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DCCCXLVI

Rémission accordée à Jean Buor pour l'enlèvement de Catherine Royrand, veuve de Colin de La Forêt, âgée de quarante ans, qui depuis avait consenti librement à l'épouser.

  • B AN JJ. 153, n° 410 [corr. 444], fol. 276 v°
  • a P. Guérin, Archives historiques du Poitou, 24, p. 309-313
D'après a.

Charles, etc. Savoir faisons à tous, presens et avenir, nous avoir receu l'umble supplicacion de Jehan Buor1, [p. 310] contenant que comme par aucun temps après le trespassement de feu Colin de la Fourest, premier mary de Katherine Royrande, le dit suppliant feust alez par devers elle et lui eust demandé s'elle avoit volonté de soy marier, il auroit plus grant désir de l'avoir à femme espousé que femme du monde et que les amis de lui le vouldroient bien, pour le bon gouvernement qui estoit en elle, et depuis retourna derechef par devers elle, et lui demanda s'elle estoit point advisiée de ce que autrefoiz lui avoit dit, en lui disant qu'elle estoit la femme à qui il auroit plus cher estre marié, s'il lui plaisoit. La quelle respondi qu'elle n'avoit pas encores volonté de soy marier et que, s'elle le vouloit faire, elle vouldroit autant estre mariée avecques lui comme à homme du monde. Et pour ce fist le dit suppliant parler par Guillaume de la Perriere à Estienne Royrand,[p. 311] cousin germain d'icelle Katherine, qu'il voulsist traictier le mariage d'icelui suppliant et de la dicte Katherine. Le quel Estienne, demonstrant qu'il eust la chose bien agreable, respondi que si feroit il. Après la quelle response le dit suppliant, desirant de tout son cuer à avoir la dicte Katherine à femme espousé, se transporta, le dimenche de Quasimodo derrenier passé en la ville de Bernard, acompaigné de Maurice et Olivier Buors, freres, Guillaume du Marcheis2, filz de Agnès Dupas, Lucas Gelutea et Colin Alart, et en l'eglise dudit lieu salua la dicte Katherine, la quelle le convia à disner avecques elle, et assez tost après s'en departi pour aler à son hostel. Et le dit suppliant et autres dessus nommez la suyrent à cheval jusques à une piece de pré qui est près du dit lieu du Bernard. Avec laquelle Katherine estoient Guion de la Forest, son filz, et un sien mestoier; et descendirent de cheval les diz Olivier et Maurice et prindrent icelle Katherine et la monsterent à cheval devant le dit Guillaume du Marcheis. Et en ce faisant et après, dist par pluseurs foiz la dicte Katherine au dit suppliant que ce n'estoit pas bien fait de ainsi la prendre et qu'ilz la menoient contre sa volonté. Et après ce ledit Guion, filz de la dicte Katherine, lui amena une haguenée, et lors l'un des dessus nommez dist à la dicte Katherine qu'elle montast sur la dicte haguenée et qu'elle s'en venist avec eulx. La quelle descendi de devant le dit Guillaume et monta sur la dicte haguenée ; et ce fait, se départirent d'illec et menerent la dicte Katherine chez [p. 312] Hubelin Chasteigner3 à la Brelaiere. Et quant ilz furent au dit lieu, la dicte Katherine dist par pluseurs foiz qu'elle eust fiancée sur le dit chemin le dit suppliant, s'il eust voulu, et demanda à Guillaume Buor, frere d'icellui suppliant, pourquoy on ne l'avoit menée en l'ostel de leur pere et mere, car se elle estoit en leur compaignie, elle se consentiroit à ce que on vouldroit. Et par ce fist l'en venir illec les diz pere et mere, et ce fait, la dicte Katherine, de son bon gré et bonne volonté et sanz aucune contrainte, fiança le dit suppliant en main de chappellain. Et ce fait, obtint le dit suppliant du diocésain dispensacion de bans, et congié et licence de espouser la dicte Katherine dedens sept jour après ensuivans. Dedens lequel temps, ycelui suppliant et la dicte Katherine furent espousez en l'eglise de la Geole, du bon gré et bonne volonté d'icelle Katherine, sanz force ou contrainte aucune, presens à ce plusieurs gens notables. Et depuis ce ont demouré et encores sont en bonne paix et amour. Les quelz suppliant, Katherine et autres dessus nommez, avec les enfans et autres prochains parens et amis d'icelle Katherine, sont d'accord du dit mariage, et tant sur la dicte prise que sur [p. 313] les autres choses qui les povoient touchier, à cause des biens meubles et héritages du dit feu Colin de la Forest, premier mary de la dicte Katherine, ilz ont fait les partages des diz heritages. Mais ce non obstant, icelui suppliant doubte estre poursui par justice de la prise de la dicte Katherine, dont il pourroit encourir en grant dommage, se par nous ne lui estoit sur ce impartie nostre grace, si comme il dit; et pour ce nous a humblement supplié que, ces choses considerées et les bons et agreables services que ledit suppliant nous a faiz en noz guerres, tant ès voiages de Flandres que ailleurs, et encores est prest de faire toutes foiz que mestier sera, et que il a tousjours en autres cas esté de bonne vie et renommée, et aussi que ce n'estoit pas son entencion de faire à ycelle Katherine qui est agiée de XL ans ou environ, contraire mariage que ce ne feust de son bon gré et volonté, non obstant la prise dessus dicte, nous lui vueillons nostre dicte grace impartir et lui estre misericors. Nous inclinans à sa supplicacion, considerées les choses dessus dictes, au dit suppliant ou cas dessus dit avons pardonné, quicté et remis, etc. Si donnons en mandement par ces presentes au bailli de Touraine et des ressors et Exempcions d'Anjou, du Maine et de Poitou, et à tous noz autres justiciers, etc. Donné à Paris, ou mois de juillet l'an de grace mil CCC IIIIXX et XVIII, et le XVIIIe de nostre regne.
Par le roy, à la relacion du conseil. Chaligaut.


1 Ce personnage ne saurait être identifié avec Jean Buor, seigneur de la Lande, la Gerbaudière, etc., dont il est question ci-dessus, p. 212, note, qui, d'après les généalogies imprimées, n'avait point de frère et n'eut pas pour femme Catherine Royrand. Or le mari de cette dernière avait pour frère Guillaume, nommé plus bas, dans ces lettres de rémission. Ces généalogies, très incomplètes pour le XIVe siècle, ne donnent que la filiation de la branche aînée et celles d'autres branches du XVIe et du XVIIe siècles. Quoique nous ne manquions pas de renseignements sur les membres de cette famille mentionnés ici, nous ne savons comment ils se rattachent au tronc principal. Guillaume et Jean Buor, écuyers, étaient appelants au Parlement, deux ans plus tard, contre le sire de Clisson, Briand Raclet, son sénéchal de la Roche-sur-Yon, et Thibaut Vicier, dit Alaudon, qu'ils accusaient de leur avoir fait « plusieurs griefs et oppressions », lorsqu'ils se rendaient aux assises de la Roche-sur-Yon. « Sur chemin à une hostellerie ilz furent espiez par ledit Thibault et poursuys sur chemin ; et quant ilz vindrent par devant le seneschal, seant en siege, ilz furent prins par ledit Thibault et autres, tous armez, et gectez de dessus leurs chevaulx à terre, et battuz, navrez et villenez, sans ce qu'ilz eussent aucunement mespris. » Pendant dix-huit semaines ils furent retenus en prison, sans que le sénéchal consentit à leur faire justice. Les défendeurs répondent que lesdits Buor ont été arrêtés pour plusieurs crimes, malefices et rébellions ; ils avaient notamment attaqué à main armée Jean de Sainte-Flaive et jeté à terre le sergent du sire de Clisson, etc. Guillaume Buor, se prétendant clerc non marié, fut réclamé par l'évêque de Luçon. A la suite des plaidoiries prononcées le 18 mars 1400, la cour admit les parties à faire la preuve de leurs allégations (X2A 12, fol. 428 v°), et le même jour, mandement fut expédié, ordonnant de procéder à une enquête. Les deux frères furent élargis jusqu'à nouvel ordre, leurs biens saisis leur furent restitués, et ils firent élection de domicile à Paris, chez Maurice Hubert, procureur, leur compatriote. (X2A 13, fol. 325.) On ne retrouve plus la trace de cette affaire, la série des registres criminels du Parlement présentant de regrettables lacunes.
Si, comme nous le pensons, notre Jean Buor est le même que celui dont il est question dans un acte de novembre 1408, qui sera publié dans le prochain volume, il était lui-même veuf de la fille de Jean de la Croix, dont il avait un fils encore enfant, nommé Jacques, quand il enleva Catherine Royrand. Dans un autre endroit des registres du Parlement, Jean est dit écuyer, fils d'Olivier Buor, seigneur de « la Louanchère, (on n'oserait affirmer que celui-ci et Olivier Buor, nommé ci-dessous comme ayant pris part à l'enlèvement, sont un seul et même personnage.) Le 9 août 1406, ce Jean avait acheté de Guillaume Espiard, sr de l'Espiardière, une rente noble annuelle de lO livres tournois sur l'hébergement de la Gaudinière, paroisse de Mormaison, puis quelques années après, le l7 mars l409 n.s., il en fit le transport au profit de Jacques, son fils mineur. A cette occasion, un différend s'éleva entre lui et le vendeur. L'affaire engagée dès le 30 avril 1410, et portée au Parlement, n'était pas terminée en 1416, Guillaume Espiard ayant constamment fait défaut. Deux arrêts rendus le 24 mai 1415 et le 21 mars 1416 n. s., adjugèrent le bénéfice de ces défauts à Jacques Buor, qui était alors étudiant à l'Université de Paris. (X1A 60, fol. 283 v° ; X1A 61, fol. 101 v°) — Quant à Maurice Buor, frère d'Olivier, il est mentionné déjà dans un acte de septembre 1392, imprimé ci-dessus, p. 87. Nous n'avons point d'autres renseignements sur lui.
2 Un Guillaume Marchais était prisonnier en 1387 à Fontenay-le-Comte, avec Vincent Fèvre ; ils étaient accusés d'avoir battu le fermier des aides, pris un sergent du duc de Berry et commis d'autres excès contre des officiers de ce prince, chargés de lever les impositions sur les terres de Poitou appartenant au connétable de Clisson. Ils avaient agi d'après les ordres de celui-ci, qui les livra ensuite au duc en guise de réparation. (Procès-verbal d'exécution d'un arrêt donné par le roi au profit du comte de Poitou contre Olivier de Clisson, 28 août 1387 et jours suivants. Arch. nat., J. 186a, n° 73.)
3 La branche de Bougon et de la Berlaire de la maison des Chasteigners, à laquelle appartenait sûrement le personnage nommé ici (son prénom étant bien caractéristique), est très mal connue. Duchesne cite Hubelin I Chasteigner, vivant en 1258 et 1270, auquel il attribue un fils, Hubelin II. Après lui manquent quelques degrés. Puis vint Jean Chasteigner, père d'Hubelin III, vivant en 1453. (Hist. généal. de la maison des Chasteigners, in-fol., p. 540.) Pour combler cette lacune considérable, la mention de cet autre Hubelin Chasteiger, vivant en 1398, est bien peu de chose. Et puis quel degré lui assigner ? Cette pénurie nous autorise à indiquer trois actes du Parlement relatifs à un Hubelin, qui pourrait être le père ou le grand-père de celui qui donna asile à Catherine Royrand. Le 26 février 1348, Hubelin Chasteigner, écuyer, était en procès contre Jean Bourdeau, notaire. Le même, en son nom et au nom de sa femme Marquise de Faye (ou de Fayac), femme autrefois de feu Jean Loyer ou Louher, avait fait ajourner Aimery Loyer ou Louher, chevalier. La cour prescrivit une enquête le 15 juillet 1349, puis, les parties ayant transigé à l'amiable, elle approuva les articles de leur accord, par arrêt du 20 avril 1350. (Arch. nat., X1All, fol. 269 v°; X1A 12, fol. 90 v° et 388.)