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DCCLXX

Rémission accordée à Jean Prévost, écuyer, maître d'hôtel de l'évêque de Luçon, qui, voulant punir la désobéissance de son valet, l'avait frappé si malheureusement que celui-ci en était mort quelques jours après.

  • B AN JJ. 143, n° 59, fol. 32
  • a P. Guérin, Archives historiques du Poitou, 24, p. 81-84
D'après a.

Charles, par la grace de Dieu roy de France. Savoir faisons à touz, presens et avenir, de la partie de Jehan Prévost, [p. 82] escuier1, demourant ou pays de Poitou, à nous avoir esté humblement exposé comme, le jour de la Trinité derrenierement passée, le dit exposant estant maistre d'ostel de nostre bien amé l'evesque de Luçon2, ou dit pays de [p. 83] Poitou, pour certaines causes à ce le mouvans, eust defendu à un sien varlet et serviteur, appellé Payraut, que il ne feust si hardiz de venir ne entrer ou chastel de la Ganasche, ou quel estoit lors le dit evesque de Luçon, et aussi le dit exposant qui le servoit au souper cellui jour, mais parce que non obstant la dicte defense le dit Payraut vint et entra ou dit chastel, le dit exposant son maistre, iré et couroucié de ce que son dit varlet n'avoit obey à son commandement, vint à lui et lui demanda par quoy fait l'avoit; lequel Payraut, varlet du dit exposant, sanz faire sur ce aucune response, se print à fuir et fort courir, dont il desplut au dit exposant, qui par ce le poursuy, et en courant lui frappa un seul coup de la main ou du poing par derriere la teste, par le moyen du quel cop le dit Payraut ala urter et fraper de sa dicte teste à rencontre d'un mur ou paroit, sanz ce toutevoies qu'il se feist sang ne plaie. Et ce fait, sanz plus touchier le dit Payraut, le dit exposant son maistre s'en retourna par devers le dit evesque, et le dit Payraut s'en ala en la ville de la Ganache à l'ostel où estoit logié le dit exposant, son maistre, et illec but et menga, et gouverna les chevaux du dit exposant, et fist toutes euvres que homme sain et non malade peut et doit faire. Et le lundi ensuivant, monta à cheval le dit Payraut et chevaucha du dit lieu de la Ganache jusques à Chalant3, et d'ilecques à la Voiriere, au quel il disna, but et menga, sanz ce qu'il se dolut aucunement ; et après retourna au dit lieu de Chalant, où il joua à la paume, et y but et menga, et revint cellui dit jour au souper à Vilates 4 et d'illec s'en [p. 84] ala au giste au dit lieu de Chalant. Et le mardi matin ensuivant, s'en parti dudit lieu de Chalant et s'en vint à Saint Hilaire de Rié, distant d'illecques par trois grans lieues, et là soupa, joua à la paume et fist toutes euvres de homme sain et non malade. Et les jours de mercredi, jeudi, venredi, samedi, dimenche et lundi ensuivans, pareillement chevaucha de lieu à lieu, but et menga et fist toutes euvres de homme sain, sanz ce qu'il feist aucun signe de soy doloir, jusques au dit lundi que il fu à un lieu appelle le Gros Brueil, et illecques cheut au lit malade, et illecques vesqui après ce IX jours, aians tousjours bonne parole et memoire, et à la fin des diz IX jours ala de vie à trespassement. Pour occasion du quel fait, le dit exposant, doubtant rigueur de justice et le cas dessus dit lui estre imputé, se absenta du pays, ou au moins n'oseroit converser et soy faire veoir si comme il a acoustumé, se sur ce par nous ne lui estoit impartie nostre grace, si comme il dit, suppliant humblement que, comme en tous cas il ait tousjours esté et soit homme de bonne vie, renommée et honneste conversacion, non souspeçonné, convaincu ne actaint d'aucun mauvais cas ou villain reprouche, que sur ce lui vueillons impartir nostre dicte grace. Pour quoy nous, attendu ce que dit est, voulans misericorde preferer à rigueur de justice, audit exposant ou dit cas avons quictié, remis et pardonné, etc. Si donnons en mandement au bailli de Touraine et des ressors et Exempcions d'Anjou, du Maine et de Poitou, et à touz noz autres justiciers, etc. Donné à Paris, ou moys de juillet l'an de grace mil CCC IIIIXX et douze, et le XIIe de nostre regne.

Par le roy, à la relacion du conseil. J. Budé.


1 On rencontre dans les textes, à la fin du XIVe siècle, plus d'un personnage portant ce nom et ce prénom. Comme il y eut plusieurs familles nobles différentes du nom de Prévost, établies en Poitou, et que leurs généalogies n'ont pas été dressées avec exactitude, il est le plus souvent fort difficile de s'y reconnaître et de donner une identification certaine. Ce que l'on peut dire, c'est que le maître d'hôtel de l'évêque de Luçon appartenait à la famille vendéenne dont descendait notre regretté confrère M. le comte Louis de la Boutetière. (Voy. Saint-Allais, Nobiliaire universel de France, t. X, p. 266, et la généalogie des Prévost, seigneur de la Boutetière et de Saint-Mars-des-Prés, publiée dans les Mémoires de la Société d'émulation de la Vendée, 2e année.) — Un incident qui n'est pas relaté dans les lettres de rémission, nous est revélé par les registres du Parlement. Jean Prévost avait été décrété de prise de corps et arrêté par Pierre Maynart, sergent du roi en Poitou, qui devait l'amener à Paris. En route, il parvint à s'échapper, et son gardien fut soupçonné de connivence dans l'évasion. Celui-ci, pour se disculper, fit tant qu'il réussit à s'emparer de nouveau de son prisonnier et le conduisit à la Conciergerie. (Voy. ci-dessous, le n° DCCLXXI, p. 85, note relative à Pierre Maynart.)
2 L'évêque de Luçon dont il s'agit, était Etienne de Loypeau, promu à ce siège le 4 mars 1388 et qui l'occupa jusqu'au 13 septembre 1407, date de sa mort, suivant la Gallia christiana (t. II, col. 1409). Un exemplaire du Missel ou Pontifical de ce prélat donne la date exacte de sa consécration comme évêque ; elle eut lieu au grand autel de l'église de Saint-Hilaire à Poitiers, le 15 mars 1387 (1388 n.s.). (Bibl. nat., ms. latin 8886, fol. 289 v°.) Chapelain du duc de Berry, il avait été pourvu par ce prince de l'office de trésorier de l'église collégiale de Saint-Hilaire de Poitiers, qu'Olivier de Martreuil prétendait exercer en vertu d'un don du roi remontant à 1369. Deux autres compétiteurs, Jean de Villiers, chanoine de Chartres, et Gérard de Magnac, le réclamaient en même temps. Le Parlement fut saisi de ce différend (1376 mai — 1378 avril), qui se termina par le désistement volontaire de Jean de Villiers et d'Olivier de Martreuil et la condamnation des prétentions de Gérard de Magnac, (X1A 25, fol. 220, 221 v° ; X1C 36 ; cf. notre t. IV, p. 3 note.) Loypeau demeura trésorier de Saint-Hilaire jusqu'à son élévation à l'épiscopat. On conserve dans les archives de ce chapitre des lettres patentes de Jean de France, comte de Poitou, affranchissant son premier chapelain, trésorier de Saint-Hilaire, des droits de barrage et entrage en la ville de Poitiers. (1377. Archives de la Vienne, G. 1002.) Ce prince lui fit don, le 14 janvier 1381 n.s., de quelques reliques tirées de la chapelle du roi à Paris, qu'il céda ensuite à la collégiale. (Coll. dom Fonteneau, t. XI, p. 561.) Le même recueil contient encore deux actes intéressant ce personnage en sa qualité d'évêque de Luçon, l'un du 2 juillet 1399, l'autre du 3 décembre 1402 (tomes XIV, p. 307, et XXIII, p. 527), et les Archives de la Vienne, des titres relatifs à des acquisitions par lui faites de maisons et terres à Neuville (G. 1067). Un procès que l'évêque de Luçon soutenait contre le prieur d'Esnandes fut réglé par arrêt du 29 novembre 1404. (Arch. nat., X1A 52, fol. 293 v°.) Rappelons en terminant que M. Léopold Delisle a découvert, il y a quelques années, à Bayeux, un second exemplaire du missel d'Etienne de Loypeau, dont il a donné une intéressante description dans la Bibl de l'Ecole des Chartes, tome XLVIIl, année 1887, p. 527.
3 Le texte porte en cet endroit « Chavant » ou « Chanant ».
4 En tête de l'ouvrage intitulé : Des Villates en France et aux Pays-Bas, notes généalogiques recueillies par deux arrière-neveux, le comte L. de la Boutetière et A.-J. Enschedé (Haarlem, 1881), se trouve la reproduction d'un dessin représentant les ruines du château des Villates, près de Chantonnay (Vendée), en 1879.