[p. 243]

DCCCXIX

Rémission accordée à Mathurin de Gascougnolles, écuyer, qui, en voulant défendre un homme attaqué qui s'était mis sous sa protection, avait frappé à mort d'un coup d'épée Guillaume Gouin, bâtard du curé de Chey1.

  • B AN JJ. 149, n° 195, fol. 105 v°
  • a P. Guérin, Archives historiques du Poitou, 24, p. 243-247
D'après a.

Charles, etc. Savoir faisons à tous, presens et avenir, nous avoir receue l'umble supplicacion de Mathelin de Gascougnolle2, escuier, aagé de trente ans ou environ, fils legitime [p. 244] de Jehan [de] Gascoignolle3 escuier, contenant que comme, environ le venredi prouchain devant la saint Michiel l'an mil CCC IIIIXX et quatorse, le dit suppliant, pour et ou nom de son dit pere, feust en un fief appellé la Vessete4 touchant ou bailliage de Saint Ligier et de Melle, pour faire vendengier et recevoir le quart pour droit de complant [p. 245] seignorable, à lui appartenant en la vendange et fruiz du dit fief, et en sa compaignie estoit un autre gentil homme appellé Guillaume Bonnin5, demourant au dit Melle, teneur du dit fief, et eulx ensemble pour ce que le dit suppliant oy un grand effroy et crier au murtre, se parti et transporta jusques à un pas ou ouverture du dit fief, ou quel son dit pere avoit acoustumé de recevoir son droit du dit comptant, et trouva un homme appellé Arnault Gaucher6, demourant au dit Saint Ligier, le quel il avoit laissié et ordené ou dit lieu, pour et ou nom de son dit pere, pour recevoir le droit du dit complant avec certains teneurs du dit fief et autres, aus quelz il demanda que c'estoit, les quelz lui respondirent que c'estoit un varlet à cheval appellé Guillaume Gouin7, et tenoit l'en nottoirement au païs le dit Guillaume estre filz du curé de Cheis8, lequel Guillaume Gouin s'estoit lassez à batre d'un grand cousteau Jehan Grossart du vilaige de Parchumbaut9, teneur du dit fief, sanz ce que le dit Jehan lui eust fait mal, fors seulement, si comme l'en dit, pour occasion de ce que le dit Jehan Grossart qui menoit une jument chargée de vendange ne se volt pas remuer ne destourner de la voie du dit Gouin, et combien que ycellui Gouin eust batu le dit Jehan Grossart, filz du dit teneur, et que par sa force et doubte lui eust fait laissier le chemin royal et publique, toutesvoies en perseverant en son oultrage et mauvais propos il se efforça de vouloir recouvrer et batre derechief le filz du dit [p. 246] teneur et couroit après lui à cheval, le couteau ou poing, et esperoit le filz du dit teneur que de fait l'eust occis et tué, se il ne s'en feust fouys vers ledit suppliant; et en fuiant celle part devant le dit Gouin pour doubte de mort, icellui Jehan Grossart, filz du dit teneur, dist pluseurs foiz en criant « au murtre, Mathelin, Mathelin, l'en me veult tuer », et se gecta à terre aus piez du dit suppliant tout envers, afin qu'il le gardast de mort contre le dit Gouin10. Et lors le dit suppliant, veant que le dit Gouin, qui chevauchoit hastivement en tenant en son poing un cousteau tout nu, et qu'il estoit mal meu et en voulenté de mal faire ou de tuer le dit Jehan Grossart, filz du teneur du pere du dit suppliant, comme dessus est dit, le quel suppliant, pour [amour] et affinité qu'il avoit au dit Grossart, dist au dit Gouin deux ou trois foiz qu'il meist son cousteau en sa gaine; et adonc ycellui suppliant, meu et couroucié de son dit amy, le quel avoit ja esté batu et villené comme dit est de chaude cole frapa un seul coup d'espée le dit Gouin sur la teste, après ce que ycellui Gouin eust mis son coustel en sa gaine11, du quel coup ycellui Gouin acoucha malade au lit où il fu quatre ou cinq jours, et après se leva et s'en ala jouer hors de son hostel, environ un trait d'are loing où il fu la greigneur partie du jour, et en soy retournant en son hostel, chey très rudement à terre et tant que au cheoir il se froissa la teste très rudement et telement [p. 247] qu'il convint qu'il se racouchast au lit malade, et ne vesqui après ce que neuf ou dix jours, en la fin des quelz jours, pour la cheoite et freseure que le dit Gouin se fist en sa dicte teste, il ala de vie à trespassement, et non pas de la navreure que le dit suppliant lui fist12. Mais ce non obstant le dit suppliant, pour occasion du dit fait, doubtant rigueur de justice, s'est absentez du païs ou quel il n'oseroit seurement converser, demourer ne habiter, se nostre grace ne lui estoit sur ce impartie, si comme il dit, en nous humblement suppliant, veu qu'il a fait pais et satisfacion à partie et que le dit fait advint pour cas de fortune et de chaude cole, sans ce que le dit suppliant eust au paravant content ne noise à ycellui feu Gouin, mais estoit de petit gouvernement, rioteux et noiseus au païs, et aussi que le dit suppliant a pour tout son temps esté de bonne fame, renommée et conversacion honneste, sans avoir esté repris, convaincu ne actains d'aucun autre villain blasme, nous lui veillons sur ce impartir nostre dicte grace. Pour quoy nous, ces choses considerées, etc., au dit suppliant ou cas dessus dit avons quicté, remis et pardonné, etc. Si donnons en mandement au seneschal d'Angoulesme13 et à tous noz autres justiciers, etc. Donné à Paris, ou moys d'avril l'an de grace mil CCC IIIIXX et seize14, et de nostre regne le seziesme. Par le roy, à la relacion du conseil. Chaligaut.


1 Mathurin de Gascougnolles avait obtenu un an auparavant déjà des lettres de rémission pour cet homicide. (Paris, mars 1395 n. s., JJ. 147, n° 148, fol. 68 v°.) Il est vraisemblable qu'il ne put les faire entériner parce que les faits n'y étaient pas rapportés avec une exactitude scrupuleuse (on verra tout à l'heure en quoi la première version différait de la seconde), et qu'il fut obligé d'en solliciter d'autres plus véridiques, quoique ces dernières ne fassent aucune mention des précédentes. Il n'a pas paru nécessaire d'imprimer le texte des lettres de mars 1395, celles d'avril 1396 étant nécessairement plus explicites et en tout cas plus exactes. Cependant nous avons noté les variantes qui en valent la peine.
2 On ne trouve guère dans les ouvrages imprimés de renseignements sur cette ancienne famille de chevalerie, dont la branche aînée s'éteignit dès le milieu du XIVe siècle. Vers ce temps, la maison de Melle (du Melle et du Merle dans les textes de l'époque) hérita de la terre de Gascougnolles. Maingot de Melle, chevalier, qui en devint seigneur, en rendit aveu, au mois de juillet 1365, à Thomas de Wodestock, fils du roi d'Angleterre Edouard III, puis, le 8 février 1377 n. s., à Jean duc de Berry, comte de Poitou. (Grand-Gauthier, copie du XVIIIe siècle, aux Arch, nat., R1* 2171 p. 245, et 2173, p. 1708.) Il mourut sans enfants, après 1380, et Gascougnolles passa à Charlotte, l'une de ses sœurs, qui l'apporta en dot à son mari Jean d'Argenton, seigneur d'Hérisson. Leur fille unique et héritière Marie d'Argenton épousa Jean de Torsay, et celui-ci devint à cause d'elle seigneur de Gascougnolles, dont il fit hommage, à la fin de 1418, à Charles dauphin et comte de Poitou (P. 1144, fol. 52). On voit ici et dans un acte de juillet 1402, publié ci-dessous, que les membres alors existants, représentant les branches cadettes de la famille de Gascougnolles, étaient encore établis dans la contrée ou elle avait pris naissance. Jean de Gascougnolles, écuyer, seigneur de la Taillée, père de Mathurin et de Jean, était tombé en démence à la suite de blessures reçues à la guerre, au dire d'un de ses parents, Jean des Coutaux (X2A 14, fol. 333), et son second fils se trouvait dans le même état mental. Tous deux vivaient dans l'hôtel et sous la garde de Mathurin, qui gouvernait leur fortune. Celui-ci n'était pas marié, quand il périt assassiné par Jacques de Saint-Gelais, Jean Rogre et Jean Gaschier, le jour de la Saint-Jean-Baptiste, 24 juin 1402. Les détails de ce crime se liront plus loin dans les lettres de rémission accordées aux meurtriers et dans les notes dont elles sont accompagnées. Une sœur de Mathurin et de Jean de Gascougnolles, nommée Philippe, avait épousé Philippe du Poix, dont il sera question en cet endroit. Leur autre frère, Pierre de Gascougnolles, était seigneur de Gagemont, mouvant de Melle, dont il rendit aveu au duc de Berry, le 20 octobre 1404 (R1* 2173, p. 1801 bis). Le même, en qualité de tuteur de la fille mineure de Pierre Mesleau, fit hommage au même prince d'une maison sise à Benet, le 13 février 1407 n. s. (Id. 2172, p. 1021.) Ce Pierre de Gascougnolles mourut avant le 14 août 1433, laissant un fils mineur sous la tutelle de Jean des Coutaux, fils qui se nommait Mathurin, comme son oncle, dont il recueillit l'héritage. (X2A20, fol. 62.) Enfin une Jeanne de Gascougnolles était en 1418 femme de Pierre de Quarroy, auquel elle avait apporté la terre de Gagemont, ce qui autorise à la dire fille et héritière de Pierre de Gascougnolles (P. 1144, fol. 51.)
3 Var. « Jehan de Gascoignoile , seigneur de la Taillée ». (JJ. 147.)
4 Var. « La Bessère », sans indiquer la situation.
5 Dans JJ. 147, le nom de ce gentilhomme n'est pas exprimé. Guillaume Bonnin mourut un peu avant le 23 février 1407 n. s., car l'on trouve à cette date dans le Grand-Gauthier un aveu de divers fiefs et droits à Lusseray, mouvant de Melle, rendu par Jean de Clairvaux, valet, qui se dit son héritier. (R1* 2173, n. 1738-1754.)
6 Ce nom ne se trouve pas non plus dans les lettres de mars 1395.
7 Même observation.
8 Add. « derrenierement trespassé. » (JJ. 147.)
9 Var. « appellé Guillaume, gendre d'un appellé Palain de Melle. » (JJ. 147.) Parchimbault est aujourd'hui un hameau dépendant de la Cne de Melle.
10 Tout ce passage est beaucoup moins explicite dans JJ. 147.
11 Var. « Et lors icellui Mathelin dist au dit fils du dit feu curé par deux foiz qu'il remeist son coustel ou son espée en sa gayne, lequel n'en voult riens faire ». On voit la différence des deux versions. Dans la première, Mathurin de Gascougnolles se gardait d'avouer qu'il avait frappé Guillaume Gouin, après que celui-ci eut obéi à sa sommation et remis son épée au fourreau, c'est-à-dire quand ni son protégé ni lui n'avaient plus rien à craindre, ce qui augmentait gravement sa culpabilité. C'est ce qui explique, selon toute apparence, pourquoi le suppliant ne put faire entériner sa première rémission, obtenue sur une fausse déclaration, et qu'il aut s'en faire délivrer une seconde pour se mettre définitivement à l'abri des poursuites et de la peine qu'il avait encourue.
12 Tout ce passage, depuis « du quel coup ycellui Gouin... » ne se trouve pas dans les lettres de mars 1395. On y lit seulement que ledit Mathurin donna un coup d'épée sur la tête de son adversaire, « et dedens huit ou neuf jours après ou environ, le dit feu Guillaume filz du dit feu curé, est alé de vie à trespassement. Et à sa mort dist et confessa à pluseurs gens dignes de foy que c'estoit en son défaut qu'il mouroit. »
13 Var. « au bailli de Touraine et des ressors et Exempcions d'Anjou, du Maine et de Poitou... » (JJ. 147.)
14 En 1396, Pâques fut le 2 avril.