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DCCLXXXIV

Rémission accordée à Mathurin Garreau, complice du meurtre de Guillaume Benoist, sous-fermier d'un moulin du prieur de Saint-Cyr, victime de la brutalité d'un moine nommé frère Denis, dans une hôtellerie dudit lieu de Saint-Cyr.

  • B AN JJ. 144, n° 299, fol. 175
  • a P. Guérin, Archives historiques du Poitou, 24, p. 140-144
D'après a.

Charles, etc. Savoir faisons à tous, presens et avenir, à [p. 141] nous avoir esté exposé de la partie des amis charnelz de Mathurin Garreau, que, comme le second lundi de caresme qui fut le lendemain de Reminiscere derrenierement passé ou environ, le dit Mathurin, Guillaume Benoist et un moine appellé frere Denis, Guillaume Moireau et autres fussent en l'ostel de la Chappelliere de Saint Cire ou païs de Poitou, ou quel hostel ilz avoient disné ensamble et beu le vin de certain marchié fait entre le dit Benoist et le dit Moireau d'un molin que ycellui Moireau tenoit à ferme du prieur du dit lieu de Saint Cire1, et le quel molin le dit Moireau avoit affermé au dit Benoist à certain temps, et après ce qu'ilz eurent disné ensamble, comme dit est, pour ce que le dit Guillaume Benoist n'avoit de quoy paier dix huit deniers tournois qu'il devoit de son escot, nous (sic) avoit baillié en gaige à l'ostel un coustel qu'il avoit, icellui Mathurin lui dist qu'il estoit bien meschant de soy mettre en compaignie, quant il n'avoit de quoy paier son escot ; auquel Mathurin le dit Benoist respondi qu'il avoit baillé gage à l'ostel qui mieulx valoit d'assez que ne montoit sa part du dit escot, et en disant ces paroles, le dit frere Denys moine se print au dit Benoist et le gecta ou feu ; et quant le dit Mathurin, qui lors se seoit sur un banq, le vit, il se tourna devers le dit feu et print un petit bastonnet et en frappa et poussa le dit Benoist, en lui disant par maniere d'esbatement et sans haine ne malice aucune : « Ribaut, lieve toi, tu t'ars »; et tantost pour ce que ledit moyne estoit sur le dit Benoist et le tenoit ou dit feu, le dit Mathurin se leva du dit banq et osta le dit moine dessus le dit Benoist, et après osta et leva le dit[p. 142] Benoist du dit feu, en lui disant : « Alez vous en hors de ceans, vous ne faites que riote », et en le frappant du dit bastonnet par les bras et par les mains pour le cuidier mettre hors, combien que le dit Benoist ne s'en yssist point du dit hostel, mais dist que s'il avoit aucune chose meffait à la compaignie, qu'il l'amenderoit voulentiers et paia pinte de vin, et burent ensemble le dit Mathurin et le dit Benoist; et en beuvant le dit vin, le dit Benoist regarda sur son espaule, et pour ce qu'il vit sa robe brulée du feu où il avoit esté mis, il dist teles paroles ou semblables en substance : « Je ne sçay qui m'a fait cecy, mais qui le m'a fait n'est pas bon homme ». Et le dit Mathurin lui respondi que ce n'avoit il pas fait, et que ledit frere Denis le lui avoit fait. Et lors le dit Benoist en adrecant ses paroles au dit moine, lui dist : « Vous n'avez pas fait que bon homme de moy avoir ainsi brulé ma robe et de m'avoir mis ou feu ». Lequel moyne lui respondi : « Ribaut, larron, tu mens, je ne te y ay pas mis ». Et le dit Benoist lui dist qu'il mentoit de l'avoir appellé larron, et lors le dit moine respondi au dit Benoist qu'il n'avoit oncques dit si chiere parole comme de l'avoir desmenti, et qu'il le comparroit. Et incontinant le dit moine se print au dit Benoist et le gecta à terre entre un lit et une table qui là estoient, et lui donna plusieurs cops de poing en le foulant aux genous de toute sa puissance, et le dit Benoist estant à terre dessoubz le dit moine, comme dit est, sacha un petit cousteau que le dit moine avoit et en voult frapper le dit moine, [le quel] le lui print d'un costé et le dit Benoist le tenoit d'autre. Et lors, quant la femme du dit hoste vit le dit couteau, elle pria au dit Mathurin qu'il leur ostast le dit couteau, afin qu'ilz ne se entretuassent, et incontinent le dit Mathurin se leva dessus le dit banq où il estoit encores assis et leur osta le dit couteau, et ce fait s'en ala asseoir de rechief sur ledit banq, et laissa ensamble ledit moine et le dit Benoist. Et après pluseurs paroles et debas eus entre le [p. 143] dit moyne et le dit Benoist, le dit Mathurin dist au dit moine qui encores tenoit dessoubz lui le dit Benoist les paroles qui s'ensuivent en substance : « Laissiez le, car par Dieu je n'y cassasse jà poings tant que je trouvasse baston ». Et lors le dit moine se leva dessus le dit Benoist et prinst un baston et en frappa le dit Benoist un coup par les jambes et un autre par les espaules, et telement que le dit Benoist se coucha de tous poins à terre, aussi comme se il ne se peust lever. Lequel moyne dist au dit Benoist qu'il se levast et qu'il ne lui avoit fait nul mal. Et pour ce que le dit Benoist ne lui respondi riens, le dit moyne prist plain son poing de feurre et l'aluma, en disant qu'il feroit bien lever le dit Benoist ; et quant le dit Benoist vit le dit moine qui apportoit le dit feurre alumé, il dist à la dicte femme du dit oste qu'elle ne lui souffrist faire aucun mal en sa maison ; mais ce non obstant le dit moine gecta le dit feurre ardant sur le dit Benoist et s'en ala hors du dit hostel, et demourerent le dit Mathurin et le dit Benoist qui encores estoit couchié à terre ou dit hostel, auquel le dit Mathurin dist qu'il se levast et qu'il n'estoit pas bien illec. Et après ce que le dit Benoist fu levé, le dit Mathurin prinst de l'eaue et lava le visaige du dit Benoist, pour ce qu'il avoit seignié du nez, et après ce s'en ala le dit Mathurin, et demoura ledit Benoist ou dit hostel ce jour et la nuyt ensuivant. Et le lendemain bien haulte heure, s'en ala du dit hostel à une taverne assez près de Fontenelles qui est à deux lieues du dit lieu de Saint Cire ou environ, où il but et coucha, et le jour ensuivant s'en ala en son hostel, en soy doulant grandement des coups et poussemens de genoulx que le dit moine lui avoit donné. Et depuis mist à point son molin et le gouverna, et vesqui jusques à treze jours ou environ après ce que dit est, que le dit Benoist acoucha malade au lit et ala de vie à trespassement. Pour occasion du quel fait, le dit Mathurin, doubtant rigueur de justice, combien qu'il ne feist autre chose fors ce que dessus [p. 144] est dit, ne n'eust aucune haine on malveillance avec le dit feu Benoist, s'est absenté du païs, et ont esté ses biens prins et saisiz par la justice du lieu, et n'y oseroit bonnement demourer ne converser, se par nous ne lui estoit sur ce impartie nostre grace et misericorde, si comme dient ses diz amiz charnelz, en nous suppliant humblement que, comme le dit Mathurin n'ait point frappé ne batu ou navré le dit feu Benoist par malice, mais seulement d'un petit bastonnet en la maniere que dessus est dit, et lui dist qu'il ne cassast jà ses poings tant qu'il peust trouver baston, comme dit est dessus, et que en tous autres cas ledit Mathurin a esté et est homme de bonne vie et renommée, nous lui vueillons sur ce impartir nostre grace et misericorde. Nous adecertes, voulans misericorde estre preferée à rigueur de justice, au dit Mathurin Garreau, le fait et cas dessusdit, etc., avons quictié, remis et,pardonné, etc. Si donnons en mandement au bailli de Touraine et des ressors et Exempcions d'Anjou, du Maine et de Poitou, et à tous noz autres justiciers, etc. Donné à Paris, ou moys de may l'an de grace mil CCC IIIIXX et XIII, et le XIIIe de nostre regne.

Par le conseil. N. de Voisines.


1 Le prieuré de Saint-Cyr-en-Talmondais était de l'ordre de Saint-Benoît et à la collation de l'abbé de Saint-Cyprien de Poitiers. Dans un acte antérieur à Tannée 1086, rapporté par dom Fonteneau, on lit : « Petrus de Bullio filiique ejus concesserunt monachis Sancti Cypriani medietatem ecclesie Sancti Cyrici prope Cursionem castrum, et omnium rerum ad eam pertinentium. » (E. Aillery, Pouilié de l'évêché de Luçon, in-4°, 1860, p. 116.)