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DCCXCVII

Rémission en faveur de Jean Marchant, de l'Isle-d'Elle, pour un homicide par imprudence sur la personne de Jean Canteau, en jouant aux boules chez le prieur dudit lieu de l'Isle-d'Elle.

  • B AN JJ. 146, n° 247, fol. 132 v°
  • a P. Guérin, Archives historiques du Poitou, 24, p. 178-180
D'après a.

Charles, etc. Savoir faisons à tous, presens et avenir, nous avoir esté exposé de la partie des parens et amis charnelz de Jehan Marchant que comme, le dimanche après la feste de l'Asompcion Nostre Dame, XVIe jour du moys d'aoust derrenierement passé, le dit Jehan Marchant et Guillaume Maillé, d'une part, et Jehan Canteau et Jehan Augereau le jeune, d'autre part, tous demourans en l'Isle de Elles, assise en la chastellerie de Marant, dont nostre amée cousine la vicontesse de Touars est dame1 et la tient de nous nuement enfoy et hommage, se feussent partiz pour jouer [p. 179] à un jeu que on appelle au pays le jeu de la bille2 en l'ostel du prieur du dit lieu de Elles3, ou quel l'en vendoit pour lors vin et y estoit ledit jeu, au quel les dessus nommez jouoient pour le vin, et le gaignerent les dessus diz Canteau et Jehan Augereau à l'encontre des diz Jehan Marchant et Guillaume Maillé, son compaignon. Et après ce que le vin fu venu et beu par eulx et autres qui au dit jeu avoient esté presens, les diz Canteau et Marchant retournerent par esbatement à ycellui jeu, pour veoir qui feroit le meilleur cop et plus près du dit jeu, sanz vouloir jouer pour le vin ne autremeut que par esbatement. Et lors le dit Jehan Canteau gecta sa bille contre la butée d'icelui jeu et suivy sa dicte bille ; et après, advint que en soy abaissant pour lever sa dicte bille, le dit Jehan Marchant gecta la sienne et en ataigny par la teste le dit Canteau ainsi abaissé, comme dit est, un seul cop, pour lequel n'en sailli oncques sang, mais y vint seulement une petite bossette dont le dit Canteau ne fist compte, ainçois s'esbaty après avec les diz compaignons bien longuement, et depuis s'en ala en son hostel où il mourut dedens mienuit ou environ. Pour lequel fait qui ainsi advint d'aventure, comme dessus est dit, le dit Jehan Marchant fut assez tost après prins et emmené prisonnier au dit lieu de Marant, ès prisons de la [p. 180] dicte vicontesse, ès quelles il est encores detenuz ès fers à grant povreté et misere; et il soit ainsi que le dit Jehan Marchant soit povres jeunes homs, laboureur de bras, chargié de femme grosse et d'un petit enfant, et feussent lui et le dit trespassé très bons amis ensemble, au jour que le cas advint, et l'avoient esté paravant, car lui et le dit Canteau labouroient et besoignoient ensemble ainsi comme par chascun jour, sanz ce que oncques eussent eu paroles contencieuses ne debaz ou hayne l'un à l'encontre de l'autre, et estoit telle amour conjointe et vive entre eulx que le dit Canteau s'estoit offert et avoit promis estre compere au dit Jehan Marchant de l'enfant que auroit sa femme. Et neantmoins, doubtant les diz exposans que l'en ne veille procéder plus avant à l'encontre de lui par rigueur de justice, dont ilz seroient deshonorez à touz jours, se par nous n'estoit sur ce pourveu de gracieux remede, si comme ilz dient; supplians, comme le dit Jehan Marchant ait touz jours esté homme paisible, de bonne vie et renommée, sanz ce que oncques il feust accusé, convaincu ne actaint de vilain cas, que sur ce leur veillons pourveoir du dit remede. Pour quoy nous, ces choses considérées, etc., au dit Jehan Marchant avons remis, quicté et pardonné, etc. Si donnons en mandement au gouverneur de la Rochelle, au seneschal de Saintonge et à tous noz autres justiciers, etc. Donné à Paris, le Ve jour de septembre l'an de grace mil CCC IIIIXX et XIIII, et le XIIIIe de nostre regne.
Par le roy, à la relacion du conseil. Canteleu.


1 Godemar de Linières, qui tenait la terre de Marans de Marguerite de Pressigny sa mère, l'avait vendue à Pernelle vicomtesse de Thouars, après 1372, ou à Tristan Rouault, vicomte de Thouars, suivant le P. Anselme. (Hist. généal., t. VIII, p. 838.) Le même auteur, il est vrai, dit ailleurs que Pernelle en 1376, avant son mariage avec Tristan, avait donné à celui-ci la châtellenie de Marans, avec le ressort de Laleu et de Loumeau. (Id., t. IV, p. 195.)
2 Le jeu de billes ou du billard était désigné sous des noms différents, suivant les pays. On le jouait, dit M. Luce, avec des boules ou billes que l'on poussait avec un bâton gros et court, recourbé parfois en façon de crosse. (Les jeux ou divertissements populaires au XIVe siècle, dans La France pendant la guerre de Cent Ans, Paris, Hachette, in-12, 1890, p. 110.) Le présent texte paraît indiquer plutôt un jeu analogue au jeu de boules, qu'on lance avec la main vers un but fixe ou mobile, dont on cherche à s'approcher le plus possible, mais sans le secours d'un bâton. En mars 1369, une ordonnance de Charles V avait interdit, sous peine d'amende, presque tous les jeux d'exercice ou de hasard, et en particulier les dés, les tables, la paume, les quilles, le palet, les billes et la soûle, et enjoint aux sujets du roi de s'exercer au tir de l'arc et de l'arbalète. Ces derniers exercices entrèrent en effet de plus en plus dans les mœurs, mais sans aucun préjudice des jeux anciens.
3 Le prieuré de l'Ile-d'Elle était placé sous le patronage de saint Hilaire. (L'abbé E. Aillery, Pouillé de l'évêché de Luçon, in-4°, p. 154.)