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DCCCLVII

Rémission accordée à Jean de Messemé, pauvre écuyer de la châtellenie de Faye-la-Vineuse, qui avait crevé les yeux de Denise, veuve de Guillaume Clément, parce qu'elle cherchait à débaucher ses filles.

  • B AN JJ. 154, n° 391, fol. 229 v°
  • a P. Guérin, Archives historiques du Poitou, 24, p. 344-346
D'après a.

Charles, etc. Savoir faisons à tous, presens et avenir, nous avoir oye l'umble supplicacion de Jehan de Messemmé, povre escuier, chargié de femme et de pluseurs enfans, contenant comme Denise, vefve de feu Guillaume Climent, demourant assez près de l'ostel du dit suppliant, qui tout le cours de sa jeunesse a esté de mauvaise vie, gouvernement, et publiquement diffamée, repairast par pluseurs fois en son hostel, contre son gré et voulenté, et pour ce se doubtoit le dit suppliant que elle ne voulsist soubztraire, subourner et mettre à mauvaise voie ses filles qui sont très belles jeunes filles, dont l'une est en aage de marier, et l'autre mariée de nouvel, et par especial celle qui est à marier qui a bien dix et sept ans ou environ, pour ce que elles ne sont pas trop bien vestues ne ordonnées selon leur estat, pour la povreté du dit suppliant ; et il soit ainsi qu'il eust deffendu par pluseurs fois à la dicte Denise que elle ne repairast plus en son dit hostel, ne ne parlast plus à ses dictes filles en aucun mal entre eulx deulx (sic), sans ce que ame l'ouyst, affin que ses dictes filles ne cueillissent aucun blasme, pour ce que la dicte Denise ne le divulgast. Et avec ce, pour ce que le propre jourqu'il lui fist la deffense dessus dicte, la dicte Denise avoit requis sa dicte fille à marier qu'elle se habandonnast à pechié et feist ce dont elle lui avoit parlé par pluseurs fois, comme elle dist ou dit suppliant son pere, le dit suppliant corrocié et comme hors du sens des choses dessus dictes, après ce que elle l'avoit par avant fait adjourner, pour lui donner aseurement en la court [p. 345] de Faye la Vineuse, dont ilz sont subgiez, à certain jour passé, auquel le dit suppliant ne comparut point, mais ce pendant la fist adjourner à la court nostre très chiere et très amée tante la royne de Jherusalem, pour poursuir ou delaissier son dit adjournement, le dit suppliant la trouva en un certain heritaige qui fu au dit feu Guillaume Climent, son mary, et là corrocié et esmeu de chaude cole, et ayant souvenance et argu1 de ce que long temps paravant par fors induction avoit tant fait que la dicte femme2 avoit faussé son mariage envers le dit suppliant, comme il sceut depuis, dont il fut en voye de la tuer dès lors, soubz umbre de ce que elle cuilloit du fruit ou dit heritaige, lequel il pretendoit à lui appartenir, après le trespas de son dit mary, comme seigneur du fief, pour ce que il estoit bastart, en prenant occasion sur ce et après pluseurs paroles, lui donna d'un gros baston par derriere la teste un cop dont elle chut à terre ; et après saicha un petit coustel ou canivet du quel il lui creva les deux yeux de la teste, et tellement que elle a perdue la veue. Pour occasion des quelles choses, le dit suppliant doubtant rigueur de justice, s'est absenté du païs et ne s'i oseroit plus veoir (sic), mais fauldroit que lui, ses dicte femme et enfans s'en alassent ailleurs mendier leur pain en autre contrée, se sur ce ne lui estoit impartie nostre grace et misericorde, requerant humblement ycelle. Pour quoy nous, ces choses considerées, etc., au dit suppliant avons quicté, remis et pardonné, etc., satisfaction faicte à partie civilement et avant toute euvre, se faicte n'est, parmi ce qu'il demourra encor deux mois en prison fermée. Si donnons en mandement au bailli de Touraine et à tous noz autres justiciers, etc. Donné à Paris, ou mois de juillet l'an de grace mil CCC IIIIXX et dix neuf, et le XIXe de nostre regne.
[p. 346] Par le roy, à la relacion de son grant conseil, ou quel vous, messire Almaury d'Orgemont3, le vidame de Launoys4 et autres estiez. P. Vivien.


1 Argu signifiait pensée, raison, etc. (Cf. F. Godefroy, Dictionnaire de l'anc. langue française, in-4°, 1881, t. I.)
2 La femme du suppliant.
3 Amaury d'Orgemont, seigneur de Chantilly, maître des requêtes de l'hôtel, membre du grand conseil du roi, premier maître des comptes lai, mort le 11 juillet 1400 et enterré avec le chancelier Pierre d'Orgemont, son père, à Sainte-Catherine du Val-des-Ecoliers à Paris.
4 Le vidame de Laon était alors Jean de Montaigu, seigneur de Montaigu près Poissy, de Marcoussis, etc., chambellan du roi, puis grand maître de France et surintendant des finances, favori de Charles VI. L'un des hommes politiques les plus en vue de ce règne agité, il eut la tête tranchée aux Halles, le 17 octobre 1409. (Hist. généal. de la maison de France, t. VIII, p. 344.) Le vidamé de Laon avait été apporté vers 1364 par Marie, fille et héritière de Gaucher de Châtillon, à son mari Jean de Craon, seigneur de Dommart ; ils le vendirent, le 6 mai 1389, pour 9.000 livres tournois à Ferry Cassinel, évêque d'Amiens, puis archevêque de Reims. (Ménage, Hist. de Sablé, l. X, p. 209.) Ce prélat étant mort un an après, le 26 mai 1390, le vidamé passa à son frère et héritier Guillaume II Cassinel, seigneur de Romainville, qui l'échangea avant 1393 contre la seigneurie de Ver avec son neveu Jean de Montaigu. (Hist. généal. cit., t. II, p. 41.)