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DCCLIV

Rémission accordée à Jean Moynet qui, pour infliger une correction à sa fille âgée de treize ans, l'avait enfermée dans un tonneau où elle était morte asphyxiée.

  • B AN JJ. 140, n° 294, p. 346
  • a P. Guérin, Archives historiques du Poitou, 24, p. 44-47
D'après a.

Charles, etc. Savoir faisons à tous, presens et avenir, de la partie des parens et amis charnelz de Jehan Moynet, povre laboureur demourant ou païs de Poitou, chargié de III petiz enfans, à nous avoir esté humblement exposé, comme il eust une fille de [son] mariage, appellée Jehanne Moynete, aagée de XIII ans ou environ, à la quelle ledit Jehan Moynet portoit et avoit tousjours porté très grant amour et dilection, et icelle traictié humainement, comme bon pere doit faire sa fille, en lui administrant sesalimens de vivre et soustenant son estat de vesteure telz que à elle appartenoit; et par ce que sa dicte fille faisoit et avoit encommencié faire pluseurs mauvaises enfances1, estoit cappable de mal engin et malice, gastoit et discipoit les biens et vivres de son dit pere, tant en son hostel comme chieux aucuns de ses voisins, où elle avoit pourchassié grant congnoissance, et qu'elle s'estoit par pluseurs foiz, quant elle se sentoit forfaite, rendue fugitive, et aussi pour avoir plus grant atrès de faire ses voulentez, hors de la [p. 45] compaignie de son dit pere et de son hostel, telement et si occultement que son dit pere ne ses amis ne savoient aucunes foiz qu'elle estoit devenue, et souventes foiz convenoit que ceulz qui avoient congnoissance à son dit pere, l'en ramenassent à son hostel, ou autrement jamaiz elle n'y retournast, le dit pere, desirant pourveoir à son povoir à la correction de sa dicte fille et à lui bailler voie de bon gouvernement, et afin de la repeller de ses mauvaises entreprises et malices acoustumées, se feust efforcié de la corriger et monstrer ses defaulz par pluseurs foiz, les aucunes par enseignemens de paroles et par bateure de petites vergetes, et les autres foiz en la faisant tenir enclose en son hostel, ayant consideration que pour aucuns de ses chastiz sa dicte fille prenroit bon gouvernement, dont elle et tous ses amis pourroient estre joieux et mieulx valoir ; et il soit ainsi que, après ces choses, ou mois de may derrenier passé, un jour environ les octaves de Penthecouste,la dicte fille qui rienz ne prisoit les chastiz, corrections et bons enseignemens par son dit pere à elle donnez, voulant tousjours acomplir ses voulentez et propos, et perseverer en son mauvaiz commencement, au desceu de son dit pere et senz aucune cause raisonnable, se departi de sa compaignie et de son hostel et s'en ala à un village appellé Mauteré, distant de demie lieue ou environ du dit hostel, et illecques se tint par l'espace d'un jour ou environ, et tant qu'elle fu apperçue et congneue d'aucuns des habitans ou dit village, lesquelz, pour amour et congnoissance qu'ilz avoient au dit pere, la ramenerent à l'ostel du dit Moynet, pere de la dicte fille. Le quel son pere, triste et courroucié, ignorant où sa dicte fille s'estoit transportée, considerant que les enseignemens et corrections, le temps passé donnez à sa dicte fille, elle n'avoit en riens prisié ne par iceulz delaissié sa mauvaise voulenté, maiz touz jours y perseveroit, ymaginant lui donner autre correction, et punicion, afin de l'en retraire et amender, un jour de [p. 46] lundi au soir après les dictes octaves, regarda en son hostel et vit un tonneau clos, fors que par dessus avoit un huisset qui se cloit et fermoit quant l'en vouloit, parmy la quelle fenestre une personne peust entrer et issir; ou quel tonneau avoit un pou de rappé, senz vin ne eauë; et par maniere de punicion et correction donner à sa dicte fille et icelle espoventer, qu'elle ne retournast derechief à son mauvaiz gouvernement, lui commanda qu'elle entrast tantost dedens le dit tonneau, la quelle incontinent entra par dedens; et icelle entrée, le dit Moynet, pere de la dicte fille, croiant que le treu ou esvantoir par my le quel l'en mettoit et avoit acoustumé mettre le vin ou dit tonnel feust ouvert, ferma le dit tonneau du dit huisset tout ainsi qu'il avoit acoustumé. Et pou après, celle mesmes nuyt, le dit Moynet, desmeu et retourné du courroux et ire devant diz, ymaginant que sa dicte fille avoit assez demouré, par quoy elle auroit doubte et crainte d'entreprendre d'ilecques en avant ce que fait avoit paravant, revint audit tonneau et ouvry le dit huissiet, et commanda à sa dicte fille qu'elle issist dehors et necontinuast plus sa mauvaise vie. Et par ce que sa dicte fille ne sonna mot ne ne parla à lui aucunement, il cuida qu'elle feust issue dehors senz son congié et eust arrieres refermé le dit huisset, et la cercha par my l'ostel; et par ce que trouver ne la pot, revint arrieres au dit tonneau et leva ledit huissiet, et lors trouva que sa dicte fille estoit alée de vie à trespassement, dont il fu dolent et courrouciez. Pour la quelle cause le dit Moynet, doubtant rigueur de justice, s'est absenté du païs et a enmené avecques lui un sien filz, appellé Philippon, et a laissié ses deux autres petiz enfans en très grant mandicité et povreté, et n'ose retourner au païs; et pour ce est en voie d'estre du tout perduz, se sur ce ne lui est impartie nostre grace, de la quelle il nous a fait humblement supplier. Pour quoy nous, etc., au dit Moynet, etc., avons remis, etc... Si donnons en mandement à tous noz [p. 47] justiciers et à chascun d'eulz, etc... Donné à Paris, ou mois de juing l'an de grace mil CCC IIIIXX et onze, et le XIe de nostre regne.

Par le roy, à la relacion du conseil. Freron.


1 Enfantillages, légèretés de conduite.