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DCCCLXXXIII

Rémission en faveur de Jacques de Saint-Gelais et de Jean Rogre, écuyers, ainsi que de Jean Gaschier, poursuivis pour l'assassinat de Mathurin de Gascougnolles.

  • B AN JJ. 157, n° 170, fol. 105 v°
  • a P. Guérin, Archives historiques du Poitou, 24, p. 413-419
D'après a.

Charles, etc. Savoir faisons à tous, presens et avenir, nous avoir receu l'umble supplicacion des amis charnel de Jaques de Saint Gelays1, de Jehan Rogre, filz de feu Jehan Rogre, de Bieaulieu, escuiers, et Jehan le Gaschier, autrement dit Jaquart, contenant que comme [entre] un appelle Mathelin de Gascoignole2 et le dit Jehan Gaschier se feussent meu certain debat sur et pour cause de ce que le dit Mathelin disoit avoir vendu à icellui Jehan Gaschier certaine quantité de vins et de blé, dont il lui en avoit baillié ou fait baillier une partie, et l'autre partie estoit prest de lui bailler parmi ce que le dit Jehan Graschier lui paiast au pris auquel il le lui avoit vendu. A quoy respondoit icellui Jehan Gaschier que voulentiers le paieroit de ce qu'il lui avoit esté baillié et livré, mais au regart de ce qu'il n'avoit eu, disoit que plus ne le recevroit ne aucune chose n'en paieroit au dit Mathelin, atendu que baillier [ou] livrer le lui devoit dedens certain temps, ce que il n'avoit pas fait, dont icellui Gaschier avoit esté et estoit grandement endommaigié, et tant fut procedé ou dit debat que en hayne et content de ce que dit est, ou autrement, icellui Mathelin donna pluseurs grans menaces au dit Gaschier de le batre et villener, s'il le povoit rencontrer à son avantaige. Pour lesquelles menaces, icellui Gaschier fu [p. 414] molt espoantez et telement qu'il n'osoit aler seurement à ses besongnes et affaires, ainsi qu'il avoit accoustumé par avant, pour doubte d'icellui Mathelin qui estoit grant et puissant de corps, attendu aussi qu'il estoit de mauvaise renommée et de grant hardement de fole entreprise, et qui volontiers procedoit par voye de fait, et mesmement qu'il avoit occis un homme environ Melle3, et avec ce avoit batu et villené aucuns gentilz hommes d'icelui pays, et aloit aussi continuelment garny d'espée et de dague. Si advint que icelui Jehan Gaschier trouva le dit Jaques à Brueillebon, le jeudi avant la feste de saint Jehan Baptiste derrenierement passée, ouquel lieu survint le dit Jehan Rogre, frere de la femme du dit Gaschier, et laquelle femme d'icelui Gaschier estoit et est prouchaine parente de la femme d'icelui Jaques ; aus quelx Jaques et Rogre le dit Gaschier, pour l'affinité qu'il avoit à eulx pour cause du parenté dessus dit, exposa son cas, en les priant qu'ilz lui feussent aidables à resister à la mauvaise volonté du dit Mathelin, affin que plus ycelui Gaschier ne feust en doubte de lui ; car autrement il ne pourroit estre asseur de son corps, pour doubte d'icelui Mathelin. La quelle chose yceulx Jaques et Rogre lui accorderent et s'en alerent ensemble, le dit jour de jeudi, à couchier à Ternentueil, en l'ostel du dit Jehan Rogre, et le venredi ensuivant, veille de la dicte feste de saint Jehan, environ le point du jour, se partirent tous trois du dit lieu de Ternentueil, garniz c'est assavoir le dit Jaques d'une cote de fer, d'une espée et d'un baston, et le dit Jehan Gaschier d'un bazelaire et d'un autre baston, et alerent vers l'ostel de la Taillée près du village d'Androullet, où demouroit ycelui Mathelin, et passerent par devant le dit hostel et alerent jusques auprès d'un moulin appellé le moulin de Roches, et en eulx : tournant, rencontrerent le dit Mathelin, au quel il [p. 415] distrent qu'il se deffendist ; lequel sacha une espée qu'il avoit pour soy defendre d'euls. Et lors ledit Jaques assembla à lui et le voult ferir de son baston sur la teste; mais le dit Mathelin print sa dicte espée à deux mains et en getta un si grant cop contre le baston du dit Jaques qu'il couppa le dit baston et fery ycelui Jaques parmi le bras, tant qu'il lui fist une grant playe ou dit bras. Lequel Jaques veant qu'il estoit ainsi blecié, se tray un pou arriere et print une pierre, laquelle il getta vers le dit Mathelin et l'en attaingny parmi la teste tant qu'il le fist cheoir à terre. Laquelle chose faicte, les dessus nommez, esmeuz et courciez plus que devant de la bleceure que icelui Mathelin avoit faicte au dit Jaques, le batirent et navrerent de leurs diz bastons et espées, et lui osterent son espée et sa dague, et le getterent en la riviere de la Soyvre qui estoit joingnant d'illec, et tellement le batirent et navrerent que pour occasion de la dicte bateure et navreure il trespassa le lendemain ensuivant, jour de feste saint Jehan. Mais avant qu'il trespassast, il fu confez et parla jusques assez près de son trespassement. Pour cause du quel cas les diz Jaques, Rogre et Gaschier ont esté appeliez aus droiz de justice, et pour ce se sont absentez du païs, et jamais n'y oseroient retourner, ainçois seroient en aventure d'en estre exiliez, et que eulx et les femmes des diz Jehan Gaschier et Jaques de Saint Gelaiz feussent desers à tousjours, se par nous ne leur estoit sur ce impartie nostre grace. En nous humblement requerant que, consideré les bons et aggreables services que icelui Jaques et ses predecesseurs ont fait à nous et à noz predecesseurs, ou fait et exercice de noz guerres, où ilz ont frayé et despendu la plus grant partie de leurs chevances, et que les diz Jaques, Rogre et Gaschier n'avoient pas volonté ne entencion de tuer ycelui Mathelin4, [p. 416] nous vueillons envers eulx estre piteables et misericors. Pour quoy nous, attendu ce que dit est, et la requeste et pryere de nostre très chier et très amé frere le duc d'Orléans, [p. 417] qui de ce nous a fait très humblement supplier et requerir, aus diz Jaques de Saint Gelais, Jehan Rogre et Jehan Gaschier, et à chascun d'eulx, ou cas dessusdit, avons quicté, [p. 418] remis et pardonné, etc. Si donnons en mandement par la teneur de ces présentes au seneschal de Xanctonge et à [p. 419] tous noz autres justiciers, etc. Donné à Paris, ou mois de juillet l'an de grace mil CCCC et deux, et de nostre regne le XXIIe.
Par le roy, messire Guillaume Martel, le sire de Chambrilhat et autres presens. R. Toste.


1 Jacques de Saint-Gelais a été l'objet d'une notice quelques pages plus haut (p. 336).
2 Voir sur Mathurin de Gascougnolles et sa famille la note 2 de la p. 243 ci-dessus.
3 Allusion au meurtre de Guillaume Gouin (ci-dessus p. 243)
4 Après la mort de Mathurin de Gascougnolles, il fallut pourvoir à la garde et au gouvernement de son père Jean, seigneur de la Taillée, et de son frère, Jean le jeune, tous deux en état de démence. Les parents et amis de la famille s'assemblèrent et ne purent s'entendre; ils se divisèrent en deux camps. Les uns, Jean des Coustaux, Guillaume Pouvereau et Guyot de Loubeau entendaient que le curateur qui serait nommé s'opposât à l'entérinement des lettres de rémission obtenues par les meurtriers, et les poursuivît au criminel et au civil. L'autre groupe, dont faisaient partie Philippe du Poix, beau-frère du défunt, Pierre de Gascougnolles et Jean Roux, se serait contenté de la réparation civile stipulée dans les lettres du roi, quitte à débattre, autant que possible à l'amiable, le montant de l'indemnité. Cette curatelle litigieuse fut portée d'abord devant le sénéchal de Poitou, qui était alors Thibaut Portier. Mais celui-ci avait épousé la nièce de Jacques de Saint-Gelais (voy. ci- dessus, p. 22, note), et était par suite favorable au parti des modérés. Il avait même déclaré, paraît-il, qu'à lui appartenait d'être curateur de corps et de biens des deux infirmes, tout cela, disaient les plus ardents à poursuivre une vengeance légale, pour empêcher la punition des coupables. D'autre part, Jean des Coustaux et ses partisans avaient mis opposition à l'entérinement des lettres de rémission, qui, aux termes de celles-ci, devait être prononcé, s'il y avait lieu, par le sénéchal de Saintonge. Devant cette juridiction encore, ils étaient exposés à un échec presque certain, le lieutenant du sénéchal, un nommé Coutelier, « qui gouvernait tout le siège », étant des amis particuliers de Saint-Gelais, et partant suspect de partialité. Le procureur du duc de Berry en Poitou, qui s'était joint d'abord à eux pour combattre l'entérinement et avait eu le crédit de faire évoquer le procès au Parlement, s'était ensuite désisté, et la cour, partibus auditis, les avait renvoyés devant le sénéchal. Sans se décourager, les amis de Mathurin s'étaient retournés vers le procureur général du roi et avaient obtenu de lui qu'il fît derechef ajourner les meurtriers à Paris. La cour fut de même saisie par eux de l'affaire de curatelle.
Un an juste après le crime, le 25 juin 1403, les parties comparurent personnellement devant la chambre criminelle. Saint-Gelais et ses deux complices demandèrent un nouveau renvoi au sénéchal de Saintonge, ou au moins, disaient-ils, au gouverneur de la Rochelle ou au bailli des Exemptions, de l'examen et du jugement de leur rémission. Quant à la cause de curatelle, ils ne s'opposaient pas à la nomination par la cour d'un curateur spécialement chargé d'impugner ou de consentir l'entérinement, que le renvoi fût prononcé ou non, parce qu'ils estimaient que Jean des Coustaux, Pouvereau et de Loubeau n'avaient aucun mandat de les poursuivre et de se faire partie contre eux. Les raisons données contre le renvoi furent jugées bonnes et suffisantes. Le Parlement retint la connaissance des deux procès, par arrêt du 28 juin, et ajourna les parties au lundi suivant. Nous passons sous silence un incident curieux, mais qui nous entrainerait trop loin. Maître Jean Papinot, procureur, fut nommé d'office, le même jour, comme curateur des deux Jean de Gascougnolles, père et fils, à charge de poursuivre la cause principale, celle du meurtre, et il prêta serment en cette qualité. Dès lors des Coustaux, Pouvereau et de Loubeau sont remplacés comme demandeurs par Papinot et le procureur du roi.
Le 3 juillet, eurent lieu les plaidoiries sur le principal. Mathurin de Gascougnolles était noble, dirent en substance les demandeurs, homme de bonne renommée, paisible et des mieux aimés de tout le pays. Quand son père perdit la raison et qu'il incomba au fils de défendre ses intérêts, celui-ci dut réclamer à Jacques de Saint-Gelais une portion de dîme et un hommage dont il lui était redevable. Ayant essuyé un double refus, il lui intenta un procès. Saint-Gelais en conçut une haine violente et résolut de se venger. C'est alors qu'il complota la perte de son ennemi avec Jean Rogre et Jean Gaschier, dit Jacquart. Il suggéra à ce dernier d'acheter du blé à Mathurin et de lui refuser le payement, afin qu'il l'assignât et qu'on fût certain de le rencontrer se rendant à la citation. Les choses se passèrent comme il l'avait prévu. L'acheteur récalcitrant fut ajourné le 23 juin 1402 devant l'archiprêtre de Saint-Maixent. Ce jour-là, Mathurin se leva matin et se mit en route. Saint-Gelais avec ses deux complices, plus un valet qu'ils emmenèrent avec eux, allèrent s'embusquer au moulin de Roches, sur le bord de la Sèvre, et, quand leur victime fut arrivée à cet endroit, ils se jetèrent sur lui, armés de massues et de « riboles ». Mathurin reçut trente blessures mortelles. Comme, en se défendant, il avait frappé et jeté à terre le valet, voyant que celui-ci était incapable de se relever et de fuir avec eux, les meurtriers le jetèrent dans la Sèvre et le noyèrent. Ils s'apprêtaient à faire subir le même sort à leur victime, mais ils en furent empêchés par des gens qu'ils aperçurent sur le chemin. Alors ils s'enfuirent, après avoir volé à Mathurin 700 écus qu'il portait à Saint-Maixent, pour les mettre en sûreté. Non seulement la rémission qu'ils avaient obtenue était subreptice, puisque la vérité y était gravement altérée, mais le cas était irrémissible, la préméditation et le guet-apens étant parfaitement établis, etc. Jacques de Saint-Gelais et ses complices nièrent les allégations du procureur du roi et déclarèrent que leurs lettres contenaient l'exacte vérité, sauf qu'elles passaient sous silence les motifs de haine qu'ils pouvaient avoir contre Mathurin de Gascougnolles, mais que d'ailleurs ils avaient depuis obtenu un mandement ordonnant l'exécution de ces lettres, nonobstant cette omission. La volonté du roi était donc bien manifeste, et puisqu'il délivrait bien des rémissions pour crimes de lèse-majesté, rien ne s'opposait à ce qu'il fît remise des peines corporelles encourues pour meurtre commis avec guet-apens. La partie adverse avait reproché aussi à Saint-Gelais d'avoir été condamné déjà pour faux, ce qui était vrai (voy. ci-dessus, p. 337 et note). Celui-ci repoussait cette accusation, prétendant que le faux avait été commis non par lui, mais par un notaire, et la preuve, c'est que la cour ne l'avait condamné que civilement. Les meurtriers se déclaraient du reste prêts à donner aux parents de leur victime une indemnité pécuniaire, suivant leurs facultés et moyens, et en avaient fait l'offre immédiatement. Ils arguaient aussi de leur longue détention. Jacques particulièrement était resté trois mois en prison. Le 17 août, la cour décida qu'avant de se prononcer sur la validité des lettres de rémission, il y avait lieu à faire une enquête sur les circonstances du crime. Les prisonniers, sur leur promesse de présenter leurs articles et de répondre à ceux de la partie adverse, et de comparaître à nouveau, quand ils en seraient requis, furent élargis provisoirement et firent élection de domicile chez Me Maurice Hubert, procureur, leur compatriote, demeurant à Paris en la Cité. Dès lors il s'écoula trois ans avant que l'arrêt définitif fût rendu. Dans l'intervalle, on trouve plusieurs prorogations de délais pour l'enquête, et d'élargissement au profit des défendeurs. (Pour toute cette phase de la procédure, voy. le registre X2A 14, fol. 124, 125 r° et v°, 136, 149 v°, 202 v°, 206 v°, 241 )
Le 14 juin 1406, Jean des Coustaux reparaît en scène. Se faisant le champion de son parent assassiné, il avait porté un défi à Jacques de Saint-Gelais et demandé de vider leur querelle dans un combat singulier. Il était noble, disait-il, et avait pris part autrefois à la bataille de Chizé, livrée par Du Guesclin aux Anglais. Le duel judiciaire lui avait été refusé par la cour des Grands Jours de Poitou et il avait interjeté appel de cette décision au Parlement. Mentionnons les plaidoiries qui furent prononcées ce jour-là, de part et d'autre, sans y insister autrement, faute de place. (X2A 14, fol. 333, 334 v°.)
Jean Papinot et les amis de Mathurin de Gascougnolles n'avaient pu établir la preuve des accusations par eux produites pour aggraver le crime et le rendre irrémissible, notamment en ce qui concernait le vol de 700 écus et l'assassinat prétendu du valet. Ils ne purent alléguer que les bruits qui en avaient couru, la « commune renommée au païs de Poitou ». Ce n'était pas suffisant. Enfin, le 28 août 1406, la cour prononça son arrêt. Tout en reconnaissant qu'elle n'avait qu'à s'incliner devant la volonté royale exprimée par les lettres de rémission, elle régla la réparation civile d'une façon sévère, eu égard aux frais considérables que ce long procès avait imposés à Jacques de Saint-Gelais et à ses complices. Les trois meurtriers furent condamnés solidairement à cent livres parisis destinées à célébrer quatre anniversaires pour le salut de l'âme du défunt Mathurin dans l'église où il était enterré, à payer à Jean de Gascougnolles, le père et le fils, une rente viagère de dix livres tournois à chacun, assise et assignée sur un fonds suffisant, exigible chaque année au terme de la saint Jean-Baptiste, et de plus à leur verser pour une fois une somme de cent livres, et à tenir prison fermée jusqu'au complet payement. (X2A 15, fol. 129.)
Par suite d'un accord intervenu avec la famille, avant ce jugement, les trois complices avaient pris des engagements pour la fondation d'une chapellenie perpétuelle de quinze livres de revenu en l'église d'Echiré. Vingt ans après, la plupart des personnages de cette dramatique affaire avaient disparu. Jacques de Saint-Gelais et Jean des Coustaux vivaient encore, toujours ennemis, et étaient en procès devant l'officialité de Poitiers, puis au Parlement séant en cette ville, au sujet de la chapellenie en question, qui n'avait jamais été fondée, parait-il. Jean des Coustaux agissait alors comme tuteur, nommé par autorité de justice, de Mathurin, fils mineur de feu Pierre de Gascougnolles, neveu et seul héritier survivant de notre Mathurin de Gascougnolles. (Arrêt du 14 août 1433, X2A 20, fol. 62.)