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MDXLVII

Rémission en faveur de Jean Coulon, pauvre gentilhomme poitevin, coupable du meurtre de son frère, Jacques Coulon, qui le premier l’avait attaqué et frappé.

  • B AN JJ. 195, n° 1252, fol. 277
  • a P. Guérin, Archives historiques du Poitou, 38, p. 462-465
D'après a.

Loys, par la grace de Dieu roy de France. Savoir faisons, etc., nous avoir receu l’umble supplicacion de Jehan Coulon1, povre gentilhomme du païs de Poictou, contenant que en sa jeunesse il a servy par long temps Jaques Coulon, son frère, fait et procuré ses besoignes et negoces [p. 463] au mieulx qu’il a peu, sans en avoir eu aulcune satisfacion ou paiement, et jusques à ce que ledit Jaques Coulon fut frapé et fort amoureux d’une nommée Françoise Bourrigaude, par la persuasion de laquelle icelluy Jaques conceupt grant haine et malveillance contre ledit suppliant qui estoit jeunes homs, lequel il batit enormement par plusieurs foiz et tellement qu’il fut contraint de laisser l’ostel dudit Jacques et aussi de Huguette Rataude, sa mère, et s’en ala en ung hostel nommé le Chasteau, où il avoit sa porcion, comme ses autres frères. Mais icelluy Jaques, incontinent qu’il le sceut, se transporta audit hostel, son espée en son poing, jurant et detestant le nom de Dieu et des saintz qu’il tueroit et occiroit icelluy suppliant, s’il le trouvoit. Par quoy et pour evader la malice dudit Jaques, convint audit suppliant s’en aler demourer au païs de Sanctonge avec ung nommé Jehan Ratault, son oncle, où il demeura l’espace de six ans ou environ. Pendant lequel il fut et a esté aux mandemens qui ont par nous esté faiz des nobles dudit païs, pour et ou lieu de sondit oncle qui estoit homme ancien2. Et depuis s’est retiré ledit suppliant avec sadicte mère, qui est ancienne femme, aagée de iiiixx ans, impotente et malade de goutes, afin de la gouverner. Mais ledit Jaques Coulon, qui estoit rioteux et fort vindicatif, a tousjours eu en grant hayne icelluy suppliant, et pareillement sadite mère et autres ses frères et seurs, et par son hault et felon couraige les a par plusieurs foiz batuz et injuriez, et non content desdictes bateures et injures, soubz umbre qu’il estoit huissier sergent des Requestes de nostre Hostel, [p. 464] dont par ses demerites il a esté privé par arrest de nostre court de Parlement, leur a donné plusieurs grans vexacions. Et pour tousjours prendre sur eulx, après ladicte privacion, parce qu’il n’avoit pas trop bien de quoy vivre, se retrahy ledit Jaques en ung villaige nommé la Roussière, où luy et sadicte mère et frères avoient une petite mestayerie, et, luy estant oudit villaige, à certain jour que ledit suppliant y ala, afin de faire admener du boys pour sa dicte mère, ledit Jaques vint audit suppliant et le batit très enormement et tellement que, se il ne fust survenu gens, il l’eust tué. Et perseverant ledit Jaques en sa felonnie et mauvaistié, vint certaine autre foiz, armé d’un braquemart et une javeline en son poing au lieu de la Guibaudière où se tenoit ledit suppliant, auquel il persa la cuisse de ladicte javeline, dont il ne fit jamaiz question ne demande à icelluy Jacques, cuidant tousjours rompre son ire et avoir amour avec luy. Et pour ce que, environ la Toussains derrenière passée, ledit suppliant estant en nostre ville de Poictiers pour aucuns ses affaires, avoit veu certaines lettres de commission ou mandement octroyées par nostre amé et feal conseiller et maistre des requestes de nostre hostel, maistre Jehan Chambon3, commis à l’exercice de l’office de nostre seneschal en Poictou, par lesquelles il estoit mandé faire informacion contre ledit Jaques Coulon sur la faulseté de certaine quictance qu’il avoit fait faire à son prouffit en la ville de Bersuyre, ou prejudice d’un nommé Loys de Brechechien4, ledit suppliant voulant monstrer qu’il avoit tousjours amour oudit Jaques, pour l’advertir de soy garder de deshonneur et dommaige, le mecredy d’après la saint [p. 465] Martin d’iver derrenière passée, sans penser à aucun mal, se transporta audit villaige de la Roussière, où il trouva icelluy Jaques, son frère, lequel avoit abatu ung noyer qui estoit commun entre eulx, et voyant le dommaige qu’il avoit fait d’abatre ledit noyer, luy dist doulcement que c’estoit mal fait à luy de ainsi abatre leurs arbres, et après luy dist qu’il avoit veu ung mandement ou commission contre luy donné touchant ladicte faulseté, afin qu’il s’en donnast garde. Mais ledit Jaques incontinent se courroussa contre ledit suppliant et luy dist : « Ribault, bougre, meseau que tu es, de quoy te mesles tu ? » et sans ce que ledit suppliant luy respondist, icelluy Jaques print ung gros baston de haye duquel il frapa ledit suppliant, tellement qu’il le mist à terre ; par quoy icelluy suppliant, eschauffé de ladicte injure et bateure, tira ung petit braquemart qu’il avoit et en soy defendant et cuidant repeller les cops que luy donnoit ledit Jaques, frapa icelluy Jaques du taillant dudit braquemart quatre ou cinq cops, tant au visaige que autres parties de son corps. A l’occasion desquelz cops, icelluy Jaques se eschauffa de rechief, criant : « A l’ayde, à l’ayde ! » et perdant son sang, se tint longuement en la place, jusques à ce que sa femme le vint querir et l’enmena en sa maison, en laquelle, huit jours après, par faulte de gouvernement ou autrement, il ala de vie à trespas. A l’occasion duquel cas, ledit suppliant s’est absenté, etc., en nous humblement requerant, etc. Pour quoy, etc., audit suppliant avons quicté, etc., les fait et cas dessusdiz, avec toute peine, etc. Si donnons en mandement au seneschal de Poictou, etc. Donné à Paris, ou moys de decembre l’an de grace mil cccc. soixante et quatorze, et de nostre règne le xiiiime.

Ainsi signé : Par le roy, à la relacion du Conseil. — Visa. Contentor. J. Picart.


1 Plusieurs familles ont porté ce nom dans différentes parties du Poitou. Dans le présent volume il est question de Hugues Coulon et de son fils Pierre, demeurant à Loge-Fougereuse. (Ci-dessus, p. 53, note.) La nouvelle édition du Dict. des familles du Poitou mentionne une vingtaine de membres de ces diverses familles et, entre autres, les deux frères nommés dans les présentes lettres de rémission, dont elle donne l’analyse, mais sans fournir aucun autre renseignement sur les personnages qui y figurent. (Tome II, p. 669.)

2 En effet sur la liste des brigandiniers du pays de Saintonge qui se rendirent à la convocation du ban et de l’arrière-ban de l’année 1467, sous les ordres du sr de La Rochefoucauld, on lit le nom d’un Jean Coulon ; toutefois on n’y mentionne pas qu’il remplaçait son oncle, Jean Ratault. (Roolles des bans et arrière-bans de la province de Poitou, Xaintonge et Angoumois. Poitiers, 1667, in-4°. Réimpression de l’année 1883, p. 25.)

3 Voy. la notice relative à ce personnage ci-dessus, p. 380 et suiv.

4 Louis de Brachechien, écuyer, obtint de Charles VII, au mois de novembre 1444, rémission des peines qu’il avait encourues pour le meurtre de Jean Moreau, avec lequel il s’était pris de querelle ; elles sont imprimées avec une courte note sur ce personnage et sa famille, dans notre t. VIII. (Arch. hist. du Poitou, t. XXIX, p. 190.)