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DCCCLVIII

Rémission octroyée à Béry Amoureux, de Vendeuvre, qui, après avoir bu dans la taverne de Guillaume Beauvillain audit lieu, s'était pris de querelle avec celui-ci, et en s'escrimant contre ses amis qui voulaient le désarmer, avait blessé mortellement l'un d'eux, nommé Pierre Prioux.

  • B AN JJ. 154, n° 595, fol, 334 v°
  • a P. Guérin, Archives historiques du Poitou, 24, p. 346-349
D'après a.

Charles, etc. Savoir faisons à tous, presens et avenir, nous avoir receu l'umble supplicacion des amis charnelz de Bery Amoureux de Vendeuvre en Poictou, contenant que le dit Bery Amoureux, ou mois d'octobre derrenier passé, un jour de dimenche, estoit en l'ostel de nostre amé et feal conseiller l'evesque de Poictiers en la ville de Vendeuvre1, ou quel hostel vendoit vin Naudin de Rives, sergent [p. 347] dudit evesque, qui demeure ou dit hostel, et après ce qu'il ot beu illec avec Perrot Prioux, charpentier, et autres, ycellui Bery et le dit Perrot Prioux et autres se partirent du dit lieu et s'en alerent à l'ostel de Guillaume Beauvillain, en la dicte ville, où il avoit aussi vin à vendre, et là se assirent pour boire et firent venir du vin ; et après ce qu'ilz eurent bien beu, eulx estans à la table où ilz buvoient, le dit Bery print un godet de terre ou terrin2 à quoy ilz buvoient, et le rompi aux dens et froissa et mascha en menues pierres, ainsi comme s'il le voulsist manger et avaler. Et lors le dit Guillaume Beauvillain qui vendoit le vin et avoit beu comme les autres, dist au dit Bery que c'estoit mal fait de ainsi casser et manger les godès ou terrins qui lui avoient costé de bon argent, et que icellui Bery en avoit jà mangié trois ou quatre, et en disant ces paroles, commença à plourer et dire que, puisqu'il avoit beu que l'en se gardast de lui et qu'il ne se garderait de frapper d'un cousteau, ne que de manger un morsel de pain. Et lors le dit Bery, doubtant le dit Beauvillain qui est rioteux, se leva et mist la main au cousteau, et dist au dit Beauvillain que s'il le frappoit, que aussi feroit il lui, et s'il faisoit riote, qu'il l'auroit, et tantost les autres compaignons se leverent et prinrent le dit Bery, et lui osterent son cousteau ; et le dit Beauvillain se retrahi en une chambre auprès d'illec, et prist un baston ou demi glaive. Et lors le dit Bery veant que l'autre se garnissoit pour li courir sus, et si apperceust un compaignon qui buvoit leans, acompaignié de pluseurs ses amis, lequel estoit son ennemi, et estoient en asseurement l'un de l'autre, qui avoit son coustel trait, et autres les leurs, et se doubta et pour ce osta son coustel à ceulx qui le lui avoient osté, et le recouvra d'eulx. Et assez tost après qu'il ot son dit coustel [p. 348] recouvré, la femme du dit Beauvillain estigny la chandeille, laquelle estainte, le dit Bery s'en sailli hors de l'ostel, et quant il fu hors, les autres saillirent après lui et s'efforcerent de lui oster son coustel, mais il ne leur voult laissier, et leur dist qu'il ne le laisseroit point ; et pour empescher qu'ilz ne lui ostassent ne qu'ilz ne aprouchassent de lui, le dit Bery qui estoit eschauffé et bien beu, et se doubtoit d'estre injurié, se commença à esmouchier et deffendre de son coustel, et en soy esmoschant en bleça les aucuns, et entre les autres le dit Pierre Prioux, lequel estoit son amy, et devoient couchier la nuit ensemble, et ne le cuidoit pas blecier ne frapper. Et ne sceust oncques le dit Bery qu'il eust blecié ne frappé le dit Pierre Prioux, ny ne le cuidoit avoir fait jusques au matin avant prime que deux des parens du dit Prioux vindrent au dit Bery qui estoit en sa besongne, et lui demanderent s'il avoit point veu le dit Prioux. Lequel leur respondi que non et qu'il en estoit bien esbay, meesmement, qu'ilz avoient empris de couchier ensemble la nuit passée, mais il ne savoit qu'il estoit devenus. Et lors les diz parens du dit Prioux distrent au dit Bery que il estoit tout affolé de la teste et ne povoit parler, et qu'il avoit esté en une meslée en la dicte ville de Yendeuvre, le jour devant, où il avoit esté ainsi blecié. Lequel Bery leur recita lors ce que dessus est dit, et s'en alerent querir un barbier, et au soir revindrent encores devers ce dit Bery et li distrent que le dit Prioux se mouroit et qu'il n'en eschaperoit point ; et finablement mort s'en ensuy, et mouru le mardi après prime environ le jour. Et pour ce, pour doubte de rigueur de justice, s'est absentez le dit Bery, et n'oseroit jamais retourner au païs, se par nous ne lui estoit sur ce impartie nostre grace, si comme ilz dient, en nous humblement suppliant que, attendu que en autres cas le dit Bery a esté et est de bonne vie, renommée et conversacion honneste, sans avoir esté actaint ne convaincu d'aucun autre villain blasme ou reprouche, et que [p. 349] à l'encontre du dit Pierre Prioux le dit Bery n'avoit aucune hayne, et n'est pas certain se il fist ou non au dit Prioux la bleceure dont mort s'est ensuie en sa personne, et dont ycelui Bery est accusé, nous sur ce lui vueillons estre piteables et misericors. Pour quoy nous, ces choses considerées, etc., au dit Bery Lamoureux oudit cas avons quicté, remis et pardonné, etc. Si donnons en mandement par ces presentes au bailli de Touraine et des ressors et Exempcions dé Poictou, d'Anjou et du Maine et à tous noz autres justiciers, etc.
Donné à Paris, ou mois de janvier l'an de grace mil CCC IIIIXX et dix neuf, et le XXe de nostre regne. Pour le roy, à la relacion du conseil. Chaligaut.


1 Itier de Martreuil, chancelier du duc de Berry, occupait alors le siège épiscopal de Poitiers ; il mourut en 1405. (Gallia christ., t. II, col. 1197.) La cure de Vendeuvre était à la nomination de l'évêque, seigneur châtelain d'une partie de la paroisse.
2 Sur l'adjectif terrin, de terre, pris substantivement, cf. F. Godefroy, Dict. de l'anc. langue française.