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DCCCLXVIII

Lettres d'amortissement en faveur de l'abbaye de Notre-Dame du Pin, des rentes qu'elle est autorisée à acquérir avec la somme de 500 écus que Jean de Torsay, chevalier et chambellan du roi, lui a versée pour racheter différentes rentes de froment, seigle et avoine et les arrérages qu'il devait à ladite abbaye.

  • B AN JJ. 155, n° 389, fol. 234
  • a P. Guérin, Archives historiques du Poitou, 24, p. 373-378
D'après a.

Charles, etc. Savoir faisons à tous, presens et avenir, que comme nostre amé et feal chevalier et chambellan, Jehan de Torsay, seigneur de la Roche Ruffin1 nous ait exposé que il est tenu par chascun an, à certains termes, aux religieux, abbé et convent de l'eglise de Nostre Dame du Pin 2 prez de Poitiers, en quarante seixters de blé seigle [p. 374] de rente annuelle et perpetuelle, à la mesure de Poitiers, pour cause de certains dons ou legas que ses predecesseurs firent à la dicte esglise, passé a deux cens ans, sur la terre de Beruges, laquelle Jehan de Torsay, chevalier, oncle de nostre dit chambellan3, tient à present de nostre [p. 375] très cher et très amé oncle le duc de Berry, à cause de sa compté de Poitou, en laquelle terre icellui Jehan a justice moienne et basse et la congnoissance et judicature de la haulte justice, et l'execution d'icelle haitlte justice appartient à nostre dit oncle, et en vint et un sextiers de blé froment et treze sextiers d'avoine de rente anuelle et perpetuelle sur tous les biens immeubles et heritages de nostre dit chambellan, tant ceulx qui sont tenuz en fief et arriere fief comme autres, pour cause de certains contraux faiz pieça entre feu Guillaume de Torsay4 chevalier, pere d'icelui [p. 376] nostre chambellan, d'une part, et Andrieu Mauvesin, du quel les diz religieux ont la cause en ceste partie, d'autre part; lesquelles rentes ont pieça esté par nous ou noz predecesseurs roys de France amorties. Et il soit ainsi que nostre dit chambellan, qui vouldroit bien soy descharger et acquicter du tout envers les diz religieux du principal des dites rentes, et aussi des arrerages qu'il en doit, eut traictié avecques yceulx religieux que, pour en estre quicte et deschargé, il leur paiera la somme de cinq cens escus pour une foiz, qu'ilz emploieront en autres rentes au proufit de la dicte eglise, mais qu'il nous plaise admortir ycelles rentes, si comme dit nostre dit chambellan, en nous humblement suppliant que, consideré que les rentes des grains dessus diz sont admorties, comme dit est, et que les dictes terres, biens, inmeubles et heritages qui en sont chargées en demourront par le dit traictié dechargées, et seront ycelles rentes consolidées avecques les dictes terres, biens, immeubles et heritages qui ne sont point admorties, il nous plaise octroyer le dit admortissement. Nous, ces choses considerées et les bons et agreables services que nostre dit chambellan nous a faiz ou temps passé, lui avons octroyé et par la teneur de ces presentes, de nostre [p. 377] certaine science, pleine puissance et grace especial, octrovons que les diz religieux, en lui delaissant et quictant les rentes des grains dessus dictes et les arrerages qui à ceste cause leur en sont deuz, puissent des diz cinq cens escus, qui leur paiera pour ce, acheter et acquerir, ensemble ou par parties, jusques à la valeur d'icelles rentes de grains, autres rentes en nostre royaume, pourveu que ce soit sanz fié et sanz justice, lesquelles rentes les diz religieux tendront et possideront, et pourront tenir et possider paisiblement et perpetuelment, sanz ce qu'ilz soient ou puissent estre contrains, ores ne ou temps avenir, à les delaissier, vendre, aliener, ou autrement mettre hors de leur main, ne paier pour ce à nous ou à noz successeurs roys de France aucune finance, quelle qu'elle soit, mais ycelle finance, s'aucune nous en estoit ou povoit estre deue, leur avons, pour les causes dessus dictes, donnée et quictiée, et par ces mesmes lettres donnons, remettons et quictons à tousjours, parmi ce toutesvoies que la dicte rente ainsi rachetée par nostre dit chambellan des diz religieux, comme dit est, demourra non admortie. Si donnons en mandement à noz amez et feaulx gens de noz comptes et tresoriers à Paris, et à tous noz autres justiciers et officiers, ou à leurs lieux tenans, presens et avenir, et à chascun d'eulx, si comme à lui appartendra, que de nostre presente grace et octroy facent, seuffrent et laissent les diz religieux joir et user paisiblement, selon la fourme et teneur de ces presentes, sanz les molester ne empescher, ne souffrir estre empeschez ne molestez, ores ne ou temps avenir, en aucune maniere au contraire, non obstant quelconques dons ou graces par nous autrefoiz faiz aus diz religieus et à nostre dit chambellan, en ces presentes non exprimez, et quelconques ordenances, mandemens et defences à ce contraires. Et afin que ce soit ferme chose et estable à tousjours, nous avons fait mettre nostre seel à ces presentes lettres. Sauf en autres choses nostre droit et l'autrui en [p. 378] toutes. Donné à Paris, le IIIe jour de janvier l'an de grace mil CCCC, et le XXIe de nostre regne.
Par le roy en son conseil, messeigneurs les ducs de Bourgongne, de Bourbonnois, les contes de Nevers5 et de Cler- mont6, le sire de Chastillon7, le vidame de Laonnois8 et autres presens. P. Ferron.


1 Jean de Torsay devint quelques années plus tard sénéchal de Poitou, charge qu'il exerça pendant vingt-deux ans, et maître des arbalétriers de France, en 1415. Il mourut en 1427 ou 1428. Sur ce personnage les documents abondent. Nous renvoyons sa notice biographique à notre prochain volume, qui contiendra plusieurs documents le concernant.
2 Comme pour presque toutes les abbayes poitevines, la Gallia christiana ne donne qu'une liste bien incomplète des abbés de Notre-Dame du Pin. Cependant, elle cite pour l'époque où nous sommes Guillaume Du Puy, mentionné dans deux titres, l'un de 1389 et l'autre de 1407, et qui serait mort en 1410. (Tome II, col. 1351.) C'est vraisemblablement lui qui était à la tête de l'abbaye du Pin, à la date de ces lettres d'amortissement.
3 Ce personnage ne figure pas sur les fragments de généalogie, d'une regrettable insuffisance, que le Père Anselme donne de la famille de Torsay. Ignorant son existence et apprenant par un arrêt du Parlement, du 23 juin 1376, que Jeanne Horric (Orry, Horrie), veuve de Bertrand de Cazelis, chevalier, mère de deux filles de ce premier mariage, dont elle avait la tutelle, s'était remariée avec Jean de Torsay, nous avions supposé qu'il s'agissait du futur sénéchal de Poitou, fils de Guillaume de Torsay (voy. notre tome IV, p. 410 note), tandis que en réalité c'est son oncle qui avait épousé la veuve de Bertrand de Cazelis. Un différend à propos d'une autre tutelle, dont le Parlement fut appelé aussi à prendre connaissance, nous fournit quelques autres renseignements de famille sur Jean de Torsay, oncle du sénéchal, et permet de le suivre jusqu'en 1399. Guy de Varèze, chevalier poitevin, avait succombé dans l'expédition de Barbarie, dirigée par Louis duc de Bourbon, en 1390. Avant son départ déjà, veuf d'Andrée de Mons, il avait fait son testament, car il laissait derrière lui quatre enfants mineurs, Jean et Guillaume, Jeanne et Catherine. L'exécution de ses dernières volontés, particulièrement en ce qui touchait la garde des orphelins, rencontra des difficultés. Autin, alias Autaen de Mons, et Jean Janvre, l'aîné, écuyer, d'une part, Jean de Torsay, chevalier, et Jeanne Horric, sa femme, d'autre, se disputaient la tutelle. Le 18 avril 1391, les choses paraissaient arrangées, la cour ayant entériné un accord amiable conclu entre les parties, le 2 février précédent. Par cet acte, Autin de Mons et Jean Janvre, l'aîné, tuteurs désignés par le testament, transportaient leur droit à Jean de Torsay et à sa femme, moyennant promesse de mariage entre les quatre enfants de ceux-ci et les quatre enfants du défunt chevalier. Ces unions du reste avaient, parait-il, été projetées du vivant de Guy de Varèze. Il était donc convenu que, quand les mineurs seraient en âge, Jean, fils aîné de Guy de Varèze, épouserait Jeanne, fille d'un premier lit de Jean de Torsay, Guillaume le puîné prendrait pour femme Philippe, fille de Jean de Torsay et de Jeanne Horric ; Robert leur fils aîné et Jean leur second fils se marieraient avec Jeanne et Catherine de Varèze. (Arch. nat., X1C 62.) Une clause de cette transaction portait que, dans le cas où les enfants de Jean de Torsay, ou l'un d'eux, décéderaient avant ou après le mariage accompli, la garde des enfants de Guy de Varèze reviendrait aux premiers tuteurs. Depuis, Jean de Varèze épousa Jeanne de Torsay et lui fit don de sa terre de Lugné, à l'instigation des parents de celle-ci. La jeune femme étant morte peu de temps après, Jean de Varèze, qui n'était pas encore majeur, dut être replacé sous la tutelle d'Autin de Mons et de Jean Janvre, suivant les conventions. Ensuite Guillaume et Jeanne de Varèze furent enlevés par la mort. Jean de Torsay le père et sa femme voulurent alors marier Catherine de Varèze, âgée de treize ans, avec leur cinquième et plus jeune fils Paonnet, ayant à peine huit ans, né après le décès de Guy de Varèze, et dont par conséquent il n'avait pu être question dans l'accord du 2 février 1391. De là opposition des parents de Catherine et procès intenté par les anciens tuteurs contre Jean de Torsay et Jeanne Horric, qu'ils accusaient en outre de retenir indûment les biens de Jean de Varèze et d'en percevoir les revenus. L'arrêt du Parlement du 1er février 1399 n. s., auquel nous empruntons ces détails, en contient d'autres aussi intéressants, mais il est beaucoup trop développé pour que nous le suivions pas à pas. La conclusion n'en fut pas favorable à Jean de Torsay et à sa femme. Ils furent déclarés déchus de tous droits sur Catherine de Varèze, condamnés à restituer immédiatement les héritages de celle-ci et de son frère ainé Jean, en l'état où ils se trouvaient quand ils en avaient reçu la garde, à rendre compte des revenus qu'ils avaient perçus et de leur administration, et de plus à payer, outre les dépens de la cause, des dommages-intérêts à Autin de Mons et à Jean Janvre. La cour, par le même arrêt, annula et cassa la donation de la terre de Lugné qu'ils avaient obtenue de Jean de Varèze pour Jeanne de Torsay et dont ils prétendaient hériter. (X1A 46, fol, 149.) On peut voir aussi un arrêt rendu, le 15 juin 1398, entre Jean de Torsay et Louis Herbert, écuyer, intéressant la même tutelle des enfants de Guy de Varèze. (X1A 45, fol. 150.)
4 Guillaume de Torsay, chevalier, que l'on trouve qualifié dans les actes seigneur de la Roche-Ruffin et de la Mothe-Saint-Héraye, fut chambellan du roi et du duc de Berry, sénéchal de Saintonge. C'est par lui que le P. Anselme commence la généalogie de Torsay, et cet auteur dit qu'il vivait encore en 1405. (Hist. généal., t. VIII, p. 70.) On voit par ce texte que c'est une erreur, et que Guillaume mourut au plus tard vers la fin de l'année 1400. On ne le trouve pas mentionné antérieurement à 1382. Cette année-là, il prit part à la campagne de Flandre. Puis on cite de lui une quittance, datée du 28 novembre 1383, de partie d'un don de 500 francs d'orque Charles VI lui avait accordé, par lettres du 11 mai précédent. L'année suivante, il accompagna le duc de Berry à Boulogne-sur-mer et assista aux conférences d'un traité de trêve qui y fut signé. En 1385, Guillaume de Torsay soumit au Parlement une contestation qu'il avait avec un nommé Mahy Bridel, à propos d'une saisie-exécution ; cette affaire peu importante se termina par une transaction le 17 juillet. (Arch. nat., X1C 45) Quand le roi résolut de faire un voyage en Allemagine, Guillaume était encore en la compagnie du comte de Poitou, avec cinq écuyers (montre du 8 octobre 1388). Il fit hommage, en 1393, au seigneur de la Rochefoucauld des biens qui lui étaient échus du côté de sa femme, Talaisie de Chastenet, à cause de laquelle il était en procès devant la cour, l'an 1396, contre Blanche d'Archiac, veuve de Bertrand de Chastenet, son beau-frère, dont il réclamait l'héritage. (Arrêt interlocutoire du 25 novembre, X1A 44, fol. 78.) Guillaume de Torsay aurait été pourvu de l'office de sénéchal de Saintonge, le 23 septembre 1397 (voy. ci-dessus, p. 290, note 1), si la mention d'inventaire que nous avons citée s'applique bien à lui. Il laissa deux fils, Jean, sénéchal de Poitou, qui fut seigneur de Lezay et de bien d'autres lieux, et Guillaume, seigneur de Melleran, suivant le P. Anselme, et mari de Jeanne d'Archiac, sur lesquels nous reviendrons. — Le généalogiste ne parle pas de deux autres membres de la famille de Torsay, vivants à cette époque. Quels étaient Robert de Torsay, échanson du duc de Berry en 1398 (reg. de comptes KK. 253, fol. 91), et Jeanne de Torsay, dame de la Mothe-Saint-Heraye, qui, le 23 novembre 1400, recevait un hommage de Jean Gallicher, prieur du monastère de Saint-Hilaire de la Celle? (Coll. dom Fonteneau, t.XII, p. 677.)
5 Jean, fils de Philippe le Hardi, duc de Bourgogne, et de Marguerite de Flandre, fut comte de Nevers jusqu'à la mort de son père (1404), époque où il lui succéda au duché de Bourgogne.
6 Jean de Bourbon, fils aîné de Louis II duc de Bourbon et d'Anne dauphine d'Auvergne, comtesse de Forez, porta le titre de comte de Clermont jusqu'à la mort de son père (19 août 1410).
7 Jacques sire de Châtillon et de Dampierre, chambellan du roi, amiral de France, tué à la bataille d'Azincourt.
8 Jean de Montaigu (voy. ci-dessus, p. 346, note).