1 Poncet de Rivière, chevalier, était seigneur de
                                    Château-Larcher en Poitou. (Voy. notre volume précédent, p. 104,
                                    note.) Il y a lieu de compléter ici, de préciser et même de
                                    rectifier certains renseignements donnés en cet endroit sur le
                                    rôle politique de ce personnage. La Chronique de Georges
                                    Chastellain raconte qu’il avait été page de
                                        Charles VII, que, lors de l’entrée de Louis XI à
                                    Reims, il fut chargé d’aller au devant de Philippe-le-Bon, duc
                                    de Bourgogne, et le « vint saluer emmy les champs à bannière
                                    close », et qu’après son sacre, le roi ayant ordonné six cents
                                    lances pour aller au pays de Liége, « y faire guerre et tous les
                                    maux et dommages que pourroient », afin de se venger du dessein
                                    qu’avaient eu autrefois les Liégeois de le livrer à son père, il
                                    mit à la tête de cette petite armée Poncet de Rivière avec
                                    Joachim Rouault et le sire de Crussol. Ce chroniqueur le
                                    qualifie de « gentil escuier et homme de grant bruit, lequel …
                                    estoit d’un troncq dont la fame avoit esté claire longuement ».
                                    (Kervyn de Lettenhove, Œuvres de Georges Chastellain.
                                    Bruxelles, in-8°, t. IV, 1864, p. 53 et 70. — A la première de
                                    ces références, l’éditeur, par suite d’une bizarre faute de
                                    lecture, le nomme Poncet d’Érime.) L’année suivante,
                                    pendant la campagne de Roussillon et de Catalogne, Amanieu
                                    d’Albret, sire d’Orval, l’un des chefs de l’expédition, étant
                                    mort, les deux mille hommes d’armes de sa compagnie, restés en
                                    Roussillon, commandés par son lieutenant, Poncet de Rivière,
                                    reçurent l’ordre de rejoindre les troupes qui opéraient en
                                    Catalogne et passèrent la frontière le 22 août 1462. Poncet
                                    entra dans Saragosse avec l’armée française, puis fut envoyé en
                                    ambassade au roi de Castille, pour conclure une trêve (janvier
                                    1463). Le biographe de Gaston IV, comte de Foix,
                                    Guillaume Leseur, qui rapporte ces événements, fait ce portrait
                                    de Poncet de Rivière : « Bon chief de guerre, bel et adroit
                                    gendarme, grant homme et puissant et de sa personne courageux et
                                    vaillant. » (Guill. Leseur, Hist. de Gaston IV, comte de
                                        Foix, édit. H. Courteault, pour la société de l’hist. de
                                    France, 2 vol. in-8°, 1893, 1896, t. II, p. 154, 188, 192 ; voy.
                                    aussi J. Calmette, Louis XI, Jean II et la révolte
                                        catalane. Toulouse et Paris, 1903, in-8°, p. 149, 155,
                                    160, 162, 405.) Notre personnage fut encore l’un des chefs de
                                    l’armée de Louis XI à Montlhéry, où il était à la tête des
                                    archers. (Commines, édit. de Mlle Dupont, t. I, p. 35.)
                                    Cependant il était entré en intelligence avec le comte de
                                    Charolais dès la fin de la ligue du Bien public, suivant
                                    l’auteur de la version interpolée de la Chronique
                                        scandaleuse. (Bibl. de l’École des Chartes,
                                    t. XVI, 1855, p. 419.) Privé, à cause de ces intrigues, du
                                    commandement de sa compagnie de cent lances, mais avec une
                                    indemnité de 2.500 livres (Quicherat, coll. des Doc. inédits,
                                        Mélanges hist., t. II, p. 469) et la charge de bailli
                                    de Montferrand (novembre 1465), il partit peu de temps après en
                                    pèlerinage à Jérusalem et à Sainte-Catherine du Mont-Sinaï
                                        (Journal de Jean de Roye, connu sous le nom de
                                        Chronique scandaleuse, édit. B. de Mandrot, t. I,
                                    p. 143-144), voyage auquel, sans doute, sa disgrâce ne fut pas
                                    étrangère.
On ne sait point exactement à quelle date
                                    Poncet de Rivière abandonna définitivement le service de Louis
                                    XI et se retira à la cour de Bourgogne. Jean Maupoint dit que ce
                                    fut au mois d’avril 1468. (Journal parisien, publ. par G.
                                    Fagniez, Mémoires de la Société de l’hist. de Paris,
                                    t. IV, p. 106.) Ce qui est certain, c’est que vers la mi-carême
                                    de cette année il était à Tours et qu’il prit part, quelques
                                    mois après, à la campagne de Charles le Téméraire contre
                                        Louis XI, dans l’armée bourguignonne. (Journal
                                        de Jean de Roye, t. I, p. 190, 212 ; Mémoires de
                                        Commines, t. I, p. 87, 88.) Il arriva à Péronne, ainsi
                                    que Pierre d’Urfé, au moment de l’entrevue du roi avec le duc de
                                    Bourgogne, et Commines rapporte que, pendant les pourparlers qui
                                    précédèrent le fameux traité, le duc requit Louis XI de
                                    consentir à y introduire un article en faveur de Du Lau, d’Urfé
                                    et de Poncet de Rivière, « et qu’il fust dit que leurs terres et
                                    estatz leur seroient renduz, comme ilz avoient avant la
                                    guerre ». Le roi ne s’en souciait nullement, et il répondit,
                                    avec son habileté coutumière, qu’il était prêt à accepter cette
                                    clause, si de son côté Charles voulait lui accorder la grâce du
                                    comte de Nevers et de M. de Croy. Il savait bien que le duc ne
                                    s’y résignerait pas, car il les haïssait profondément. En effet,
                                    cette proposition le rendit muet, et on en resta là.
                                        (Edit. de Mlle Dupont, t. I, p. 154, 199 ;
                                    t. III, p. 227, 229.) Il n’est donc pas juste de dire que les
                                    lettres d’abolition pour Poncet de Rivière et Pierre d’Urfé,
                                    dont nous publions ici le texte, leur furent octroyées à la
                                    prière du duc de Bourgogne, d’autant qu’à cette date d’août
                                    1470, Louis XI faisait des préparatifs pour résister à une
                                    attaque probable de Charles le Téméraire qui, partisan d’Édouard
                                    d’York, venait de demander insolemment le renvoi du comte de
                                    Warwick venu en France pour négocier un traité d’alliance entre
                                    le roi et Henri VI d’Angleterre. C’était plutôt pour
                                    être agréable à son frère, le duc de Guyenne, que Louis XI avait
                                    amnistié Rivière et d’Urfé, celui-ci surtout qui était depuis
                                    1465 le partisan avoué et dévoué du second fils de
                                        Charles VII. Le duc de Guyenne avait contribué
                                    récemment à un accommodement entre le duc de Bretagne et le roi,
                                    et les deux frères étaient au mieux pour le moment. D’ailleurs
                                    le nom du duc de Guyenne, tracé en tête de ceux qui
                                    souscrivirent ces lettres d’abolition, indique combien il y
                                    avait pris d’intérêt.
Au surplus, ces lettres ne
                                    paraissent pas avoir été suivies d’effet, ou cet effet en tout
                                    cas n’eut que bien peu de durée, celle tout au plus de la
                                    réconciliation du roi avec son frère. Bientôt Poncet recommença
                                    ses intrigues avec les ducs de Guyenne, de Bretagne et de
                                    Bourgogne. Le duc de Guyenne poursuivait à la fois
                                    l’organisation d’une nouvelle ligue féodale contre Louis XI et
                                    la conclusion de son mariage avec la fille de Charles le
                                    Téméraire. François II de Bretagne servait
                                    d’intermédiaire entre les deux autres ducs ; dans les
                                    instructions qu’il donna de Nantes, le 16 juillet 1471, à Poncet
                                    de Rivière qu’il envoyait vers le duc de Bourgogne, tant en son
                                    nom qu’au nom du duc de Guyenne, on lit que celui-ci « baillera
                                    son scellé pour soy joindre et allier avec mondit seigneur de
                                    Bourgogne et ses alliés, pour le favoriser, aider et employer sa
                                    personne et sa puissance, tant contre le roy nommement que
                                    autres quelzconques » et les contraindre à l’exécution des
                                    traités de Péronne et de Conflans, etc. (Voy. dom Plancher,
                                        Hist. de Bourgogne, t. IV, Preuves, p. 307 ; dom
                                    Morice, Hist. de Bretagne, Preuves, t. III, col. 225,
                                    texte abrégé.) Poncet, alors qualifié conseiller et chambellan
                                    du duc de Bretagne, fut de nouveau dépêché, le 17 avril 1472,
                                    vers Charles le Téméraire, en compagnie de Guillaume de
                                    Souplainville, maître d’hôtel du duc, pour réclamer son appui en
                                    faveur du duc de Guyenne, menacé par le roi d’être dépossédé de
                                    son apanage. (Instructions de cette date, données à Redon ; dom
                                    Morice, id., ibid., col. 240). La mort du frère de
                                        Louis XI, survenue peu après (25 mai 1472), ne
                                    changea rien à la situation de Poncet de Rivière ; il demeura au
                                    service du duc de Bretagne, et le roi de France eut un motif de
                                    plus de le tenir en suspicion et même de le considérer comme un
                                    ennemi mortel, on le verra dans un instant. Auparavant disons
                                    quelques mots du traité de la Victoire-les-Senlis, conclu le
                                    9 octobre 1475, entre Louis XI et François II, ou du
                                    moins de l’article où il est question de Poncet et d’Urfé. M.J.
                                    Vaësen dit que les lettres d’abolition d’août 1470 y sont
                                    « rappelées pour les confirmer ». (Lettres de Louis XI,
                                    t. II, p. 307, note.) Ce n’est pas tout à fait exact. Après
                                    avoir promis d’une façon générale et réciproquement amnistie
                                    pleine et entière aux serviteurs et sujets des deux contractants
                                    qui se trouveraient compromis, l’article visé ajoute :
                                    « toutesfois au regard de Poncet de Rivière et de Pierre d’Urfé,
                                    le roy leur octroie lettres d’abolition, selon les
                                    modifications, forme et manière déclarées ès lettres sur ce
                                    faictes ». (Dom Morice, op. cit., t. III, col. 289.) Les
                                    termes employés impliquent une réserve qui ne pourrait être
                                    précisée que si l’on connaissait le texte des lettres annoncées.
                                    Il est plus que probable d’ailleurs que celles-ci ne furent
                                    jamais expédiées et qu’elles furent remplacées, en ce qui
                                    concerne Poncet, deux ans plus tard, par les lettres de grâce
                                    dont nous allons parler. Un passage d’une curieuse missive de
                                        Louis XI, adressée au comte de Comminges (Odet
                                    d’Aydie), datée de Tours, le 25 août 1476, prouve qu’à cette
                                    date le sire de Rivière n’avait pas encore obtenu son pardon :
                                    « Si ne dois pas estre trop content, dit-il, de la grant
                                    mocquerie que le duc (de Bretagne) me fait touchant messire
                                    Poncet. Au fort, puisquil ayme tant les empoisonneurs et qu’il
                                    les garde si chèrement, je mettray peine de recouvrer maistre
                                    Ythier Marchant, pour le lui envoyer … » (Lettres de
                                        Louis XI. édit J. Vaësen, t. VI, p. 85.) Pour bien
                                    comprendre cette phrase, il faut se rappeler qu’Itier Marchant,
                                    maître de la chambre aux deniers du feu duc de Guyenne, et
                                    Poncet de Rivière étaient véhémentement soupçonnés d’avoir pris
                                    part à une tentative d’empoisonnement dirigée contre le roi. Le
                                    13 janvier 1474 n.s., vingt mois avant la signature du traité de
                                    Senlis, Jean Hardy, clerc et serviteur de cet Itier Marchant,
                                    avait été mis en état d’arrestation. Sous prétexte de venir
                                    traiter de la rentrée en grâce de son maître, à laquelle Louis
                                    XI paraissait tenir beaucoup (il lui avait fait faire de
                                    lui-même des propositions en ce sens), cet homme s’était
                                    introduit dans l’entourage du roi et avait tenté de séduire des
                                    officiers de cuisine de la cour, pour glisser du poison dans les
                                    mets destinés à la table royale. Dénoncé par ceux qu’il avait
                                    tenté de gagner à son criminel dessein, arrêté, jeté en prison,
                                    renvoyé devant une commission extraordinaire, mis à la torture à
                                    plusieurs reprises, il avait tout avoué. Il avait déclaré, en
                                    outre, que c’était Itier Marchant qui l’avait envoyé dans ce but
                                    d’empoisonner le roi, et que Poncet de Rivière, au courant de ce
                                    projet, l’avait encouragé. Le procès de Jean Hardy fut ensuite
                                    évoqué au Parlement qui, le 30 mars 1474, prononça l’arrêt
                                    condamnant le misérable a être écartelé et décapité, sa tête
                                    plantée sur une lance devant l’hôtel de ville de Paris, ses
                                    quatre membres portés en quatre des bonnes villes des extrémités
                                    du royaume, le corps brûlé et réduit en cendres sur la place de
                                    Grève, etc. Il fut exécuté le même jour. (B. de Mandrot,
                                        Journal de Jean de Roye, t. I, p. 303-309 ; A. Vitu,
                                        La Chronique de Louis XI, etc., in-8°, p. 58 et suiv.
                                    Voy. aussi d’autres détails dans Arch. nat., Z1
                                    h 16, fol. 128, 141 et 143 v°.) Le procureur général
                                    continua les poursuites contre Poncet de Rivière et Itier
                                    Marchant ; le 4 mai 1474, il les fit décréter de prise de corps
                                    et, comme il les savait hors d’atteinte, à plusieurs reprises il
                                    ordonna de les ajourner à son de trompe et cri public, sous
                                    peine de bannissement. (Arch. nat., X2a 40, fol. 147.)
                                    Ils ne se laissèrent pas prendre et ne comparurent pas
                                    davantage. Alors la cour les jugea par contumace. Le procureur
                                    général requit contre eux deux la peine capitale ; néanmoins
                                    l’arrêt ne condamna Poncet qu’au bannissement à perpétuité et à
                                    la confiscation de corps et de biens envers le roi.
                                    Depuis le sire de Rivière fit des démarches pour faire
                                    reconnaître son innocence. François II, duc de
                                    Bretagne, envoya à Louis XI des ambassadeurs spéciaux, le
                                    « suppliant et requerant de recevoir et faire recevoir ledit
                                    Poncet à soy justifier et purger dudit cas à luy imposé par la
                                    confession dudit Jehan Hardy, dont il se dit pur et ignocent ».
                                    Finalement, pour toute justification, le roi se contenta d’un
                                    serment solennel prêté par Poncet de Rivière, en présence du
                                    comte de Comminges, à ce commis exprès en l’église Saint-Lô près
                                    d’Angers, sur le fragment de la vraie croix, « de non avoir esté
                                    consentant, participant, adherant, complice ne coulpable desdiz
                                    poisons … » et en conséquence de ce serment, il lui fit délivrer
                                    des lettres de rappel de ban, cassant, annulant et abolissant
                                    l’accusation, les procédures, l’arrêt et tout ce qui avait été
                                    fait contre lui en cette matière, lettres datées du
                                    Plessis-du-Parc, le 31 octobre 1477. L’original de ce précieux
                                    document, dont la transcription ne se trouve pas sur les
                                    registres du Trésor des Chartes, est conservé aux Arch. nat.,
                                    sous la cote K 72, n° 102. Nous rencontrerons, encore une
                                    fois au moins, Poncet de Rivière dans le prochain volume, à
                                    l’occasion de l’autorisation qui lui fut accordée au mois de
                                    mars 1478, de relever les fortifications de Château-Larcher, que
                                    Louis XI avait fait raser.