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DCCLVI

Rémission accordée à Hector de Marconnay, écuyer, à Jean de Saint-Germain et à Perrinet de Flet, qui, pour se venger de ses injures et provocations et des vexations dont il accablait leurs sujets, avaient assassiné Jean Gressart, fermier des aides à Sauve et dans les paroisses voisines.

  • B AN JJ. 142, n° 30, fol. 18
  • a P. Guérin, Archives historiques du Poitou, 24, p. 49-54
D'après a.

Charles, par la grace de Dieu roy de France. Savoir faisons à touz, presens et avenir, à nous avoir esté exposé de la partie des amis charnelz de Estor de Marconnay1, escuier, de Jehan de Saint Germain2 et de Perrinet de Fleet, disans que comme, par aucun temps passé, un appellé Jehan Gressart, demourant à Sauve, eust été fermier de pluseurs fermes de noz aides aians cours pour lors en la parroisse de Sauve et en pluseurs autres parroisses d'environ, et durant icellui temps que il tenoit les dictes fermes, soubz umbre de son office, ait esté homme noiseux et rioteux et de très mauvaise vie et renommée, et contre raison ait grevé et dommaigié pluseurs bonnes genz, en leur mettant sus que ilz lui devoient argent de denrées que il disoit que ilz avoient vendues, combien que en [p. 50] vérité il n'en estoit riens, et souventes foiz en faisoit adjourner pluseurs par devant noz esleuz à Lodun, et par force et contrainte de adjournemens et menaces, peines et travaulx que il leur donnoit et faisoit donner, il convenoit que ilz finassent à lui à grans sommes de deniers que ilz lui en paioient, ou autrement ilz ne demourassent pas en paix, combien que en vérité la plus grant partie des dictes bonnes genz ne eussent vendu aucunes denrées par quoy ilz leur fussent en aucune chose tenuz; et souvent avenoit que, quant ilz ne vouloient finer à lui et le paier à sa voulenté, il les batoit et de fait prenoit et faisoit prendre par certains sergenz, que il menoit avec lui et qui estoient plus que par raison ses favorables, les biens et gaiges d'iceulx et les emportait, les vendoit ou faisoit vendre, et en prenoit l'argent et appliquoit à son singulier proffit. Et aussi estoit coustumier de batre les gentilz hommes et leurs hommes et subgiez, quant aucune foiz ilz le blasmoient et reprenoient des durtez, paines et travaulx que il faisoit et faisoit faire sanz cause à leurs diz hommes et subgiez, et disoit que, en despit d'eulx, il leur en feroit de pis, et que les gentilz hommes mesmes, maugré leurs deus, feroit il paier comme asniers les aides des denrées que ilz vendroient, et en parlast qui en vouldroit parler. Et de fait en certain lieu où il trouva Guy de la Rochefaton3, chevalier, qui lui dist que il faisoit mal de ainsi traveillier et dommaigier ses hommes et subgiez, icellui Gressart le bati enormement en la presence de plusieurs genz notables. Et à une autre foiz pour semblable cause il bati un escuier appellé Anthoine [p. 51] de Vernou4 cousin et parent du dit Estor et de sa femme. Et pour ce que le dit Gressart avoit hayne au dit Estor, il estoit venu par pluseurs foiz en sa terre et sur ses hommes et subgiez, et leur avoit fait et fait faire pluseurs griefs et moult de dommaiges, sanz cause; et entre les autres vint une foiz en l'ostel Jehan Megret, homme et subgiet du dit Estor, et y mena un appellé Jehan Guignet, pour lors sergent, pour l'executer de certain argent que il disoit que le dit Megret lui devoit, combien que en vérité il ne lui deust aucune chose ; et pour ce que ilz ne trouvrerent pas le dit Megret et ne trouverent que sa femme, le dit sergent, en la presence du dit Gressart, print la dicte femme et contre sa voulenté et par force se cuida couchier avec elle, et se n'eussent esté ses voisins qui vindrent au cry et à la noise qu'elle faisoit, il eust acompli sa mauvaise voulenté, si comme de toutes les choses dessus dictes il est commune renommée au pays où il a demouré et conversé. Et oultre à certain jour, environ Pasques derrenierement passé, le dit Estor feust venu de hors où il estoit alé, et si tost qu'il fu arrivé, pluseurs de ses hommes et subgiez vindrent à lui, en eulx complaignans, disans que de nouvel le dit Gressart estoit venu sur eulx et en leurs hostelz et les avoit fait executer et prendre leurs gaiges, lesquelx il en avoit emportez, sanz ce que ilz lui feussent tenuz en aucune chose, et que quant il estoit venu en leurs hostelz, ilz lui avoient dit : « Sire, nous sommes des hommes et subgiez de Estor de Marconnay. L'on nous a dit que vous lui avez promis que vous ne ferez aucune paine, travail ou dommaige à ses hommes et subgiez, ne en sa terre, mais en vérité vous en faites mal semblant, car vous nous faites pis que aux autres, et si ne vous devons riens. » Lequel Gressart respondi que ou dit Estor il ne donnoit pas un [p. 52] bouton tout oultre et que le mendre varlet qui feust aux fermiers de noz diz aides valoit mieulx que le dit Estor et que il vouloit bien que le dit Estor, sceust que il avoit batu pluseurs gentilz hommes et que encores en batroit il, et que deux ou trois gentilzhommes ne lui feroient jà paour.
Pour les quelles causes le dit Estor, veant et regardant les villenies, oultrages et dommages que le dit Gressart avoit par pluseurs foiz faiz et diz au dit Estor, à ses parens et amis, et à ses hommes et subgiez, et que en riens il ne s'en vouloit cesser, le dit Estor fu en voulenté et propos de en prendre vengence, et pour ce il espia et sceut que le dit Gressart, à un certain jour à un matin, se mist à chemin pour aler de Sauve à Lodun, et le poursuit, avecques lui et en sa compaignie les diz Jehan de Saint Germain et Perrinet de Fleet, lesquelx il avoit prins de son aliance, et tant que en un certain lieu les dessus nommez aconsuirent le dit Gressart, et quant ilz l'orent aconsuy, le dit Estor lui dist qu'il se devoit bien haïr, car il avoit fait dommaige, oultrage, travail et villenie à lui, à ses amis et parens, et à ses hommes et subgiez, et qu'il avoit dit pluseurs et grans villenies de lui et de sa personne et que c'estoit mal fait; et aussi s'estoit vanté qu'il avoit batu pluseurs gentilz hommes et que encores en batroit il, et que deux ou trois gentilz hommes ne lui feroient ja paour. Lequel Gressart lui respondi très orguilleusement et oultrageusement que jà pour lui il ne lesseroit à faire à sa voulenté. Et pour ce qu'il fu de ce et des autres choses dessus dictes esmeu et eschauffé, le fery en disant que il vengeroit lui et les autres gentilz hommes, et verroit se il auroit paour de trois gentilz hommes ; et tantost après les diz Jehan de Saint Germain et Perrinet de Fleet, compaignons du dit Estor, se prindrent au dit Gressart et le batirent et navrerent tant que, pour ladicte bateure et navreure, dedens brief temps après, mort s'en ensuy en la personne du dit Gressart.
[p. 53] Pour le quel cas le dit Estor, qui est clerc, est tenu en cause et en procès en la court de l'evesque de Poitiers5. Maiz non obstant ce noz esleuz ordenez sur le fait de noz aides à Lodun, soubz umbre de ce qu'ilz dient le dit Gressart estre en nostre sauvegarde à cause de son office, et aussi qu'ilz veulent pretendre que les dessus nommez le desroberent et lui osterent aucune finance qu'il avoit sur lui, ont fait adjourner yceulx supplians à comparoir par devant eulx à certain jour pieça passez; auquel jour ilz ne oserent aler ne comparoir pour doubte de rigueur de justice, ains leur firent signifier que pour le dit cas ilz estaient en cause et en procès en la court du dit evesque de Poitiers. Et depuis ce, nostre procureur general sur le fait des diz aides ait obtenu de nous ou de nostre court certaines lettres adreçanz à noz diz esleus à Lodun, faisans mencion des choses dessus dictes, par lesqueles leur estoit mandé que les corps des dessus nommez ilz preissent ou feissent prendre, quelque part que trouver les pourroient, hors lieu saint, et iceulx feissent mener soubz seure garde en nostre Chastellet de Paris ; et ou cas que trouver ne les pourroient, les feissent adjourner personnelment par devant noz amez et feaulx les Generaulx conseillers sur le fait des aides ordennez pour la guerre à Paris, sur paine de bannissement. Au quel jour les dessus diz ne aucun d'eulx ne sont osez aler ne comparoir, pour doubte de rigueur de justice, mais se sont laissiez mettre en deffaut et absentez du pays, ou quel ilz ne oseroient jamais retourner ne converser, se sur ce ne leur estoit impartie nostre grace et misericorde, si comme dient leurs diz amis charnelz, en nous humblement suppliant que, comme en touz autres cas ilz aient esté hommes de bonne vie, renommée et honneste conversacion, sanz avoir esté reprins [p. 54] ne actains d'aucun autre villain cas, nous leur vueillons sur ce extendre nostre dicte grace et miséricorde. Pour ce est il que nous, etc., aus diz Estor, Jehan de Saint Germain et Perrinet de Fleet, ou cas dessus dit, avons remis, quictié et pardonné, etc., satisfaction faicte à partie adverse premierement et avant tout euvre, se faicte n'est, et par mi ce toutevoie que chascun des diz Estor, Jehan de Saint Germain et Perrinet de Fleet sera tenu de faire dire un anné6 pour le salut et sauvement de l'ame du dit feu Gressart. Si donnons en mandement par ces mesmes presentes à touz noz justiciers et officiers, ou à leurs lieuxtenans, etc. Donné à Paris, le XXVIIe jour du moys de novembre l'an de grace mil CCC IIIIXX et onze, et de nostre regne le douziesme.

Par le roy. Derian.


1 Hector de Marconnay, connu des généalogistes, n'a pu être rattaché à aucune des nombreuses branches de cette ancienne maison du Mirebalais. « Seigneur de Châteauneuf, Chailly et la Gasselinière, il était un des neuf écuyers de la compagnie de Jean de Lezay, chevalier, qui fit montre au Mans, le 9 août 1392. Le 11 juillet de la même année, il avait partagé avec ses cohéritiers la succession de messire Pierre Petit, sans doute père de Perrette Petit, son épouse, dont il eut Gilles de Marconnay, sieur de Chailly, etc. » (Dict. des familles du Poitou, anc. édit., tome II, p. 355.) Les présentes lettres, malgré la proche parenté qu'elles indiquent entre Antoine de Vernou et Hector de Marconnay, ne peuvent guère servir pour résoudre cette question de filiation.
2 Un Jean de Saint-Germain, procureur, puis châtelain de Thouars pour la vicomtesse Pernelle, figure dans un acte de juin 1390 (ci-dessus, p. 10) et dans un autre de novembre 1392, publié plus loin, sous cette date. Il ne paraît pas être le même personnage que celui dont il est question ici.
3 Guy de la Rochefaton possédait un hôtel à Amberre, pour lequel il fit hommage au seigneur de Mirebeau, l'an 1387. (E. de Fou- chier, La baronnie de Mirebeau du XIe au XVIIe siècle. Mém. de la Soc. des Antiquaires de l'Ouest, 1877, in-8°, p. 125.) Sur l'un des deux fragments de la généalogie de la famille de la Rochefaton, publiée par A. Du Chesne, est mentionné Guy dont le second fils, vivant en 1392, portait aussi le prénom de Guy ; mais le savant généalogiste ne fournit aucun autre renseignement sur eux. (Hist. généal. de la maison des Chasteigners, 1634, in-fol., p. 75-77, 118-119.)
4 Antoine de Vernou ne figure pas sur les généalogies, par trop incomplètes, des familles de ce nom, qui ont été mises au jour jusqu'ici.
5 L'évèque de Poitiers était alors Louis d'Orléans qui avait succédé à Simon de Cramaut, l'année précédente. Voir ses lettres de légitimation, ci-dessous, au 22 novembre 1392, et la note.
6 Service annuel, anniversaire.