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DCCXLVI

Restitution à Catherine Sénéchal, ainsi qu'à son second mari Etienne d'Aventois, chevalier, de ses domaines de Poitou confisqués parce qu'elle s'était retirée en Angleterre avec son premier mari Jean Harpedenne, chevalier anglais, et rémission des peines qu'elle pouvait avoir encourues pour ce fait.

  • B AN JJ. 139, n° 96, fol. 113
  • a P. Guérin, Archives historiques du Poitou, 24, p. 17-21
D'après a.

Charles, etc. Savoir faisons à tous, presens et avenir, nous avoir receu l'umble supplicacion de nostre amé et feal Estienne d'Aventoys1, chevalier, et de Katherine [p. 18] Senescalle2 sa femme, contenant que comme, pour le temps que le prince de Gales tenoit la duchié de Guienne, la dicte suppliante, estant en l'aage de XIIII ans ou environ, eust esté conjoincte par mariage par ses parens et amis, et mesmement du conseil et consentement de Ragond Bechete3 sa mere, avee Jehan Harpedanne4, chevalier anglois d'Angleterre, après lequel mariage ainsi fait et parfait iceulx mariez demourerent longtemps ou païs de Poitou, sur les lieux et terres d'icelle suppliante et jusques à ce que le dit princes de Gailes commist les rebellions et désobéissances par lesquelles il forfist la dicte duchié et que le dit païs de Poitou commença à retourner à nostre obéissance, que lors son dit mary se parti du dit païs et emmena [p. 19] ou fist emmener ycelle suppliante en Angleterre, à quoy elle par affection de mariage et amour naturele qu'elle avoit à son dit mary, se consenti, ne aussi elle n'eust osé ou peu contredire, veu qu'elle estoit en sa puissance et qu'il l'eust peu emmener, voulsist ou non, et pour tant s'en ala avec lui et laissa son dit mary aucunes forteresses d'icelle suppliante garnies d'Anglois. Et pour ce assez tost après leur département, ycelles forteresses et semblablement toutes les terres d'icelle suppliante furent prinses, les aucunes par noz gens et officiers, et mises en nostre main, et depuis transportées en plusieurs et diverses mains, et les autres occupées par pluseurs autres gens du païs qui ont tenues et exploictées tousjours depuis le dit temps ycelles terres, et encores tiennent et occupent, la dicte suppliante estant absent de nostre royaume, comme dit est, et jusques à nagaires que le dit Harpedenne est alé de vie à trespassement. Après le trespas duquel, la dicte suppliante, qui oncques n'eut entencion ou voulenté de demourer par delà ne en obeissance d'autre que de nous et de nostre royaume, s'en est tantost revenue par deçà et a trouvé ses dictes terres occupées par la maniere que dit est, et pour tant s'est traicte par devers nostre très chier et très amé oncle le duc de Berry, le quel bien informé de la bonne voulenté d'icelle suppliante et autres choses dessus dictes, lui en a rendu et fait rendre aucunne partie qu'il en tenoit; maiz ce qu'il estoit en autres mains, l'en ne lui a voulu rendre, et se doubte moult qu'elle ne les peust recouvrer. Et qui plus est, se doubte que l'en ne voulsist dire qu'elle eust commis crime de leze magesté ou autrement delinqué envers nous, pour avoir esté ou dit païs d'Angleterre, et que par ce elle eust forfait envers nous corps et biens, dont elle seroit en voie de perdicion et d'estre deshonnourée lui et sa lignée, ou au moins exillée et mendiant toute sa vie, se par nous ne lui est sur ce extendue nostre grace, si comme elle dit, requérant humblement [p. 20] que, comme feu Guy le Senesclial5 chevalier, son pere, et ses autres parens et amis aient servi, leurs vies durans, noz predecesseurs roiz de France en leurs guerres et autrement, senz aucun reprouche, et aussi que en toutes autres choses la dicte suppliante a esté de bonne fame, renommée et honneste conversation, senz ce qu'elle feust oncques reprinse d'aucun villain cas, nous lui veuillons sur ce impartir nostre dicte grace. Pourquoy nous, considérées les choses dessus dictes et les bons et notables services que le dit suppliant, mary d'icelle suppliante, nous a faiz en pluseurs manieres en noz guerres et autrement, à la dicte suppliante de nostre grace especial, plaine puissance et auctorité royal ou cas dessus dit avons quicté, remis et pardonné, et par ces présentes quictons, remettons et pardonnons, en tant que mestier lui est ou pourroit estre, tout le fait dessus dit avec toute peine, amende et offense corporele, crimineleet civile en quoy, pour occasion de ce que dit est ou de ses deppendences, elle pourroit estre encourue envers nous et justice, et la restituons à sa bonne fame, renommée, au païs et à ses biens, terres, actions, saisines, possessions et droiz quelconques, tout en la fourme et maniere qu'elle estoit au jour et paravant qu'elle se maria au dit anglois. Et sur ce imposons silence perpetuel [p. 21] a nostre procureur et à tous autres. Si donnons en mandement au bailli des Exempcions de Poitou, de Touraine, d'Anjou et du Maine, et à tous noz autres justiciers et officiers, ou à leurs lieuxtenans, presens et advenir et à chascun d'eulx, si comme à lui appartendra, que la dicte suppliante de nostre présente grace et remission facent, sueffrent et laissent joïr et user plainement et paisiblement, senz l'empeschier, molester ou traveillier, souffrir estre molestée, traveilliée ou empeschiée en corps ou en biens, ores [ne] ou temps avenir aucunement au contraire, ainçoys ses biens, terres et possessions, en tant qu'il nous touche ou puet touchier, ou qui pour occasion d'icellui fait ont esté mis en nostre main, comme dit est, lui rendent et délivrent, ou facent rendre et délivrer senz aucun contredit. Et pour ce que ce soit ferme chose etestable à tousjours, nous avons fait mettre nostre seel à ces présentes. Sauf en autres choses nostre droit et Tautruy en toutes. Donné à Compiegne, ou mois de septembre l'an de grace mil CCC IIIIXX et dix, et le Xe de nostre regne.

Par le roy en son conseil. D'Aunoy.


1 Etienne d'Aventois, ou d'Avantois, chevalier de la maison de Jean de France, duc de Berry et comte de Poitou, était par sa mère neveu de Pierre de Griac, chancelier de Berry, puis de France. (Le P. Anselme, Hist généal., tome VI, p. 341.) Le Berry était sans doute son pays d'origine. Il y était seigneur de Sancergues et de Herry (Cher), comme on l'apprend d'une contestation qu'il eut avec le comte de Sancerre, au sujet de la juridiction de ces deux terres, contestation qui fut réglée par une transaction entérinée au Parlement, le 31 août 1388. (Arch. nat., Xlc 57.) Nous avons rencontré pour la première fois le nom d'Etienne d'Aventois sur les comptes de l'hôtel du duc de Berry pour l'année 1377 ; il y figure en qualité d'écuyer tranchant (KK. 252, fol. 144). On le trouve encore plusieurs fois sur les registres des années suivantes ; en 1398 il portait le titre de chambellan du duc de Berry (KK, 253, fol. 89). Ce prince lui avait confié diverses missions diplomatiques, une entre autres vers le duc de Lancastre, dont il est question dans un rapport adressé par Jean de France à son frère le duc de Bourgogne. Ce document conservé aux Archives de Lille est attribué à Tannée 1390 par M. le baron Kervyn de Lettenhove, qui l'a publié dans son édit. de Froissart, t. XIII, p. 352-354 ; mais la date doit en être reportée à une ou deux années plus tôt. Car il y est question d'une curieuse conversation entre le duc de Berry et Jean 1er Harpedenne, qui, nous le voyons ici même, était mort à cette époque. C'est la veuve de ce dernier, Catherine Sénéchal, qu'Etienne d'Aventois avait épousée, antérieurement au 30 juin 4390. A cette date, Catherine Sénéchal, dame de Mortemer, autorisée de son second mari, dans une maison attenante à l'église dudit lieu, cède au duc de Berry les droits qu'elle avait et pouvait avoir et prétendre, à cause de son père, sur les château, ville et châtellenie de Gençay (Arch. nat., J. 187B, n° 37)., Etienne d'Aventois fut mêlé aussi, avec Guillaume Taveau, à un procès intenté par Hugues de Cologne, chevalier, Louis Chenin, Geoffroy Gabet, Jean Janvre et leurs femmes, « in casu novitatis et saisine », à cause des château, terre et seigneurie de Lussac et des biens meubles de la succession de feu Jacques Chenin, sr de la Jarrie. Il n'y avait sans doute pas de motif sérieux à invoquer contre lui, car il fut mis hors de cour et de procès par sentence du 20 juin 1393 (X1A 40, fol. 73). Etienne d'Aventois fut pourvu par la suite de l'office de sénéchal de Berry ; il en prenait la qualité au mois de septembre 1400 (KK. 254, fol. 81,98).
2 Catherine Sénéchal, fille de Guy Sénéchal, sr de Mortemer, et de Radegonde Béchet, mariée : 1° à Jean 1er Harpedenne, et 2° à Etienne d'Aventois. Tous les renseignements qui ont pu être recueillis sur cette dame ont été donnés dans notre quatrième volume, p. 58 n., 283 n., 365, et 402 n., et dans le cinquième, p. 204 et 205.
3 Sur Radegonde Béchet et ses maris, voir notre volume quatrième, p. 42, 58, 365, 402.
4 Ce personnage a été l'objet d'une notice spéciale dans le précédent volume, p. 203.
5 Il a été question à plusieurs reprises, dans les trois précédents volumes, de Guy Sénéchal ou le Sénéchal, seigneur de Mortemer voir notamment tome IV, p. 158). Un acte du 8 février 1348 n. s. publié dans notre tome II, p. 429), émane de Guy, seigneur de Mortemer, sénéchal de Poitou, qui pourrait fort bien être notre personnage, quoique la règle fût, dans la première moitié du XIVe siècle, de donner les offices de baillis et sénéchaux à des étrangers à la province. Un procès que Guy Sénéchal eut à soutenir contre le prieur de Saint-Martin de Salles-en-Toulon nous permet de suivre sa trace pendant plus de douze ans. Son châtelain de Mortemer, Simon Charenton, et Pierre de Brie étaient accusés de s'être emparés par la violence de certains biens appartenant au prieuré. Un arrêt sur incident fut rendu au Parlement, le 9 août 1343 (Arch. nat., X2A 9, fol. 480 v°). Les 9 février 1353 n. s. et 29 décembre. 1355, la cause ne reparaît que pour être ajournée à une prochaine session (X2A 6, fol. 12 et 227). Le sire de Mortemer mourut sans doute avant la terminaison de cette affaire.