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MCCCCLXIII

Lettres patentes ordonnant la translation du Parlement de Bordeaux à Poitiers.

  • B AN JJ. 196, n° 70, fol. 45
  • a P. Guérin, Archives historiques du Poitou, 38, p. 171-176
D'après a.

Loys, par la grace de Dieu roy de France. Savoir faisons à tous, presens et advenir, comme après nostre advenement à la couronne, pour les grans plaintes et clameurs qui faites nous furent de ce que, pour la grant affluence et multitude des causes et procès estans en noz cours de Parlement à Paris et Thoulouse, tant par appel que autrement, qui ne povoient estre determinées ne decidées, et dont s’en estoient ensuy et ensuivoient de jour en jour plusieurs grans maulx, charges et inconveniens inreparables à noz subgetz et à la chose publique de nostre royaume, nous, pour obvier à nostre povoir ausdiz inconveniens et afin que briefve justice fust administrée ausdiz subgetz, eussions jà pieça, pour ces causes et pour le soulagement d’iceulx noz subgetz des peines et travaulx qu’ilz avoient supportez aux causes dessus dictes, fait, crée et institué une court de Parlement en la ville et cité de Bordeaulx1, [p. 172] ainsi que ces choses et autres sont plus à plain contenues et declairées ès lettres de ladicte institution et creacion, en laquelle nostre court de Parlement eussions ordonnez et establiz ung president, quatre conseillers clers et quatre laiz, noz advocat et procureur, deux greffiers et quatre huissiers et eussions ordonné y ressortir les seneschaucies de Guienne, Lymosin, le hault et le bas Agenoys, Basadès, les Lannes, Quercy desà la rivière de Dordoygne, Xantonge et le gouvernement de la Rochelle, avec autres pays declairez en nos dictes lettres de institucion. Laquelle nostre dicte [court] ait esté de par nous tenue en ladicte ville et cité de Bordeaulx par noz amez et feaulx les president et conseillers et autres officiers d’icelle. Et il soit ainsi que depuis ayons baillé en partage et appanage à nostre très cher et très amé frère Charles le pays de Guyenne et autres pays, terres et seigneuries contenues et declairées ès lettres dudit appanage2, pour la quelle cause ayons deliberé de translater, [p. 173] faire seoir et tenir nostre dicte court de Parlement, en la forme, estat et manière qu’elle estoit en icelle ville et cité de Bordeaulx, en aucun autre lieu à ce propice et convenable, à nous appartenant nuement et sans moyen ; par quoy nous deuement advertiz et acertenez des choses dessus dictes et aussi que nostre ville et cité de Poictiers, qui est notable et ancienne ville, est plus propice et convenable pour y mettre et faire tenir et seoir nostre dicte court de Parlement que nulle autre ville que nous ayons près de la dicte ville de Bordeaulx, et en laquelle ville de Poictiers nostre court de Parlement à present seant à Paris a esté autres foys tenue et y sont encores les lieux et sièges necessaires pour la tenir, desirans justice estre administrée et [p. 174] entretenue à nosdictz subgetz et les causes et procès, estans indecis en nostre diote court de Parlement naguères seant en ladicte ville de Bordeaulx, estre jugez et determinez le plus brief que faire se pourra, avons pour ces causes et autres grandes causes et consideracions à ce nous mouvans, et par l’advis et deliberation d’aucuns des seigneurs de nostre sang et gens de nostre grant Conseil, translaté et mis, translatons et mettons, de nostre certaine science, grace especial, plaine puissance et auctorité royal, par ces presentes, en nostre dicte ville de Poictiers nostre dicte court de Parlement naguères seant en ladicte ville de Bordeaulx, pour estre doresenavant tenue en icelle ville de Poictiers par les president, conseillers, advocat, procureur, greffiers et huissiers qui par nous y ont estez ou seront establys et ordonnez, en tel ou plus grant nombre qu’ilz estoient oudit Parlement de Bordeaulx. Et en oultre, avons voulu, ordonné et declairé, voulons, ordonnons et declairons que toutes les causes meues et pendans indecises en nostre dicte court lors seant audit Bordeaulx, tant par appel que autrement, soient vuydées, decidées et determinées en nostre dicte court de Parlement de Poictiers, tout ainsi qu’elles eussent esté en nostre dicte court de Parlement de Bordeaulx, et que les diz procès soient apportez en nostre dicte ville de Poictiers, pour illec estre jugiez et determinez par icelle court. Et avecques ce, pour les causes que dessus, avons voulu, ordonné et declairé, voulons, ordonnons et declairons ressortir en nostre court de Parlement de Poictiers les pays et conté de Poictou, la Marche haulte3 et basse et leurs enclaves, appartenances et appendances quelzconques, [p. 175] et le pays de Combraille et le Franc Aleu, ensemble ledit pays de Limosin, le hault et le bas, lequel, comme dit est, ressortissoit en nostre dicte court de Parlement à Bordeaulx. En laquelle nostre dicte court de Parlement de Poictiers voulons et ordonnons y estre tractées, decidées et determinées les causes et querelles des subgetz desdiz pays par appel et autrement, et tout ainsi que font noz autres cours de Parlement de Paris et de Thoulouse. Et oultre avons voulu, ordonné et declairé, voulons, ordonnons et declairons que toutes les causes des pays dessus diz pendantes indecises en nostre dict court de Parlement à Paris qui ne sont closes en droit et receues pour juger en la dicte court soient decidées et determinées en nostre dicte court de Parlement, par nous establye et translatée en nostre dicte ville et cité de Poictiers. Si donnons en mandement, par ces mesmes presentes, à noz amez et feaulx conseillers tenans et qui tendront nostre dicte court de Parlement à Paris, que lesdictes causes et procès avecques les parties ilz renvoyent en nostre dicte court de Parlement à Poictiers, pour y estre procedé ainsi qu’il appartiendra par raison ; et lesquelles nous y avons evocquées et evocquons et en avons interdicte et deffendue, interdisons et deffendons à nostre dicte court de Parlement à Paris toute court, juridicion et congnoissance. Et afin que les parties a qui lesdiz procès pourroient toucher ne soient delayans d’aler proceder, en iceulx procès, en nostre dicte court de Parlement de Poictiers, nous avons voulu, decerné et declairé, voulons, decernons et declairons par edict, loy, statut et ordonnance royal, que tout ce qui sera fait et poursuy au contraire par nostre dicte court de Parlement à Paris, depuis la publicacion et notifficacion de ces presentes, soit de nul effect et valeur, et lequel nous avons revocqué, cassé et adnullé, cassons, revocquons et adnullons, et mettons du tout au neant par cesdictes presentes. Par lesquelles nous donnons aussi en mandement à noz amez et feaulx les president, conseillers [p. 176] et autres officiers qui ont esté ou seront de nouvel par nous ordonnez pour tenir nostre dicte court de Parlement en nostre dicte ville de Poictiers, qu’ilz se transportent incontinent en icelle ville, pour illec seoir, tenir et exercer nostre dicte court de Parlement, et y expedier les causes et procès des fins et limites dessus declairées, ainsi et par la forme et manière qu’il est acoustumé faire en noz autres cours souveraines, en faisant publier ces presentes en nostre dicte ville et cité de Poictiers et ailleurs ou mestier sera, ainsi qu’il est acoustumé faire en tel cas. Mandons en oultre aux seneschaulx de Poictou et de Lymousin et à tous noz autres justiciers et officiers èsdiz pays et limites, ou à leurs lieuxtenans ou commis, et à chacun d’eulx, si comme à lui appartendra, que ces dictes presentes ilz publient et facent publier en leurs cours et juridicions et partout ailleurs où il appartendra, et obeissent et facent obeyr les subgectz de leurs dictes seneschaucies et juridicions, selon la forme et teneur des lettres de l’institucion de nostre dicte court et de cesdictes presentes. Et neantmoins, pour ce que de cesdictes presentes on aura afaire en plusieurs et divers lieux, nous voulons que au vidimus d’icelles, fait soubz scel royal, foy soit adjoustée comme à ce present original. Et affin que ce soit chose ferme et estable à tousjours, nous avons fait mettre nostre scel à ces presentes. Sauf en autres choses nostre droit et l’autruy en toutes. Donné à Amboise, ou moys de juillet l’an de grace mil cccc. soixante neuf, et de nostre règne le huitiesme4.

Ainsi signé en marge : Par le roy, J. Bourré. — Visa. Contentor. Rolant.


1 Par édit daté de Chinon, le 10 juin 1462, avec ressort sur les sénéchaussées de Guyenne, de Gascogne, des Lannes, d’Agenais, de Bazadais, de Périgord et de Limousin, auxquelles des lettres patentes du 7 février 1463 n.s. joignirent l’Angoumois et le Quercy. (Ordonnances des Rois de France, in-fol., t. XV, p. 500, 610, 612.) Jean Tudert, originaire de Mirebeau (cf. vol. précédent, p. 59, note), qui en fut nommé président, était encore à sa tête lors de la translation à Poitiers. On sait que le Parlement de Paris avait siégé pendant dix-huit ans (1418-1436) dans cette ville, ce qui avait donné à celle-ci une importance qu’elle perdit nécessairement le jour où le départ des Anglais permit à Charles VII de faire rentrer la cour dans sa capitale. Ne pouvant se résigner à cette sorte de déchéance, les bourgeois et les magistrats municipaux de Poitiers firent plusieurs tentatives, dans les dernières années de Charles VII et au début du règne de Louis XI, pour obtenir la création sinon d’une cour nouvelle de Parlement, du moins d’une chambre rattachée au Parlement de Paris, mais qui aurait son siège à Poitiers et y jugerait souverainement. Leurs espérances, que l’établissement d’une cour suprême à Bordeaux paraissait avoir anéanties, se réveillèrent quand le roi donna à son frère le duché de Guyenne en apanage. Les sollicitations reprirent et le roi leur accorda enfin satisfaction, moyennant certaine compensation financière. Mais le nouveau séjour d’un Parlement à Poitiers n’eut qu’une bien courte durée. La mort, à vingt-six ans, du duc de Guyenne, vint remettre les choses dans leur ancien état, et dès le 1er juin 1472, par lettres données à Saintes. Louis XI ordonna le rétablissement à Bordeaux de ce Parlement qui avait siégé dans la capitale du Poitou un peu moins de trois ans. (Ordonnances des Rois de France, t. XVII, p. 511). Pour ne point donner à une simple note un développement excessif, nous nous réservons d’examiner, dans l’introduction du présent volume, les projets de création d’une cour spéciale à Poitiers et de résumer l’histoire du Parlement de Guyenne, pendant son séjour dans cette ville.

2 Charles de France, second fils et dernier enfant de Charles VII et de Marie d’Anjou, né le 28 décembre 1446, mort le 25 mai 1472. On sait comment sa courte vie se consuma à peu près tout entière dans les intrigues avec les ducs de Bourgogne et de Bretagne contre le roi, son frère. Duc de Berry, il perdit son apanage en se faisant l’instigateur de la guerre dite du Bien public. Contraint de lui donner comme compensation la Normandie (1465), Louis XI la lui reprit l’année suivante. Charles alors se réfugia à Vannes et se mit au service du duc François II, d’où une guerre entre le roi et la Bretagne. Après les traités d’Ancenis et de Péronne (1468), Louis XI fit montre à l’égard de tous les princes du royaume des dispositions les plus conciliantes ; il avait surtout grand intérêt à ménager le duc de Bretagne, dont il avait besoin pour écarter quelques-unes des fatales conséquences du traité de Péronne. Il entama avec lui des négociations et envoya a Nantes ses ambassadeurs dans le but de régler, d’un commun accord, la question de l’apanage de Charles et de lui faire accepter le duché de Guyenne. Après de longs débats entre les conseillers du prince, ceux du duc de Bretagne et les commissaires royaux, un traité fut enfin conclu à Nantes. (Voir les détails de ces négociations dans l’Histoire de la réunion de la Bretagne à la France, par A. Dupuy. Paris, 1880, in-8°, p. 219-237.) Louis XI cédait à son frère, en échange de la renonciation par celui-ci à ses deux précédents apanages (le Berry et la Normandie), le duché de Guyenne tel qu’il se comportait au delà de la Charente, avec les sénéchaussées d’Agenais, de Quercy, Périgord, Saintonge, la ville et le gouvernement de la Rochelle et le bailliage d’Aunis (Lettres datées d’Amboise, avril 1469). Charles fit son entrée à la Rochelle, le 10 juin, et prit possession de son duché. Les deux frères se rencontrèrent sur les bords de la Charente et se réconcilièrent solennellement. Par autres lettres données à Coulonges-les-Royaux, le 18 septembre 1469, le roi étendit encore les limites de l’apanage du duc de Guyenne. (Ordonnances des Rois de France, in-fol., t. XVII, p. 209, 255.) Néanmoins l’accord entre les deux princes ne fut pas de longue durée. Charles ne tarda pas à renouer des intrigues avec Charles le Téméraire et François II ; au moment de sa mort (25 mai 1472), Louis XI faisait presser en Poitou les préparatifs militaires pour attaquer les possessions de ce frère (cf. ci-dessus, p. 124, note 2) qu’on l’accusa d’avoir fait empoisonner.

3 Cependant, sur la réclamation du duc de Nemours, comte de la Marche et par déclaration royale donnée aux Montils-les-Tours, le 11 août 1470, il fut ordonné que les causes dudit duc et du comté de la Marche ressortiraient, non pas au Parlement établi à Poitiers, mais au Parlement de Paris, comme avant l’édit de translation (Ordonnances des Rois de France, t. XVII, p. 327, d’après le texte enregistré au Parlement de Paris, le 3 février 1471 n.s., X1a 8606, fol. 229.)

4 Ces lettres patentes sont imprimées, d’après le texte transcrit sur le registre du Trésor des Chartes, dans le recueil des Ordonnances des Rois de France, in-fol., t. XVII, p. 231.