pour consideracion du fruit qui est entour icelle Jehanne, et aussi pour l’amour de Dieu nostre createur et de la glorieuse Vierge Marie, à icelle Jehanne Robine, à icelui nostre premier passage par ladite terre, avons quicté, remis et pardonné, etc., le fait et cas dessus dit, en quelque manière qu’il soit advenu, avec toute peine, etc., satisfacion faicte, etc. Si donnons en mandement, par ces mesmes presentes, au seneschal de Poictou et à tous noz autres justiciers, etc., que de noz presens grace, quictance et pardon ilz facent et laissent ladite Jehanne Robine joir et user plainement et paisiblement, etc., ains se son cors et ses biens, s’aucuns en a pour ce prins, saisiz, arrestez, etc., mettent ou facent mettre sans delay à pleine delivrance. Et affin que ce soit, etc. Sauf, etc. Donné à Senans6, ou moys de septembre l’an de grace [p. 213] mil cccc. soixante neuf, et de nostre règne le neufviesme.

Ainsi signé : Par le roy, l’admiral7 et autres presens. B. Meurin. — Visa. Contentor. J. Duban.


1 Sic pour Bennez ou Bennetz (Benet, dans la Vendée).

2 Jacques de Brézé, comte de Maulévrier, maréchal et grand sénéchal de Normandie, fils de Pierre II de Brézé (tué à Montlhéry, le 17 juillet 1465), et de Jeanne Crespin, dame du Bec-Crespin. Il avait épousé Charlotte, fille naturelle de Charles VII et d’Agnès Sorel ; l’ayant surprise en adultère avec Pierre de La Vergne, gentilhomme poitevin, son veneur, il les tua. Condamné à cent mille écus d’amende envers Louis XI, pour le paiement desquels il avait dû lui abandonner toutes ses terres, après la mort de celui-ci, il se pourvut au Parlement qui cassa le premier arrêt (1484). Jacques de Brezé mourut en 1494. (Voir Douet d’Arcq, Le procès criminel de Jacques de Brézé. Bibl. de l’École des Chartes, t. X, 1848-1849.)

3 Corr. : « sondit mary ».

4 Cf. les lettres de rémission accordées, le mois précédent, à cette complice de l’assassinat de René Colinet. (Ci-dessus, n° MCCCCLXVIII, p. 186.)

5 Le château de la seigneurie de Benet appartenait alors à Hardouin IX, baron de Maillé, seigneur de Rochecorbon, La Haye, etc., chambellan du roi, sénéchal de Saintonge, et à sa première femme, Antoinette de Chauvigny, vicomtesse de Brosse, morte le 20 février 1473.

6 La commanderie de Cenan, de l’ordre de Saint-Jean de Jérusalem.

7 Louis bâtard de Bourbon, comte de Roussillon, amiral de France, depuis l’année 1466 (cf. ci-dessus, p. 48, note 1).