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DCCCLXXII

Rémission accordée à Giraud et Aimery d'Orfeuille, écuyers, complices de Robert de Salles, seigneur de Chantemerlière, dans la [p. 386] mutilation qu'il fit subir à Merigot de Maigné.

  • B AN JJ. 156, n° 69, fol. 40
  • a P. Guérin, Archives historiques du Poitou, 24, p. 385-389
D'après a.

Charles, etc. Savoir faisons à tous, presens et avenir, nous avoir receu l'umble supplicacion de Girart1 et Aymery d'Orfueille2, escuiers, freres, aagiez c'est assavoir le dit Girart de XXII ans ou environ et le dit Aymery de XVIII ans ou environ, contenant que, le venredi XIIIe jour du mois d'aoust derrenier passé, Robert de Sales, escuier et seigneur de Chantemerliere, qui a espousée la seur des diz supplians, leur dist que un appellé Merigot de Maigné, [p. 387] qui avoit esté serviteur du dit Robert, avoit congneu charnelment leur seur et qu'il les avoit trouvé en present meffait, et qu'ilz lui voulsissent aidier à querir ledit Mérigot qui s'en estoit fouy; les quelz, comme jeunes gens qu'ilz sont, lui octroyerent qu'ilz le feroient volentiers, cuidans que icelui Robert deist verité, dont ilz ont depuis sceu que il n'en estoit riens et que ce n'estoit que jalosie et sanz cause raisonnable, ainçoiz est la dicte femme du dit Robert damoiselle de grant honneur, bonne preude femme et de honeste vie et conversacion. Et tantost après ce, eulx courciez et dolens de ce que le dit Robert leur avoit dit, estans en icelle douleur, armez de dagues, cotes de maille et d'espées, alerent incontinent avec le dit Robert qui estoit acompaigné de deux autres personnes, et quisrent le dit Merigot et tant qu'ilz arriverent, le samedi XXIe jour du dit mois d'aoust avant souleil levant, en la ville de Rez, et là le dit Robert et les dis supplians trouverent un bon homme, lequel ilz menerent avec eulx, et lui firent monstrer et enseigner le lieu de Maigné, où le dit Mérigot estoit. Et quant ilz eurent trouvé le dit hostel, le dit Robert entra dedens ; lequel Robert trouva le dit Merigot couchié en son lit et le fist lever et lui mist sa ceinture ou col et l'amena dehors, jusques à un petit boscage qui est emprès le dit hostel ; et là le dit Robert lui fist le jambet et l'abati à terre, et quant il fu cheu, le dit Aymery, par le commandement dudit Robert, prinst un des bras du dit Merigot, et le dit Girart mist le pié sur l'une de ses jambes, et les autres tindrent le corps et l'autre bras et l'autre jambe du dit Merigot, et le dit Robert d'un petit coustel qu'il avoit lui fendi la couille et lui osta les genitaires. Et atant lessierent le dit Merigot, et s'en retournerent, et le dit Merigot s'en ala et s'est fait guérir3. Pour [p. 388] occasion des quelles choses les dis supplians doubtent avoir mesprins envers justice. Si nous ont humblement supplié que, comme en autres cas ilz aient tousjours esté de bonne vie, renommée et honneste conversacion, sans avoir esté reprins ne convaincus d'aucun autre villain blasme ou reprouche, et attendu leur jeunesce et la doleur qu'ilz avoient de ce que ledit Robert leur disoit, qu'ilz [p. 389] creoient fermement estre vray pour lors, et que les diz supplians ne frapperent oncques ledit Merigot, et si sont clers non mariez, et attendu aussi les bons et agreables services que les predecesseurs des dis supplians, et aussi le dit Girart nous ont fait en noz guerres, et mesmement le dit Giraut, en la compaignie de nostre amé et feal connestable, ou voiaige de Foiz4 nagaires fait, et aussi par Olivon d'Orfueille, leur frere ainsné, qui fu tué au siege de Taillebourc5, et que le dit Merigot n'est pas mort, ainçois est guery, et chevauche et fait autres œuvres de homme sain, et que le dit Robert qui fut principal faiseur du dit cas en a obtenu de nous remission, nous sur ce leur vueillons impartir nostre dicte grace. Pour quoy nous, ces choses considerées, voulans en ceste partie misericorde estre preferée à rigueur de justice, aus diz Giraut et Aymery et à chascun d'eulx ou dit cas avons remis, quictié et pardonné, etc. Si donnons en mandement par ces presentes au seneschal de Xainctonge et à tous noz autres justiciers, etc. Donné à Paris, ou mois d'avril l'an mil CCCC et un.
Par le roy, à la relacion du conseil. Chaligaut.


1 Son véritable prénom était Giraud, comme on le voit dans d'autres actes et à la fin de celui-ci.
2 Ils étaient fils d'Hugues d'Orfeuille, qualifié chevalier, mort avant le 29 juin 1406, date du contrat de mariage de Giraud, qui prend dans cet acte le titre de seigneur d'Orfeuille et ne fait nulle mention de son père. Mais ce dernier est nommé dans une quittance donnée par Giraud et Aimery, le 3 mars 1414 n. s. Il s'agissait de 150 livres que noble homme Jehannin Hilaire leur avait payées, restant d'une somme de 300 livres qu'il devait à feu Hugues d'Orfeuille, jadis chevalier, leur père, etc. (Dict. des familles du Poitou, 1ere édit., t.II.) Ils avaient eu un frère aîné, mort en 1385, comme on le verra à la fin de ces lettres, et leur sœur, femme de Robert de Salles, se nommait Dauphine, ainsi qu'on l'apprend par le registre du Parlement. On ne connaît guère d'autres détails biographiques pur Giraud et ses frères et sœur que ce qui est contenu dans leur rémission, sauf que le premier épousa, le 29 juin l406, Marie Faydit, fille de Guy, chevalier, sr de la Guillotière, et de Jeanne de Cazélis, qui lui apporta en dot la terre de la Guillotière et une autre nommée « Fonconnaut ». Cette dernière était veuve le 1er juin 1438, date d'un aveu qui lui fut rendu. Ils eurent deux fils et une fille. Guy Faydit, chevalier, rendit aveu, le 10 décembre 1405, au duc de Berry de son hébergement du Chêne en la paroisse de Prailles mouvant de Chizé, qui lui venait de Jeanne de Cazélis, sa femme (Arch. nat.. R1* 2172, p. 1926), et il en fit hommage, le 1er janvier 1419, au dauphin Charles, comte de Poitou, auquel il rendait de ce chef 25 livres de devoir. (P. 1144, fol. 54 v°.) Le même registre mentionne aussi le moulin de Chézeau, le moulin de l'Epine, une dîme et autres choses mouvant de Lusignan, que Guy tenait à cause de sa femme et à cause de Claudin Faydit, chevalier, (Id., fol. 23 v° et 24.)
Un registre du Parlement cite un Jean d'Orfeuille qui disputait, le 26 janvier 1398 n. s., à Jean Sulien le prieuré d'Esnandes. (X1A 45, fol. 85.) Ce personnage paraît être le même que Jean, frère d'autre Giraud d'Orfeuille, abbé de Saint-Jean-d'Angély de 1376 à 1408, qui était prieur de Saint-Hilaire de Melle et assistait au mariage de Giraud et de Marie Faydit. Jean succéda à son frère dans la dignité d'abbé de Saint-Jean-d'Angély et gouverna ce monastère jusqu'en 1416. (Dict. des familles du Poitou, loc. cit.)
3 Les lettres de remission accordées, en novembre 1400, à Robert de Salles et les extraits du Parlement que nous y avons joints (ci-dessus, p. 367) rapportent cette scène avec plus de détails. Après la mort de Robert de Salles, le mardi 15 novembre 1401, le procureur du roi et Merigot de Maigné continuèrent les poursuites, au criminel et au civil, contre sa veuve, ses enfants et héritiers, et en commencèrent de nouvelles contre Giraud et Aimery d'Orfeuille, ses complices. Ceux-ci étaient prisonniers à Paris, à cette date, et comparurent personnellement. La cause fut mise en surséance jusqu'aux prochains jours de Poitou, et en attendant Giraud et Aimery furent élargis, à condition de se présenter à l'ajournement, et firent élection de domicile en l'hôtel de Jean Bailly, procureur en Parlement. Le jeudi 13 avril 1402, ils comparurent de nouveau devant la cour et présentèrent leurs lettres de rémission, dont ils requirent l'entérinement. Mérigot ne trouva rien à reprendre à ces lettres, le cas y étant avoué tel qu'il avait été perpetré ; mais il réclama comme satisfaction civile une somme de 2.000 livres une fois payée et une rente annuelle de 200 livres. Le procureur général se borna à requérir que le droit du roi fût gardé. En ce qui touchait Robert de Salles, décédé (il n'est pas dit comment) avant que la cour ait statué, on demandait que « Daulphine sa vefve » reprît le procès ou déclarât y renoncer, tant en son nom que comme tutrice de ses enfants mineurs. « Les diz d'Orfeuille dient qu'ilz ont bien servy le roy et ont tout perdu par les guerres, et sont clers non mariés, de bonne vie et renommée, et ont eu juste couleur de faire ce qu'ilz ont fait en ceste matiere. Si dient que ces choses chient en diminucion » (c'est-à- dire que le juste motif atténue la gravité du cas), et que leur rémission devait être entérinée. L'avocat de Dauphine fit valoir que celle-ci ayant été séparée de son mari, n'ayant eu aucun de ses biens après sa mort, et n'ayant point la tutelle de ses enfants, n'avait rien à voir en cette affaire, que partant elle avait été a folement adjournée » et avait droit aux dépens. De plus, il faisait observer que pour elle, reprendre le procès, autrement dit venir maintenant soutenir la cause de son mari, équivaudrait à « confesser son peschié », et par suite à accuser Mérigot de Maigné d'avoir encouru la vengeance de Robert de Salles, ce qui était parfaitement raisonné. Cela importait peu à Mérigot, alors qu'il restait mutilé. Ce qu'il poursuivait, c'était une réparation pécuniaire, et ne pouvant plus la réclamer à Robert, il s'adressait aux enfants, et, ceux-ci étant mineurs, à leur mère, qui, affirmait-il, était bien réellement leur tutrice. Le débat se maintint sur ce terrain. Les plaidoyers terminés, la cour appointa que, après avoir vu les lettres de rémission, les informations et tout ce dont les parties se voudraient aider, elle considérerait leurs raisons et ferait droit ultérieurement. (Arch. nat., X2A 14, fol. 40 v°, 41 et 58 v°.) Les procédures s'arrêtent là, et l'on ne sait s'il y eut arrêt définitif ou si les parties transigèrent.
4 Expédition dirigée par Louis de Sancerre, connétable de France, contre Archambaud de Grailly, captal de Buch, allié de l'Angleterre. Voici à quelle occasion. Le 5 août 1398, Mathieu comte de Foix étant mort sans enfants, sa sœur Isabelle, femme d'Archambaud, se porta pour héritière du comté de Foix et des autres domaines de sa maison. Mais le sénéchal de Toulouse les ayant saisis au nom du roi, ne lui permit pas de recueillir cette succession. Le captal voulut faire valoir les droits de son épouse par la voie des armes et s'empara d'une partie du comté de Foix. Le connétable l'empêcha de prendre l'autre. Cette campagne eut pour conséquence la soumission d'Archambaud de Grailly et de sa femme au roi de France. (Art de vérifier les dates, in-fol., t. II, p. 313.)
5 Le siège de Taillebourg, où fut tué Olivon d'Orfeuille, ne peut être que le siège soutenu par cette ville pendant l'expédition de Louis duc de Bourbon en Saintonge, de juin à octobre 1385. Elle fut alors conquise sur les Anglais. Il a été question de cet événement dans notre précédent volume, p. 278, note, et 392, note. De cette date on peut conclure qu'il y avait une différence d'âge assez notable entre Olivon et ses deux frères, et que leur sœur était l'aînée de Giraud et d'Aimery.