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DCCCIX

Rémission accordée à Maurice et Colin Bertin, métayers de Jean Buor, écuyer, en sa terre de la Lande, pour le meurtre de Jean Godet du Pin, de la paroisse de Saint-Hilaire de Loulay, qui leur avait cherché querelle, leur contestant le droit de pâturage dans un pré qui leur était commun et s'étant saisi de leurs bœufs.

  • B AN JJ. 148, n° 321, fol. 164
  • a P. Guérin, Archives historiques du Poitou, 24, p. 212-216
D'après a.

Charles, etc. Savoir faisons à tous, presens et avenir, à nous avoir esté exposé de la partie des amis charnelz de Maurice et Colin Bertins, freres, povres laboureurs de terres, jeunes hommes, c'est assavoir le dit Maurice de l'aage de vint ans et le dit Colin de l'aage de quinze ans ou environ, que comme les diz Bertins et leur mere, et aussi Jehan Bertin, leur frere ainsné, et pluseurs autres leurs freres et suers, demourans ensemble, eussent pris jusques à certain temps de Jehan Buor1, escuier, ses gaigneries et [p. 213] terres appellées la Lande, à les labourer à moitié et parmi tous les pasturages et autres choses que laboureux doivent et ont acoustumé d'avoir selon la coustume du païs, et il soit ainsi que le venredi après la Sainte Croix, en septembre derrenierement passée, ou environ, le dit Colin et un autre sien petit frere eussent menez leurs buefs pasturager à l'eure acoustumée ou dit païs en certain pré que l'en dit estre commun entre Jehan Buor, à cause de sa dicte gagnerie et terres de la Lande, et feu Jehan Godet du Pin, de la parroisse de Saint Hilaire de Loulay, en la chastellerie de Montagu, pour ce qu'il y avoit beau pasturage et que leurs buefs avoient esté grandement travaillez. Et quant ilz furent ou dit pré, ilz trouverent le filz du filz du dit feu Godet, qui gardoit et faisoit pasturager ou dit pré les buefs du dit feu Godet, lequel dist au dit Colin et à son dit frere qu'ilz faisoient mal de mettre leurs buefs pasturager ou dit pré, et le dit Colin lui respondi qu'il les y povoient bien mettre paistre, car ses gens avoient fauché la part du dit pré au dit Jehan Buor, leur maistre, et de son commandement, et par ce ilz devoient pasturager par commun. Et [p. 214] tantost après ce, le dit filz du dit filz du dit feu Godet se departi du dit pré, en disant qu'il feroit bien tant qu'ilz ne pastureroient point ou dit pré. Et incontinent après, environ jour recoussé, le dit feu Jehan Godet, acompaigné de trois ses enfans, garniz, c'est assavoir le dit feu Jehan Godet d'un baston ou bourdon ferré, Jehan son filz d'un autre baston ferré appellé ou dit païs un picouil de faux, et ses autres enfans, chascun d'un baston non ferré, se transporterent ou dit pré et là trouverent le dit Colin et son dit petit frere, gardans leurs buefs par la maniere que dit est ; et incontinent le dit feu Jehan Godet se adreça vers le dit petit frere du dit Colin Bertin en criant hautement : « Hé ! hé ! larrons, est il a vous de mettre voz buefs pasturager en mon pré ? » Et de fait, le dit feu Godet fery de son baston ferré le dit petit frere du dit Colin Bertin, tant qu'il lui cousi la robe en terre, et tantost le dit feu Godet, non content de ce, fist assembler par ses diz enfans les diz buefs des diz Bertins, pour les envoier en sa maison; et lors le dit petit frere du dit Colin Bertin s'en fuy à leur hostel, et dist au dit Maurice Bertin, son frere, que le dit feu Godet et ses enfans emmenoient leurs buefs. Lequel Maurice Bertin se parti de leur dit hostel pour aler veoir que c'estoit, et en alant vers le dit pré, encontra en un chemin, par le quel l'en va au dit lieu de la Lande, le dit feu Godet et ses enfans qui emmenoient en leur maison les diz buefs du dit Maurice et de ses diz freres, aus quelx le dit Maurice Bertin dist que c'estoit mal fait d'emmener leurs buefs et qu'ilz s'en voulsissent deporter, les quelz n'en vouldrent riens faire, mais vouldrent amener de fait les diz buefs. Et lors le dit Maurice Bertin, courcié de ce que dit est, retourna d'un baston qu'il avoit les diz buefs de lui, sa dicte mere, freres et suers vers leur hostel, et empescha que le dit feu Godet et ses diz enfans ne les amenassent en leur dit hostel. Sur quoy se meut grant debat et grant noise de paroles entre le dit Maurice et autres dessus nommez [p. 215] au quel debat vindrent la femme du dit feu Godet et la femme de son filz, garnis de bastons. Et lors le dit filz du dit feu Godet frappa le dit Maurice Bertin parmi les espaules de son dit baston ferré ; le quel Maurice lui dist qu'il faisoit mal de le frapper et que il se souffrist et deportast de plus le frapper, lequel n'en voult riens faire, mais s'efforça plus fort que devant de le frapper. Et lors le dit Maurice Bertin s'approucha du dit filz du dit feu Godet et se prist au baston qu'il tenoit, pour garder qu'il ne le frappast plus; le quel filz du dit feu Godet veant qu'il ne se povoit plus aidier de son baston, se prist au corps du dit Maurice et aussi le dit Maurice au corps du dit filz du dit feu Godet et s'entreluterent et frapperent de poings et de mains seulement par certain temps, sanz eulz blecier autrement. Et quant le dit feu Godet, qui venoit le derrenier, apperceut que son dit filz et le dit Maurice s'entretenoient et combatoient ensemble, il s'approcha du dit Maurice et le frappa par derriere de son baston ou bourdon ferré, et lui en donna pluseurs coups ; et aussi firent les dictes femmes, et en ce conflit le dit Colin qui venoit tout le derrenier, veant la perpecité où son dit frere estoit, meu d'amour naturelle, affuy à tout un baston que les bouviers et pastourreaux portent communement, nommé reboule ou païs, et d'icelui baston fery chaudement deux cops par la teste le dit feu Godet qu'il encontra le premier, le quel après ce fu emporté en sa maison par les voisins et autres qui là survindrent et estoient, et le lendemain ala de vie à trespassement. Pour occasion du quel fait, les diz Maurice et Colin Bertins ont esté prins par la justice du lieu et mis en prison en basse fosse, où ilz ont esté et encores sont detenuz par l'espasse de deux mois et plus; et pour ce les diz Maurice et Colin Bertins, doubtans rigueur de justice,nous ont humblement fait suplier par leurs diz amis charnelz que, comme tout le temps passé ilz aient esté gens paisibles, de bonne vie et renommée, non suspects, convaincuz ne actains d'aucun [p. 216] autre villain cas ou reprouche, et par contraire le dit feu Jehan Godet estoit un homme rioteux et noiseux, et qui avoit eu en sa vie pluseurs debas et noises à ses voisins, et que aussi le dit fait fu fait par jeunesse, de chaude cole et en defendant par le dit Colin le dit Maurice son frere, nous leur vueillons sur ce impartir nostre grace et misericorde. Nous adecertes, voulans misericorde estre preferée en ceste partie à rigueur de justice, aus diz Maurice et ColinBertins, freres, ou cas dessus dit, etc., avons quicté, remis et pardonné, etc. Si donnons en mandement au bailli de Touraine et des ressors et Exempcions d'Anjou, du Maine et de Poitou, au gouverneur de la Rochelle et à tous noz autres justiciers, etc. Donné à Paris, ou mois de décembre l'an de grace mil CCC IIIIXX XV, et le XVIe de nostre regne. Par le roy, à la relacion du conseil. J. Hue.


1 Jean Buor, seigneur de la Lande-Buor, la Gerbaudière et la Mothe-Freslon, chef de la branche aînée de cette famille du Bas-Poitou, dont les membres étaient déjà fort nombreux à la fin du XIVe siècle, comme on le verra ci-dessous, dans un acte de juillet 1398, était fils de Guillaume, écuyer, sr de la Mothe-Freslon, mort avant le 1er décembre 1392, et de Marie Ancelon de l'Ile-Bernard, suivant la généalogie bien incomplète publiée par Saint-Allais, et corrigée par MM. Beauchet-Filleau. Il transigea au sujet des biens laissés par sa mère, à la date qui vient d'être indiquée, avec Jean Ancelon, sr de l'Ile-Bernard, et Jeanne Ancelon, sœur de ce dernier. Chambellan de Jean duc de Berry, comte de Poitou, qui le fit capitaine de la ville et du château de Civray et commandant de la forteresse de Luçon, le 27 novembre 1407, on cite deux montres de lui, en qualité de chevalier-bachelier, la première du 9 avril 1414 à Paris, la seconde de 1419. C'est lui sans doute qui est nommé dans un acte du 12 novembre 1417 du Cartulaire de l'abbaye d'Orbestier, comme possédant un herbergement en la ville de Curzon. (Arch. hist. du Poitou, t. VI, p. 419.) Vers 1401, il épousa Marguerite de Bellosac, et vers 1424, d'après Trincant, Marie, fille de Jean III de Savonnières. De son premier mariage, il aurait eu deux enfants: Maurice, seigneur de la Lande, la Gerbaudière, etc., vivant encore le 28 janvier 1438 n. s., et Marie, femme de Georges Fouchier, seigneur des Herbiers. — Jean Buor, chevalier, seigneur de la Gerbaudière, et un de ses serviteurs, nommé Paul Pinet, étaient poursuivis en 1430 au Parlement par Guillaume Royrand, chevalier. Celui-ci les accusait d'avoir fait piller son hôtel de la Girardière par des Bretons de la garnison de Bournezeau. Dans les plaidoiries prononcées le 8 août de cette année, Jean Buor, énumérant ses services, rappelle qu'il a été capitaine de Civray pendant dix ans, de sorte qu'il ne peut y avoir de doute sur son identité avec le Jean Buor, sr de la Lande, dont il est question dans les présentes lettres de rémission. (Arch. nat., X2A 18, fol. 221 v°)