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DCCCXVI

Rémission accordée à Nicolas Voyer, du Poiré-sous-la-Roche-sur-Yon, qui, attaqué par Nicolas Bonnin, son ennemi, lui avait, en se [p. 233] défendant, donné un coup d'épée sur la tête, dont ledit Bonnin était mort deux mois après.

  • B AN JJ. 149, n° 92, fol. 63
  • a P. Guérin, Archives historiques du Poitou, 24, p. 232-237
D'après a.

Charles, etc. Savoir faisons à tous, presens et avenir, de la partie des amis charnelz de Nicolas Voyer1, demourant au Peyré sur la Roche sur Oyon, ou païs de Poitou, à nous avoir esté humblement exposé que, combien que sur certains excès, deliz, malefice et actemptas, faiz, commis et perpetrez par Jehan Notin et autres ses complices, pour et ou nom, ou au moins du consentement, commandement et induction de Pierre Breneain2, capitaine du dit lieu de la Roche pour nostre très chier et feal cousin Olivier, seigneur de Cliçon3, et de Jehan Brient, procureur [p. 234] d'icelui seigneur, en la personne ou ès biens du dit Nicolas Voier, ycelui Nicolas eust obtenu de nous ou de nostre court certaines lettres royaulz, par lesquelles mandions en commettant au bailli de Touraine et des ressors et Exempcions d'Anjou, du Maine et de Poitou, ou à son lieutenant, que de et sur les excès, deliz, malefices et actemptas dessus diz bien et diligenment et secretement il se informast, et ceulz que par la dicte informacion, fame publique ou vehemente presumpcion il trouveroit coulpables, adjournast ou feist adjourner à comparoir, selon l'exigence du cas, aus jours de Vermendoiz de nostre present Parlement, et avec ce feist rendre, bailler et delivrer realment et de fait au dit Voyer tous ses biens pris et exigez par la maniere dessus dicte, en quelque lieu qu'ilz pourroient estre trouvez, comme ce et autres choses l'en dit plus à plain estre coutenues en icelles noz lettres. En faisant la quelle informacion Gilet Rochelle, lieutenant du dit bailli à Chinon, trouva en l'ostel de Thiphaine Bonnine, de Jehan Bonnin, prestre, de Perrot et Nicolas Bonnins, ses enfans, aucuns d'iceulz biens meubles appartenans audit Voyer, lesquelz, en la presence des diz Perrot et Nicolas, et de pluseurs autres, il rendi et délivra au dit Yoyer, qui depuis n'en fist aucune poursuite à l'encontre des diz Bonnins. Neantmoins pour occasion de ce, yceulx prestre et Nicolas son frere conceurent dès lors si grant hayne contre le dit Voyer que, pendent ce que on faisoit la dicte informacion, ou au moins assez tost après, eulz ou l'un d'eulz distrent par pluseurs foiz, en pluseurs et divers lieux, que ledit Voier avoit fait grant deshonneur à eulz et à leur lignée d'avoir mené noz gens et officiers en leur hostel et fait cercher en icelui, et qu'ilz en seroient et demourroient à tousjours mais diffamez, et que eulz ou leurs amis l'en paieroient une foiz. Dont ces choses venues à la congnoissance du dit Voyer, il, tant pour la force du dit Nicolas Bonnin, qui estoit jeunes homs fort et puissant de corps, n'estoit pas bien pacient, portoit [p. 235] communement grant coustel et avoit chevauchié avec gens d'armes, et mesmes en la derreniere armée de Bretaigne4, comme du prestre son frere et de leurs autres parens et amis, ot très grant doubte de sa personne et non pas sanz cause. Et de fait advint que, le lundi VIe jour du dit mois de septembre derrenierement passé, environ soulail recousant que icelui Voier se parti du dit lieu de Peyré pour aler au Moustiers sur le Loy, où il a de distance six grans lieues du dit païs, et esperoit aler pour abregier son chemin, au giste en l'ostel ou manoir de Jehan de Pont de Vie5, appellé Villeneuve, qui estoit parent de la feue femme du dit Voyer, pour soy conseiller et avoir advis avec lui de pluseurs choses qu'il avoit à besongner le lendemain au dit lieu de Moustiers ; et ainsi qu'il fu à lieue et demie loing de son hostel, entre le village de la Nirniere6 et la forest du dit lieu de la Roche, et plus près d'icelle forest environ volée d'assée ou de begasse,...7 cria : « Ribaut, vous mourrez», et traissit un grant badelaire qu'il avoit, en voulant ferir le dit Voyer; et l'eust mis à mort ou au moins très grandement blecié, s'il n'eust mis au devant s'espée et sa taloche, dont il receut et rabati les cops. Et combien que [p. 236] icelui Voyer deist au dit Bonnin telz mos ou semblables en substance: « Va ton chemin et me laisse aler le mien », toutesvoies ycelui Bonnin, en perseverant en son mauvaiz propos n'en voult riens faire, ains dist de rechief au dit Voyer qu'il regnioit Dieu s'il passoit oultre qu'il ne mourust, et par pluseurs foiz s'efforça de le ferir ; et de fait l'eust feru, se ne feust l'empeschement qu'il faisoit de s'espée et de sa taloche, comme dit est, et pourtant que le dit Bonnin ne se volt aucunement desister de son mauvaiz courage de poursuir et cuidier tuer le dit Voyer, ycelui Voyer voulant resister à la force et malice du dit Bonnin, doubtant qu'il eust aliance d'aucuns autres en la dicte forest en repellant force par force, fery de s'espée un cop sur la teste du dit Bonnin, tant que sanc en sailli. Et après se departirent et alerent le dit Voyer cheux le dit de Pont de Vie, et le dit Bonnin au dit lieu de la Nirniere, du quel lieu il se parti le lendemain et chevaucha jusques au dit lieu de la Roche, et d'illec jusques au dit lieu de Peyré, ou quel il demoura, ala et vint au Moustier et ailleurs, but et menga, et se gouverna moult desordonneement avec une chamberiere qu'il avoit, à laquelle il habitoit charnelment, sanz soy prendre garde de la dicte plaie, jusques au lundi après la saint Remi, un mois après le dit fait ou environ, qu'il cheut au lit malades. Et adonc vint par devers lui un très bon barbier de Chalant, qui visita la dicte plaie et dist audit Bonnin qu'il n'avoit garde et qu'elle n'estoit point mortelle, et le volt prendre à guerir, lui fist oster la dicte chamberiere, et en oultre lui dist que s'il maintenoit plus la vie qu'il avoit continuée par avant et depuis la recepcion de la dicte plaie, qu'il en seroit en grant peril. Dont icelui Bonnin ne volt croire le conseil du dit barbier, ne ycelui retenir ne plus faire venir par devers lui, ains reprist la dicte chamberiere et vesqui jusques au venredi après la Toussains, Ve jour de novembre lors ensuivant derrenierement passé, et par ainsi vesqui en tout après le [p. 237] dit cop deux mois ou environ, au quel jour de venredi il est alé de vie à trespassement. Pour occasion duquel fait, le dit Nicolas Voyer, doubtant rigueur de justice, s'est absenté du païs, et n'y oseroit jamais retourner ne converser, se par nous ne lui estoit sur ce impartie nostre grace et misericorde, si comme ses diz amis dient, implorans humblement ycelle. Pour quoy nous, ces choses considerées, et que le dit Voyer, tant à cause de certain procès qu'il a ou espere avoir en la court de nostre Parlement comme autrement, feust quant le dit Bonnin l'assailli et soit de present en nostre sauvegarde especial, deuement publiée et signifiée, et que en tous autres cas il a esté et est homme de bonne vie, renommée et honeste conversacion, sanz avoir esté reprins d'aucun autre villain blasme ou reprouche, etc., à ycelui Nicolas Voyer ou cas dessus dit avons quicté, remis et pardonné, etc. Si donnons en mandement au bailli de Touraine et des ressors et Exempcions d'Anjou, du Maine et de Poitou, et à tous noz autres justiciers, etc. Donné à Paris, ou moys de mars l'an de grace mil CCC IIIIXX et quinze, et de nostre regne le seziesme. Par le roy, à la relacion du conseil. J. Hue.


1 Plusieurs membres de cette famille, Huguet Voyer, Jean Voyer, valet, etc., figurent sur le registre des aveux des châtellenies de Belleville, la Garnache, Châteaumur et Beauvoir-sur-mer, rendus à Jean, duc de Normandie, comte de Poitiers, en 1344. (Arch. nat., P. 594, fol. 35, 42 et 47.) Marguerite de Voyer, dame de Boulie, était veuve, le 1er décembre 1347, de Pierre de Jaunay, chevalier. (X1A 12, fol. 145 v°.)
2 Ce nom est écrit aussi Breneen ou Berneen. Dans plusieurs montres entre le 1er juin 1379 et le 1er août 1380, passées à la Bastide de Saint-Gouëno, à Brest, à Montrelais, à Ploërmel et à Château-Josselin, Pierre de Breneen est constamment nommé parmi les écuyers de la compagnie d'Olivier de Clisson. (Dom Morice, Hist. de Bretagne, Preuves, t. II, col. 189, 204, 206, 208, 246, 254.) On lira plus loin des lettres de rémission accordées en avril 1398 à ce capitaine de la Roche-sur-Yon, pour complicité dans un rapt.
3 La terre et châtellenie de la Roche-sur-Yon faisait partie de l'apanage de Louis de France, duc d'Anjou, second fils du roi Jean. Par son traité de mariage avec Marie de Blois, fille de Charles de Blois, duc de Bretagne (Saumur, août 1360), ce prince bailla à son épouse, pour asseoir son douaire, la baronnie de Château-du-Loir et la châtellenie de la Roche-sur-Yon. (PP. 33, fol. 113 v°.) On a vu comment cette ville tombée au pouvoir des Anglais en 1369, par suite de la trahison du capitaine nommé par le duc d'Anjou (t. III, p. 387-389 et t. IV, p. 53-54), fut reprise en 1373, grâce aux efforts d'Olivier de Clisson, qui dirigea les opérations du siège de mai à juillet de cette année (t. IV, introd., p. XLV). Quelque temps après, la date exacte n'est pas connue, Louis d'Anjou, reconnaissant devoir 12.OOO livres au sire de Clisson, lui engagea jusqu'au payement de cette somme la ville, terre et châtellenie de la Roche-sur-Yon; celui-ci en resta seigneur jusqu'à sa mort (1407), après quoi l'une de ses filles, Marguerite, comtesse de Penthièvre, fut confirmée comme dame engagiste par la duchesse d'Anjou, douairière. Ce fut le 8 août 1414 que la somme de 12.000 livres lui ayant été payée, la Roche-sur-Yon fit retour au domaine d'Anjou. (Quittance de ladite somme, Arch. nat., P. 1340, n° 504.)
4 Il s'agit sans doute de l'expédition que le connétable de Clisson dirigea contre le duché de Bretagne, dans le courant de l'année 1394, ou de l'armée levée par le duc pour résister à cette agression. Pendant cette campagne, Clisson assiégea et prit le château du Perrier et Saint-Brieuc, où il fut à son tour assiégé par le duc de Bretagne. Une sentence du duc de Bourgogne, choisi pour arbitre du différend, fut rendue le 24 janvier 1395 et mit fin aux hostilités. (Dom Morice, Hist. de Bretagne, in-fol., t, I, p. 419-422.)
5 Un Pierre de Pont-de-Vie rendit aveu en 1344 à Jean duc de Normandie, comte de Poitou, pour la tierce partie de la dîme, du terrage des blés et autres droits, au village de la Brosse, situé dans la châtellenie de Belleville. (P. 594, fol. 65 v°.) Frère Jean de Pont-de-Vie, prieur de Fontaines, fut présent à l'enquête faite à Talmont-sur-mer, le 11 août 1364, par ordre du prince de Galles, sur l'état mental de Louis vicomte de Thouars. (Cartulaire de l'abbaye d'Orbestier, t. VI des Arch. hist. du Poitou, p. 250.)
6 Lecture douteuse. On pourrait aussi bien lire la Nivière.
7 Le scribe en cet endroit a évidemment omis une ou plusieurs phrases, annonçant ou expliquant la présence de Nicolas Bonnin qui surprend son ennemi.