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MCCCCLXIX

Rémission accordée à Guillaume Lucaseau, prêtre de Frontenay-l’Abattu, en fuite après avoir tué d’un coup de bâton son frère qui ne cessait de le frapper, de l’injurier grossièrement et de le menacer.

  • B AN JJ. 196, n° 11, fol. 8 v°
  • a P. Guérin, Archives historiques du Poitou, 38, p. 189-192
D'après a.

Loys, par la grace de Dieu roy de France. Savoir faisons, etc. nous avoir receue l’umble supplicacion de Guillaume Lucaseau, prebstre, pouvre chappellain, demourant [p. 190] en la perroisse de Frontenay l’Abatu ou diocèse de Saintes, contenant que, pour la singulière amour et affection que les père et mère dudit suppliant avoient à lui, tant pour ce que icellui suppliant les nourrissoit et alimentoit que autrement, affin que tousjours les peult mieulx nourrir et alimenter le surplus de leurs jours, donnèrent à icellui suppliant tous et chacuns leurs biens meubles et conquestz ; et combien que ledit suppliant ait bien et honnestement recueilli et gouverné sesdiz père et mère, nourriz, vestus et alimentés au mieulx qu’il a peu, ce neantmoins feu Guillaume Lucaseau, frère dudit suppliant, desplaisant de ce que sesdiz père et mère ne s’estoient donnez à lui, est par plusieurs fois venu en la maison où demouroit ledit suppliant et sesdiz père et mère, et illec a fait plusieurs grans menasses tant à sesdiz père et mère que audit suppliant, son frère, disant à iceulx ses père et mère que c’estoit maufait à eulx d’eulx estre donnez à ce ribaut prebstre, lequel estoit infame et parjure et qu’il ne valoit riens, et qu’ilz estoient meschans gens. Lesquelz père et mère dudit suppliant et dudit Guillaume respondoient tousjours audit Guillaume, leur filz, que ilz se tenoient biens contens de lui et que il les traictoit bien et gracieusement, et qu’ilz vouldroient qu’il leur eust cousté du sang de sur eulx et ledit Guillaume fust d’aussi bon gouvernement que estoit ledit suppliant, et que pour Dieu il ne leur en parlast plus et qu’il s’en alast faire sa besogne. Et non content de ce, ledit Guillaume, une foiz entre les autres, tout eschauffé et esmeu, vint en la maison dudit suppliant, icellui suppliant estant au lit malade, auquel il dist en jurant et regniant le sang Dieu : « Ribault, prebstre infame, je te tueray. » Et de fait print ledit Guillaume Lucaseau ung baston en sa main pour en cuider frapper et asommer ledit suppliant son frère, ouquel on esperoit plus la mort que la vie ; et de fait l’eust tué, se ne fust une sienne voisine qui d’aventure y survint. Et en continuant et procedant par ledit [p. 191] Guillaume en son mauvaiz dampnable couraige, injurioit et publioit contre verité que ledit suppliant n’estoit que ung ribault prebstre et qu’il maintenoit trois ou quatre femmes et aussi sa cousine, et qu’il estoit infame et parjure. Lequel suppliant, voyant lesdictes choses, remonstra gracieusement audit Guillaume qu’il faisoit mal, en lui disant telles parolles : « Mon frère, je te prie, deporte toy et ne me va plus vituperant. Je ne suis ribault, infame ne parjure, tu le scès bien. Beau sire, mect de l’eau en ton vin, et va faire ta besongne. » A quoy ledit Guillaume lui respondit bien arrogamment : « Je n’yray pas pour toy. » Et ledit suppliant luy dist : « Je m’en rapporte à toy. Si tu faiz bien, tu le trouveras. » Et certain temps après que ledit suppliant fut gary et relevé de sa maladie, en laquelle il avoist esté malade l’espace de sept sepmaines ou environ, voiant que ledit Guillaume, son frère, usoit tousjours de mauvaiz langaige contre ledit suppliant et l’appelloit ribault prebstre, parjure, qu’il disoit et publioit partout que ledit suppliant chevauchoit sa cousine, dont n’estoit riens, et autres parolles dessus dictes, ledit suppliant s’en alla de son hostel jusques au logeis dudit Guillaume, son frère, et lui remonstra gracieusement, en disant telles parolles en substance : « Mon frère, tu faiz mal de dire et publier les parolles que as dictes de moy. Tu as dit de moy que je suis infame, que j’ay porté faulx tesmongnaige et autres parolles injurieuses. » A quoy ledit Guillaume lui respondit : « Par le sang Dieu, il est vray, traictre, ribault prebstre, infame et parjure ! » Et adonc ledit suppliant, voyant que ledit Guillaume, son frère, lui respondoit si arrogamment et mal gracieusement, et que par plusieurs foiz il estoit venu menasser et injurier jusques en sa maison, et qu’il n’estoit riens de tout ce que ledit Guillaume luy mettoit à sus, ledit suppliant, courroussé et desplaisant desdictes parolles et injures, donna audit Guillaume d’un baston qu’il tenoit en sa main ung [p. 192] coup sur le braz. Et incontinant ledit Guillaume se vint gecter entre les jambes dudit suppliant pour le cuider abatre. Lequel suppliant se recula et après, ainsi que ledit Guillaume se reculoit, juroit et regnioit le sang Dieu qu’il tueroit ledit suppliant, [lequel], doubtant la fureur dudit Guillaume, son frère, leva ledit baston qu’il tenoit et l’en cuida frapper sur l’espaulle, mais ledit baston lui tourna en la main et l’ataigny d’avanture sur la teste un coup seullement, duquel icellui Guillaume, par faulte de bon pensement, mauvaiz gouvernement ou autrement, ala le lendemain de vie à trespassement. Pour occasion duquel cas ledit suppliant, doubtant rigueur de justice, s’est absenté du pays et n’y oseroit, etc Pour quoy, etc., aux seneschal de Poictou et autres noz officiers, etc. Donné à Tours, ou moys d’aoust l’an de grace mil cccc. soixante neuf, et de nostre règne le ixe.

Ainsi signé : Par le roy, à la relacion du Conseil. Du Brueil. — Visa. Contentor. Rolant.