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DCCCLXVII

Rémission accordée à Robert de Salles, écuyer, seigneur de Chantemerlière, poursuivi par les officiers du duc de Berry, puis au Parlement de Paris, pour avoir mutilé Mérigot de Maigné qu'il accusait d'avoir eu des relations avec sa femme, Dauphine d'Orfeuille.

  • B AN JJ. 155, n° 298, fol. 182 v°
  • a P. Guérin, Archives historiques du Poitou, 24, p. 367-373
D'après a.

Charles, etc. Savoir faisons à tous, presens et avenir, nous avoir receu l'umble supplicacion de nostre amé Robert de Sales, escuier, seigneur de Chantemerliere1, contenant [p. 368] que, ou moys d'aoust derrenierement passé ot un an ou environ, un nommé Mérigot de Maigné entra ou service du dit suppliant et luy fist serement de le servir et garder son bien et son honneur, tant qu'il demourroit avecques luy, ainsi que s'il estoit son pere, mais nientmoins assez tost après le dit Mérigot estant ou dit service requist la femme d'iceluy suppliant de coucher avec elle et continua de l'en requerre tant que, la sepmainne après Noël ensuivant, si comme la dicte femme l'a dit et confessé, il ot a elle compaignie charnele et en ce continuerent jusques au temps dont cy après sera faicte mencion, senz ce que le dit suppliant, mary d'icelle femme, s'en advisast fors par l'espace d'un moys ou environ avant le cas advenu cy après déclaré, que le dit suppliant s'en souspeçonna, et tant que, le XIIIe jour du dit moys d'aoust derrenierement passé ou environ, la dicte femme du dit suppliant qui en leur lit estoit couchiée avec luy, se leva d'emprès luy environ soleil levant et s'en ala en la sale basse de leur hostel ; et [p. 369] assez tost après ce, le dit suppliant se leva aussi et trouva sa dicte femme et le dit Merigot en present meffait. Lequel Merigot, incontinant qu'il apparçut le dit suppliant, s'en sailly hors de l'ostel par une fenestre et s'enfouy par le vergier du dit hostel, et chaudement le dit suppliant le poursuy, mais il trebucha et chut ou dit vergier, et se releva et poursuy tousjours le dit Merigot, lequel se fu jà si esloingnié que le dit suppliant ne le pot attaindre, et entra ycelui Merigot ès bois et forests estans à ung quart de lieue d'illec ou environ, qui contiennent IX lieues de terre et plus, et là perdy le dit suppliant le dit Merigot; et s'en retourna ycelui suppliant en son dit hostel et parla à sa femme, la quelle lui confessa la vie dessus dicte que avoient menée le dit Merigot et elle. Et tantost après, le dit suppliant monta sur son cheval et ala veoir par les dictes forests s'il pourroit trouver le dit Merigot, lequel il n'y pot trouver. Et lors le dit suppliant s'en retourna en son dit hostel et prist avec luy un varlet à cheval, pour aler à une lieue d'illec au prieuré de Neré, devers Girault et Mery [p. 370] d'Orfueilles2, freres de la dicte femme, qui y demouroient; les quelz il trouva ou chemin et s'en venoient à luy pour ce que desjà le dit fait estoit venu à leur congnoissance, et s'en alerent ensemble ès dictes forests, cerchans et querans le dit Merigot, lequel ilz ne peurent trouver; et pour ce, au soir sur le tart, le dit suppliant et les diz freres de la dicte femme s'en retournerent au dit hostel d'ycelui suppliant. Et l'endemain, vint au dit suppliant par son mandement un nommé Jehan Fregaut, son nepveu, et pour aler cerchier le dit Merigot par les dictes forests, s'acompaigna le dit suppliant des diz freres de sa dicte femme et de son dit nepveu avec deux varlez, meismement que l'en doubtoit au pays d'aler et venir par les dictes forests pour raison de pluseurs murtriers et larrons qui y repairoient et repairent, et eulz garniz chascun d'une coste de fer vestue à couvert et de leur espées, ainsi qu'ilz les ont tousjours acoustumé d'avoir, pour ce qu'ilz sont sur pays de frontiere, alerent et vindrent par chascun jour, jusques au VIIIe jour ensuivant, cerchans et querans le dit Merigot par les dictes forests et environs, fors que aucune foiz, par especial au soir, ilz repairoient au dit hostel du dit suppliant, duquel hostel le dit VIIIe jour, environ heure de vespres, ilz se departirent touz ensemble de cheval et eulz garniz comme dit est chascun d'une coste de fer à couvert et de leurs espées, senz autres armeures, excepté Girault dessus nommé qui avoit uns avant bras avec sa coste de fer et son espée, et passerent tant par jour que par nuit par les dictes forests pour aler à Maigné en Engoulmois, en la maison du dit Merigot, le querir et cercher, et en alant là passerent par le village de Rays assez près du point du jour, et trouverent un bon homme que un de leur varlez, nommé Guillemin [p. 371] Regnart, prist et tira à soy, et après bailla le dit bon homme au dit suppliant et luy demanderent le chemin à Tusson, lequel luy respondi que ilz y estoient bien; et lors ilz luy distrent que il les menast au dit lieu de Maigné, qui est par deça le dit lieu de Husson (sic). Et dist oultre le dit suppliant aus dessus nommez estans en sa compaignie que le dit bon homme fust lié, afin qu'il ne s'en alast, mais il ne fu point lié, car il leur promist que il ne se departiroit point d'eulz que ce ne fust de leur congié. Et en alant, demanda le dit suppliant à ycelui bon homme se il savoit point un petit bois qui estoit par delà le dit lieu de Maigné ; lequel respondy que ilz en estoient bien près. Et arriverent au dit bois, environ demie heure avant soleil levant, et donnerent congié au bon homme dessus dit; et ala le dit suppliant à un bouvier qui estoit près d'illec en l'arée, et aussi y ala après luy Giraut d'Orfueille dessusdit, et luy demanderent laquelle estoit la maison du dit Merigot, lequel la leur monstra. Et après ce, eulz IIII laissierent ou dit bois leurs diz varlez et chevaulx et se transporterent en la dicte maison du dit Merigot, laquelle estoit ouverte, et trouverent le dit Merigot qui encores estoit couchié ou lit, et sa mere qui estoit descouchiée ; auquel Merigot le dit suppliant dist que il se levast, dont il ne vouloit riens faire. Et pour ce, ycelui suppliant sacha son espée et du plat en bailla sur la joe du dit Merigot, en lui disant : « Ribaut, levez sus » ; et lors il se assist ou dit lit et ne se vouloit lever. Et pour ce le dit suppliant le prist par l'un des braz et le tira hors du dit lit, et le fist vestir; et ce fait, le dit suppliant mist au dit Merigot sa sainture par le col et le mena, luy accompaignié des autres dessus nommez, jusques au dit bois où ilz avoient laissié leurs diz varlez et chevaulx, sens ce que ilz feissent force ne violence à la dicte mere du dit Merigot, car ilz luy avoient promis que ilz ne tueroient point ycelui Merigot ; et eulz arrivez au dit bois qui estoit près de II traiz d'arc ou environ de la dicte maison du dit [p. 372] Merigot, lequel suppliant bailla un cop de pié au dit Merigot, dont il chey à terre, et le fist tenir par Aymery d'Orfueille et Jelian Fregaut dessus nommez, à chascun de ses braz, et d'un petit coustel le dit suppliant fendi au dit Merigot la couille et luy osta les couillons, en luy disant qu'il ne luy feroit mal, fors seulement ès membres dont il avoit villenée sa femme. Et atant le dit suppliant et les autres dessus nommez laissierent aler le dit Merigot, lequel à present est sauvé et guery de la dicte plaie. Toutesvoies pour occasion du dit fait, les officiers de nostre très chier et amé oncle le duc de Berry et d'Auvergne, conte de Poitou, se sont efforciez de prendre et emprisonner le dit suppliant, et de fait ont pris et mis en la main de nostre dit oncle la terre d'ycelui suppliant estant en Poitou, avec ses biens meubles, lesquelz ilz ont desplaciez où bon leur a semblé, et ont fait pour occasion de ce pluseurs autres exploiz contre le dit supppliant, senz ce que par sentence ne procès droit de confiscacion soit à aucun acquis des biens d'ycelui suppliant. Et sur ce se dit le dit suppliant deuement avoir appellé, et son appel a relevé dedens temps deu à nostre court de Parlement ; mais par la decision du dit appel, le dit suppliant ne seroit pas hors du delit dessus dit, commis en la personne du dit Merigot, et pourrait après le dit appel le fait principal prendre moult long traict, et finablement en pourroit cheoir le dit suppliant en dangier de justice, se par nous ne luy estoit sur ce impartie nostre grace, si comme il dit ; suppliant que, attendu ce que dit est et que en ceste matiere il a eu et a juste douleur, et que feu Poins de Sales, jadiz chevalier, son pere, et luy aussi, qui ont tousjours esté en pays de frontiere, ont bien et loyalment servi en noz guerres nous et noz predecesseurs, et a tousjours ycelui suppliant esté de bonne vie, renommée et conversacion honeste, senz avoir esté actaint ne convaincu d'aucun autre villain blasme ou reprouche, nous sur ce luy veillons estre piteables et misericors. Pour [p. 373] quoy nous, ces choses considerées, voulans en ceste partie preferer misericorde à rigueur de justice, audit suppliant ou cas dessus dit avons quictié, remis et pardonné, etc. Si donnons en mandement par ces meismes presentes à noz amez et feaulx conseillers les genz tenans ou qui tendront nostre Parlement à Paris, au seneschal de Xanctonge, au bailli de Touraine et des Exempcions de Poitou, d'Anjou et du Maine, et à tous noz autres justiciers, etc. Donné à Paris, ou moys de novembre l'an de grace mil et CCCC, et de nostre regne le XXIe.
Par le roy, à la relacion du conseil. Philippus.


1 Robert, fils de Pons de Salles, chevalier, nommé à la fin de ces lettres, était originaire de Saintonge. La terre de Chantemerlière, où il faisait alors sa résidence, lui venait de sa femme Dauphine d'Orfeuille. Ils avaient trois jeunes enfants. Aussitôt après la perpétration de sa cruelle vengeance, Robert de Salles fut poursuivi devant le sénéchal de Poitou par Mérigot de Maigné et la mère de celui-ci, Philippe de Beauchamp. Le sénéchal donna commission au prévôt de Poitiers de saisir les biens de Robert et de l'appréhender au corps. Celui-ci, sous prétexte qu'il ne devait être procédé ainsi qu'après information préalable, releva appel au Parlement dès le 24 septembre 1400. Il prétendait aussi que la saisie de ses biens avait été faite sans inventaire, ce qui était contraire aux usages, qu'il avait offert pleiges au prévôt, suivant la coutume du Poitou, et que celui-ci les avait refusés sans raison, et que d'ailleurs il n'était pas sujet du duc de Berry, étant de la sénéchaussée de Saintonge, où demeurait sa famille. L'affaire vint au Parlement le 2 décembre suivant. Robert de Salles était alors en possession de ses lettres de rémission ; il les présenta à la cour. Outre la question du bien ou mal fondé de l'appel, celle-ci eut à se prononcer sur la validité de ces lettres. La cause est ainsi énoncée : « Entre Robert de Sales, escuier, seigneur de Chantemerliere, appelant, d'une part, et monseigneur le duc de Berry, conte de Poitou, Phelippe de Beauchamp, mère de Mérigot de Maigné, et ledit Mérigot, d'autre part, ledit Robert a présenté à la cour une rémission en las de soye et cire vert, par lui obtenue du roy nostre sire, sur ce qu'il a esrachié les génitoires dudit Mérigot, et en a requis l'entérinement. Et est ordonné que la cause surserra en l'estat qu'elle est jusques aus jours de Poitou prochainement venans, ausquelz les parties seront oyes sur tout, et comparra céans le dit Robert en personne, et aura adjournement de la court pour faire adjourner ses parties adverses aus diz jours, pour veoir enteriner la dicte remission. Et sont au dit Robertses biens pour ce prins rendus par recreance à sa caution, l'aliénacion des immeubles interdicte. » (Arch. nat., X2A 14, fol. 4 v°.)
Le mardi 22 mars 1401, furent prononcées les plaidoiries ; nous en donnerons un court résumé. L'avocat de Mérigot donna lecture des lettres de rémission et en critiqua le contenu. Il déclara que son client était noble et n'avait jamais été le familier ou le domestique de Robert de Salles, mais le fréquentait et restait parfois en sa compagnie. Jamais il n'avait eu d'intimité avec sa femme et n'y avait même jamais songé. C'était une fable imaginée par le mari, cherchant un prétexte pour priver sa femme de son douaire. Le 13 août 1400, Mérigot avait en effet couché en l'hôtel de Robert, et comme il se levait sans penser à mal, celui-ci vint l'accuser et, sans tenir compte de ses dénégations indignées, il essaya de le frapper de son épée. Mérigot n'eut que le temps de fuir. Puis il rapporta les violences exercées sur lui, douze jours après, par Robert et ses beaux frères. Les deux versions ne présentent pas de variante appréciable. Mais il ajoutait que R. de Salles avait tenu sa femme en prison et lui avait fait avouer de force son prétendu crime contre la foi conjugale. Le procureur du roi dit ensuite que Robert avait noué des relations avec une jeune fille et avait par suite pris en haine sa femme légitime. Dans son récit de la scène de vengeance, il reproche aux complices d'avoir en outre jeté par terre et battu Philippe de Beauchamp, la mère de Mérigot. Il demandait que les lettres de rémission fussent rejetées comme subreptices, et que Robert de Salles fût condamné à payer à sa victime 300 livres de rente, plus une somme de 2.000 livres, et à faire deux fois amende honorable, au Parlement et au lieu du crime.
Robert déclara fausse l'accusation d'entretenir une maîtresse et absurde le reproche de vouloir priver sa femme de son douaire ; il n'y eût rien gagné, puisqu'il avait des enfants. D'autre part, comment pouvait-on supposer et admettre qu'il eût accusé sa femme pour le seul plaisir de la déshonorer, et avec elle ses enfants, ses parents et ses amis ? Ce n'était pas vraisemblable. Il n'avait cessé de lui témoigner de l'affection qu'après Noël 1399, époque où elle se laissa séduire par Mérigot, alors son serviteur. Il se doutait déjà de son malheur, quand il les surprit tous deux, au mois d'août dernier, « en fait present de fornication. » Alors, mû d'une légitime colère, il procéda contre le coupable comme il est contenu en sa rémission. Le récit en est véridique et sincère et ne peut être attaqué ni suspecté en aucun point. Il en concluait que le pardon à lui accordé par le roi devait être entériné par la cour purement et simplement. Dans cette plaidoirie, Robert parle aussi des présents donnés par sa femme à Mérigot, et dont lui avait fait les frais: deux anneaux d'or, des patenôtres d'or du prix de vingt francs, etc.
La cour ce jour-là, 22 mars 1401, rendit un simple arrêt de procédure, portant que les parties étaient contraires sur le principal, qu'elles présenteraient leurs faits par écrit, et qu'il serait pourvu au jugement après enquête. (X2e 14, fol. 17 v°, 18.) La mort de Robert de Salles, survenue très peu de temps après cette date, rendit inutile l'arrêt d'entérinement qu'il sollicitait. Le 15 novembre de la même année, sa veuve et ses enfants, ainsi que Giraud et Aimery d'Orfeuille, comparurent au Parlement, sur l'assignation de Mérigot de Maigné, qui ne voulait pas laisser échapper du moins la réparation pécuniaire qui lui était due. (Voy. ci-dessous, p. 388, note.)
2 Giraud et Aimery d'Orfeuille ayant obtenu à leur tour des lettres de rémission au mois d'avril 1401, lettres qui sont imprimées ci-dessous à leur date, nous renvoyons à cet endroit la notice qui les concerne et le résumé des poursuites dont ils furent l'objet.