[p. 181]

DCCXCIX

Rémission accordée à Thomas Bouchet et à Guillaume, son fils, de Saint-Liguaire, pour le meurtre de Jean Quéniot, qui était venu de nuit avec d'autres maraudeurs piller leur verger. Ledit Quéniot, ancien routier, était alors occupé aux travaux ordonnés par [p. 182] le duc de Berry à Niort, pour y créer un port de mer.

  • B AN JJ. 146, n° 401, fol. 213 v°
  • a P. Guérin, Archives historiques du Poitou, 24, p. 180-185
D'après a.

Charles, etc. Savoir faisons à tous, presens et avenir, à nous avoir esté exposé de la partie des amis charnelz de Thomas Bouchet, aagié de cinquante cinq ans ou environ, chargié de femme et d'enfans, et de Guillaume Bouchet, filz du dit Thomas, povres gens, laboureurs de braz, nez de Saint Legaire ou païs de Poitou, comme deux ans a ou environ, emprès la feste de Nostre Dame my aoust, Jehan Valée1, le quel estoit en son hostel et en sa maison, oyt pluseurs gens les quelz estoient à heure de prinsomme ou environ, qui roboient et gastoient le vergier du dit Thomas Bouchet, lequel yssy hors de son hostel, pour savoir qui s'estoit, et leur demanda qui ilz estoient par pluseurs foiz, les quelx ne lui vouldrent oncques sonner mot. Et quant il vit cela, il leur gecta une pierre, et puet estre qu'il en frappa un cop par la teste l'un d'iceulx lors, appellé Jehan Queniot, le quel cop le dit Queniot et pluseurs autres ses complices poursuirent le dit Valée à cousteaux et à bastons pour le villener, mais il s'en fuy vers la maison du dit Thomas Bouchet, le quel et ses gens estoient en leurs liz, et les appella et leur dist qu'il avoit gens en leur vergier qui les roboient, et qu'ilz se levassent et alassent veoir que s'estoit. Les quelz tantost et incontinant se leverent et alerent ou dit vergier pour savoir que s'estoit, et ilz n'y trouvèrent riens que le dit Queniot et ses diz complices, [qui] s'estoient entrez ou dit vergier et retournez de la poursuite du dit Valée. Et le dit Thomas demanda à son dit filz s'il avoit riens trouvé, et il lui respondi que non; et le dit Thomas lui respondi : « Ilz s'en sont alez les larrons ! » Et adonques aucuns des diz malfaiteurs se leverent tantost [p. 183] et incontinant et leur lancierent ou getterent des pierres. Et tantost le dit Thomas leur demanda qu'ilz estoient et pour quoy ilz estoient illecques venus, et pourquoy ilz lui roboient son vergier. Et le dit Queniot qui avoit poursuy le dit Valée et despeçoit sa maison pour entrer dedens, qui oyt les dessus diz Thomas, son filz et Valée parler, retourna au dit vergier, un coutel ou poing et un doublier entortillé en sa main, et si tost comme le dit Valée le apperceut venir vers eulx, il lui gecta une pierre qu'il avoit en sa main, dont il le actaint par la teste et le bleça tant qu'il chut à terre du cop et puet estre que mort s'en ensuy d'illecques à huit jours ou environ, tant pour la dicte bleceure que pour son mauvaiz gouvernement, ne il ne fu regardé ne visité que une foiz ou deux par barbier. Et après le dit cop feru, eurent aucunes paroles ensemble et se departirent d'un costé et d'autre, et les dessus diz Thomas, son filz et Valée retournerent en leur maison, et le dit Queniot et ses complices s'en alerent à certain ouvrage que nostre très chier et amé oncle le duc de Berry fait faire pour aler les vaisseaux à Nyort2,où les dessus diz Queniot et ses complices ouvroient, et d'illecques s'en ala en un villaige [p. 184] appelle la Teffordiere, chiex un frere qu'il y avoit, et se fist adouber et estanchier de la dite plaie, et depuis s'en ala à Niort chieux un appelle Jehan de Sansurre avecques lequel il demouroit, où il trespassa huit jours après le dit cop ou environ. Et le dimenche après, le dit Thomas s'en ala à Nyort, pour se complaindre du dit Queniot et de ses diz complices de l'outraige qu'ilz lui avoient fait, tant en ses vergiers comme autrement, et de fait s'en plaingny au dit de Sensurre, le quel lui respondi qu'il estoit bien courroucié qu'il ne l'avoit bien batu, et le dit Thomas lui dist qu'il l'avoit frappé d'une fourche de bois, combien que en vérité il n'en feust riens, mais le dist pour aplaudir ou coulourer son fait au dit de Sensurre et contre vérité. Pour occasion du quel fait les diz Thomas et Guillaume, son filz, doubtans rigueur de justice, se sont absentez du païs, en nous humblement suppliant que, attendu la maniere du dit fait et que ilz sont simples gens de labour et ont tousjours esté de bonne vie, renommée et honneste conversacion, vescu avecques leurs voisins gracieusement, sanz noise et sanz tançon, ne oncques ne furent souppeçonnez d'aucuns mauvais cas, et que le dit Queniot estoit homme qui avoit suy les routes et guerres par l'espace de quinze ans ou environ, et tant que au retourner des dictes guerres, sa mere et ses parens le descongnurent, et suyvoit voulentiers les tavernes et lescompaignies, si comme les diz exposans dient, nous vueillons aus diz Thomas et Guillaume, son filz, extendre sur ce nostre grace et misericorde. Nous adecertes, ces choses considérées, etc., à iceulx Thomas et Guillaume, son filz, et chascun d'eulx, ou dit cas avons quicté, remis et pardonné, etc. Si donnons en mandement au bailli de Touraine et des Exempcions d'Anjou, du Maine et de Poitou, et à touz noz autres justiciers, etc. Donné à Paris, ou mois de novembre l'an de grace mil CCC IIIIXX et quatorze, et de nostre regne le quinziesme.
Par le roy, à la relacion du conseil. J. de Conflans.[p. 185]


1 Un Jean Valée figure plus loin, dans un acte de juin 1397, en qualité de sergent du duc de Berry, et paraît être un personnage différent de celui-ci.
2 Peu de temps après la réduction du Poitou, le duc de Berry, afin de relever le commerce et le transit qui se faisait par la Sèvre, avait ordonné de creuser un nouveau port à Niort, et d'exécuter les travaux nécessaires pour la reprise de la navigation. Par lettres du 1er juin 1377 fut établie une imposition spéciale dont le produit devait être affecté à cette création. Elle consistait en taxes sur toutes les denrées et marchandises transportées par eau et passant à Sepvreau, la Tiffardière, Coulon, Aziré, le Gué-de-Velluire, Maillezais, etc., payables « par toutes manieres de gens, de quelque estat et condition qu'ils soyent », sauf par les gens de l'évêque de Maillezais et ceux qui se rendraient au marché de Maillé. (Collection dom Fonteneau, t. XX, p. 187.) Les habitants du quartier qui prit le nom de Port-Neuf furent exemptés de faire le guet et la garde au château. On voit par la date de ces lettres de rémission que les travaux marchèrent lentement. Ils n'étaient sans doute pas achevés en 1419, puisque, le 21 août de cette année, Charles, dauphin et comte de Poitou, autorisa les habitants de Niort à continuer la perception des taxes imposées par Jean duc de Berry, et en outre leur accorda pour deux ans un droit d'octroi sur chaque pipe de vin entrant en ville, afin qu'ils pussent faire les frais nécessaires pour les travaux de navigation de la Sèvre. (Id., XX, p. 225.)