DCCCXXXII
Rémission accordée à Jean Bobet de la Chapelle-Hermier, poursuivi pour participation au meurtre de Jean Maigrebeuf, chanoine régulier, prieur de la Chapelle-Hermier, assassiné par frère James Joudouin, religieux dudit prieuré, qui se vengeait d'avoir été excommunié.
- B AN JJ. 151, n° 261, fol. 129
- a P. Guérin, Archives historiques du Poitou, 24, p. 276-280
Charles, etc. Savoir faisons à tous, presens et avenir, à nous avoir esté humblement
exposé de la partie de Jehan Bobet, povres homs, laboureur de bras, demourant en la
parroisse de la Chapelle Hermer en Poitou, comme le dimanche prouchain d'après la
feste de la Trinité derrainement passé, le dit exposant et pluseurs autres, lors
estans ensemble et en une compaignie feussent alez pour soupper en un hostel de la
dicte ville de la Chappelle, chex un [p. 277] appellé Guillaume de la Saunerie de la
dicte parroisse, lequel avoit et tenoit communement pain et vin à vendre, et advint
que celui soir bien tart vint ou dit hostel un appellé frere Jehan Maigrebeuf, chanoine
regulier et prieur du dit lieu de la Chapelle1, et après ce qu'il fu ainsi arrivé et assis pour soupper avec la
compaignie ou autrement, survint tantost après un peu de temps un autre chanoine
appellé frere Jasme Joudouin, qui avoit une espée sainte à son costé, et incontinent
qu'il fu ainsi survenu sur la dicte compaignie, et qu'il ot advisié ledit prieur, il
sacha la dicte espée toute nue et s'adreça au dit prieur, en lui disant ces paroles :
« Ribaut moine, vous m'avez fait excommenier, mais par le sanc Dieu ! vous mourrez
à present », et le voult frapper de la dicte espée. Mais le dit exposant et les autres
qui estoient au dit soupper se leverent tantost et firent tant qu'ilz garderent tost
le dit frere Jasme de villener ou navrer le dit prieur, et firent tant le dit exposant
et les autres dessus diz que le dit frere Jasme se parti de leur presence. Et dist
icelui exposant au dit prieur qui s'en vouloit aler à l'ostel de son dit prioré, qu'il
ne s'en alast point du dit hostel de toute celle cerée et nuitée, car en vérité il se
doubtoit que se icelui prieur s'en aloit, il seroit en grant aventure que icelui frere
Jasme lui feist villenie du corps. Le quel prieur respondi lors au dit
exposant : « Fi ! je ne le crains pas maille. Je ne laisseray pas pour lui à, m'en
aler ou à demourer, lequel que mieux me plaira », et fina- blement se parti ledit
prieur et s'en ala à son dit hostel. Et quant il fa ainsi parti pour s'en aler, le dit
exposant et les autres de la compaignie detindrent bien environ l'espasse [p. 278]
d'une heure le dit frere Jasme, afin qu'il n'alast après et qu'il ne recontrast le
dit prieur. Et après ce qu'il lorent ainsi longuement detenu et acompté, il dist au dit
exposant et à un autre nommé Guillaume Morisson, en ceste maniere : « Enfans, il faut
que vous veniez avec moy chex le prieur ». Lequel exposant lui respondi qu'il n'y
iroit point, et après ce le dit frere Jasme se departi tantost du dit hostel et de la
compaignie du dit exposant et autres dessus diz, et s'en ala vers l'ostel du dit
prieur. Lequel exposant, veant que le dit frere Jasme qui estoit tout esmeu de chaleur
à l'encontre du dit frere prieur, s'en aloit à l'ostel du dit prieur, pour le batre et
injurier, dist au dit Morisson : « Morisson, alons après cest homme, car s'il va ou
prioré et il trouve le prieur, il le pourra bien tuer, et je me doubte que nous en
soions accusez et en péril, pour ce qu'il a souppé en nostre compaignie. » Les quelx
exposant et Morisson, comme simples et ygnorans, en bonne esperance, alerent après le
dit frere Jasme au dit prioré bonne piece après. Et quant ilz furent là, ilz virent et
entendirent de bien loing les diz prieur et frere Jasme qui s'entrebatoient, et par ce
entrerent ou dit prieuré, et trouverent le dit frere Jasme qui tenoit la dicte espée
toute nue en son poing, et le dit prieur jà abatu et cheu à terre et en la place par
la force des horions et autres bateures que le dit frere Jasme lui avoit fait.
Ausquelz exposant et Morisson il dist incontinent qu'il les vit ces paroles : « Avant,
avant, venez ça, aidiez moy à batre ce ribaut moyne, ou par le sanc Dieu, vous le
comparrez ». Lequel exposant lui respondi ce qui s'ensuit : « Sire, par ma foy, c'est
mal fait en vérité, nous n'y toucherons jà, encores en avez vous trop fait ». Après la
quelle response, le dit frere Jasme s'adreça au dit exposant, la dicte espée toute nue
en sa main et lui dist les moz qui s'ensuivent ou pareilz en substance : « Par le sanc
Dieu, ribaut, en despit de ce que tu en as dit, tu frapperas dessus ou tu mourras en
ceste heure. » Et lors le dit exposant [p. 279] , pour la doubte qu'il ot du dit
frere Jasme, prist un petit baston et en frappa deux cops le dit prieur par les
jambes, lui estant ainsi abatu à terre de la bateure du dit Jasme. Et après ce, se
leva le dit prieur et s'en issy hors de son dit hostel et s'en ala près d'illec, chez
un sien mestoier; mais tantost que le dit frere Jasme, que les diz exposant et
Morisson avoient arresté pour le faire refroidir, apperceut que le dit prieur s'en
aloit et partoit de la place, il le poursui et ala après, et les diz exposant et
Morisson s'en alerent hors du dit prioré et ne suirent oncques plus. De laquelle
bateure dessus dicte, avec ce que il n'avoit pas grandement que le dit prieur, qui
estoit de très petit gouvernement, avoit esté aussi batu par un nommé Savary et
telement qu'il n'estoit pas encores guery des plaies qu'il lui avoit faictes, et ne
s'en vouloit laisser gouverner ne curer, ne aussi de celes que le dit frere Jasme lui
avoit faictes, mort s'ensui en la personne du dit prieur, environ dix jours après la
dicte bateure du dit frere Jasme. Lequel prieur, estant malade de la bateure dessus
dicte, dist que ce que le dit exposant lui en avoit fait, il l'avoit fait à force et
malgré sien et qu'il ne lui en demandoit riens et l'en quictoit. Pour la quelle
bateure et mort dessus dictes, le dit exposant a esté pris par la justice de nostre
bien amé le viconte de Rochechouart à Aspremont2 en Poictou et
mis ès prisons du dit lieu d'Aspremont, où il a esté longuement detenu et encores est,
à grant misere et povreté, et est en voye d'y finer briefment ses jours, et avec ce
doubte que on vueille proceder contre lui par voie de rigueur de justice ou autrement,
si sur ce ne lui est [pourveu] de nostre grace et misericorde. Suppliant humblement
que [p. 280] comme en tous ses autres faiz il ait tousjours esté et soit de bonne
vie, renommée et conversacion honeste, sanz oncques avoir esté repris, convaincu ne
actaint d'autre villain cas, nous lui vueillons sur ce impartir nostre grace et
misericorde. Pour quoy nous, ces choses considérées, voulans en ceste partie
misericorde preferer à rigueur de justice, au dit Jehan Bobet avons remis, quicté et
pardonné, etc. Si donnons en mandement au bailli de Touraine et des ressors et
Exempcions d'Anjou, de Poitou et du Maine, gouverneur de la Rochelle, et à tous noz
autres justiciers, etc. Donné à Paris, ou mois de may l'an de grace mil CCC
IIIIXX XVII, et le XVIIe de nostre regne.
Par le roy, à la relacion du conseil. P. de la Mote.