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DCCLXIII

Rémission accordée à Géheudin Chabot, chevalier, et à Sebran Chabot, écuyer, son frère, convaincus d'avoir porté une fausse accusation de vol de quittances contre Thibaut Chabot, chevalier, avec qui ils étaient en procès, et d'avoir suborné des témoins, à condition qu'ils tiendront prison fermée pendant six mois à Paris. 1

  • B AN JJ. 142, n° 90, fol. 60 v°
  • a P. Guérin, Archives historiques du Poitou, 24, p. 66-70
D'après a.

Charles, etc. Savoir faisons à touz, presens et avenir, à nous avoir esté exposé de la partie des amis charnelz de [p. 67] Guehedio Chabot, chevalier, chargié de femme, de six filz et de troiz filles2, et de Sambrant Chabot, escuier, son frere, prisonniers à Paris, par ordenance de nostre court de Parlement, povres et miserables personnes, que, comme pluseurs plaiz et procès aient esté et soient meuz en nostre dicte court de Parlement, tant pour raison de la terre de Chantemerle comme autrement, entre Thibaut Chabot3, chevalier, d'une part, et les diz freres, d'autre [p. 68] part, entre lesquelz pluseurs impetracions, executions de lettres et mandemens s'en sont ensuyz, et pour ce que les diz freres se veoient chargiez de tant de procès, yceulx freres par vertu de certaines noz lettres impetrées ou nom du dit Sambrant, firent faire certaine information par Pierre Maynart4, nostre sergent commis à ce, à l'encontre de Guillaume Crespin, Jehan Cresson et Pierre Herbert, familiers ou amis domestiques dudit Thibaut, pour lequel ilz poursuioient les diz procès et execucions, et autres exploiz ; et devant le dit sergent les diz freres produirent certains tesmoings, dont les aucuns sont familiers du dit Sambrant, et iceulx tesmoings induirent par promesses, belles paroles, dons, corrupcions, menaces ou autrement, à deposer, combien qu'il n'en fust riens, qu'ilz avoient veu et oy lire à Pierre Baron5, clerc dudit Sambrant, deux quictances que le dit Baron avoit apporté en une boete de Partenay, avec autres choses en unes besaces, c'est assavoir l'une des quictances faisant mencion de treze mile franz, seeliée et tabellionnée, en quoy feu Guillaume Chabot6, pere des diz freres, fu pieça condempné, si comme l'en dit, par arrest de nostre dicte court envers le pere du dit Thibaut, et l'autre quictance faisant mencion de six vins livres de rente en deniers et d'aucuns arrerages et sommes de deniers dependans d'icelle, en la quele rente yceulx freres furent pieça obligiez à feu Jehan de Lestrain, et qu'ilz virent que les diz Crespin, Cresson et Herbert alerent en l'ostel du dit Sambrant à la Roussiere [p. 69] et illecques prindrent, ravirent et emportèrent les dictes quictances et autres choses de l'ostel du dit Sambrant, lui estant absent, et du consentement du dit Thibaut ou aiant le fait agreable, et soubz umbre de la dicte informacion ainsi faicte, les dessus nommez Crespin, Cresson et Herbert ont seulement esté adjournez à comparoir personnelment en nostre dicte court; et depuis les diz freres n'y procederent ne firent procéder aucunement, combien que de l'ordenance de nostre dicte court, pour certaines causes qui à ce la meurent, le dit Crespin eust esté emprisonné en nostre Chastellet de Paris, par l'espace de un jour seulement, et recreu par eslargissement jusques à certain temps. Et pour ce que la dicte informacion, au pourchaz des diz adjournez, par ordenance de nostre dicte court avoit esté recolée, nostre dicte court ordonna, veue la dicte recolacion, que les diz freres et aussi les tesmoings feussent prins et amenez prisonniers en nostre Chastellet de Paris. Et finablement yceulx freres, venuz à Paris, ont esté prins et emprisonnez, et a nostre dicte court telement procédé contre eulx qu'ilz ont confessé le dit cas. Par quoy ilz sont en voye de souffrir paine publique ou autre punicion ou diffame de leurs personnes, en nous humblement suppliant que, comme en touz autres cas les dix freres aient esté et soient de bonne vie, fame et renommée et honneste conversacion, et que eulz et leurs prédécesseurs ont servi nous et noz predecesseurs ès guerres et autrement, c'est assavoir le dit Guehedin avec feuz le mareschal Boussicaut7, Guichard d'Angle8 et autres chevitaines de feuz noz très chers et très amez ayeul et pere que Dieux absoille, et aussi de nous, et a esté le dit [p. 70] Guehedin pluseurs foiz en Pruce sur les Sarrazins, et en l'armée que fist le roy de Chipre oultre mer devant Triple en Surie9, et ailleurs par delà sur les diz Sarrazins, sur lesquelz les crestiens orent de belles victoires et desconfitures, et ont esté les diz freres prisonniers de noz ennemiz, du temps des premieres guerres, et mesmement ledit Guehedin à la bataille de Poitiers, où il fu navré, prins et aprisonné, nous à yceulx freres vueillons eslargir nostre grace et misericorde. Pour quoy nous, considerans les choses dessus dictes, et pour le joyeux advenement et nativité de nostre très cher et très amé filz le dalphin de Viennois10, le cas dessus dit, etc., avons remis, quicté et pardonné, etc., parmi ce toutevoies que les diz freres tendront prison fermée à Paris, jusques à demi an prochainement venant. Si donnons en mandement à noz amez et feaulx les genz qui tiennent et tendront nostre dit Parlement, et à touz noz justiciers et officiers, etc. Donné à Paris, ou moys de fevrier l'an de grace mil CCC IIIIXX et onze, et de nostre regne le douziesme.

Autrefoiz ainsy signée : Par le roy. Et rescripte selon vostre correction. Dominique.


1 Les faits rapportés dans ces lettres ne sont qu'un épisode, et non le moins curieux, de l'interminable série de procès qui mit aux prises pendant plus de soixante ans deux branches de la maison de Chabot, et eut pour point de départ la mauvaise administration et la coupable dissipation des biens de Thibaut VII, seigneur de la Grève, par son oncle et tuteur Guillaume, seigneur de Chantemerle, le père de Géheudin et Sebran. Nous avons eu occasion, à plusieurs reprises, de noter les phases diverses de cette procédure (voy. notamment tome III, p. 91, note 3, et tome IV, page 125, note 2) ; nous nous contenterons ici de compléter, à l'aide des registres du Parlement, les détails de l'incident criminel qui nécessita la rémission royale. D'accusés, Guillaume Crespin, Pierre Herbert et Jean Cresson, familiers de Thibaut VIII Chabot, sr de la Grève, se firent accusateurs et portèrent plainte d'abord contre les deux frères Géheudin et Sebran Chabot, puis contre Louis Duclou, Vincent Berjonneau, Jean Esgau et Jeanne Rorteau, veuve de Guillaume Guérin, les faux témoins qui affirmaient les avoir vus envahir à main armée l'hôtel de la Roussière, en l'absence de Sebran Chabot, et emporter tous ses meubles, or, argent, vêtements, etc., sans oublier les prétendues quittances et obligations. Ils n'eurent pas de peine à démontrer que les deux frères Chabot avaient imaginé ce moyen commode, mais peu scrupuleux, de se libérer envers leur créancier. Géheudin et Sebran, ainsi que les faux témoins produits par eux, furent arrêtés et amenés prisonniers à la Conciergerie. La procédure fut simplifiée par suite des aveux des accusés, qui déclarèrent, spontanément et sans attendre d'être mis à la question, que les sollicitations, les promesses et les menaces des deux frères avaient pu seules les décider à se parjurer et à raconter des faits purement imaginaires. C'est alors que, se voyant perdus, Géheudin et Sebran eurent recours à la clémence royale et obtinrent les lettres de remission dont nous donnons ici le texte. Ces lettres présentées à la cour et à la partie adverse ne donnèrent lieu à aucune discussion. Outre les six mois de prison fermée infligée aux instigateurs de la dénonciation calomnieuse, elles ne contestaient pas aux demandeurs le droit à une réparation civile ; de plus elles ne visaient en aucune façon les faux témoins. La justice n'était donc pas tout à fait dessaisie par le fait de cette rémission. Le Parlement rendit son arrêt le 4 mars 1392 n. s. ; il condamnait Géheudin et Sebran Chabot à faire amende honorable en pleine cour, à genoux, tète nue et déceints, envers Guillaume Crespin, Pierre Herbert et Jean Cresson, et à leur payer à chacun cent livres tournois, plus leurs dépens, obtempérant d'ailleurs au contenu des lettres de rémission. En ce qui touchait Louis Duclou, Vincent Berjonneau, Jean Esgau et Jeanne Rorteau, il fut dit qu'ils seraient tournés au pilori une fois à Paris et à Parthenay un jour de marché, avec publication à haute voix de la cause de leur condamnation. Aussitôt après le prononcé, de cet arrêt, Jean Moreau, procureur de Guillaume Crespin et des autres demandeurs, s'avança à la barre et déclara que ses clients faisaient remise à G. et S. Chabot de l'amende honorable. (Arch. nat, X2A11, fol. 307 v° à 309.) Pour qui voudrait suivre de plus près cette affaire, nous indiquerons les autres endroits de ce registre et du suivant, où il en est question. La première mention est du 27 juin 1391 et la dernière du 29 mai 1392. (Voy. X2A 11, fol. 135, 136, 138, 142 ; X2A 12, fol. 127, 144 v°, 146 v°.).
2 Des trois fils de Guillaume Chabot et de Jeanne Pouvreau, l'aîné Louis était mort quelque temps après le 18 juillet 1377 (X1A 26, fol. 183), sans laisser de postérité. Géheudin, seigneur de Pressigny, la Roussière et Nesmy, avait épousé Jeanne de Sainte-Flaive, dame de Nesmy. Sur les neuf enfants qu'elle lui donna, il y en avait encore huit vivants, quand il mourut le 8 février 1404 n. s. (Dict. des familles dit Poitou, anc. édit., tome Ier, p. 573.)
3 Thibaut VIII, seigneur de la Grève et du petit château de Vouvent, fils de Thibaut VII et de N. de Machecoul, marié à Amicie, fille de Jean sire de Maure et d'Aliette de Rochefort, dont il eut Louis son héritier, et Marie, femme de Guy de Beaumont, sr de Bressuire. (Id., page 561.) Nous ne reviendrons pas sur la notice qui lui a été consacrée précédemment (tome IV, page 425), quoique nous ayons recueilli dans les registres du Parlement un assez bon nombre de renseignements nouveaux sur ses affaires contentieuses. Cela nous conduirait trop loin.
4 Pour Pierre Maynart, voir ci-dessous n° DCCLXXI, lettres du 25 septembre 1392.
5 Il obtint des lettres de rémission spéciales, le 25 septembre suivant. (Voir à cette date, n° DCCLXXI.)
6 Cf. sur Guillaume Chabot, nos tomes II, p. 359 note, et III, p. 91, note 3.
7 Jean Le Meingre, dit Boucicaut, maréchal de France, avait été lieutenant du roi en Poitou de 1358 à 1360. (Cf. notre tome III, p. 279, note et passim.)
8 Guichard II d'Angle, sr de Pleumartin, de Rochefort-sur-Charente. (Voir sur ce personnage nos trois volumes précédents, notamment t. III, p. 258 note, et IV, p. 90 note.)
9 Cette mention ne peut se rapporter qu'à l'expédition dirigée, au mois de septembre 1366, par Pierre Ier de Lusignan, roi de Chypre. « L'an 1366, secouru des Génois et des Rhodiens, le roi Pierre équipe une nouvelle flotte de 140 vaisseaux avec laquelle il fait voile vers Tripoli, qu'il emporte l'épée à la main; de là il va prendre et brûler Tortose, Laodicée, Bélénas et autres villes sur la côte de Syrie. [Art de vérifier les dates, édit. in-fol., t. Ier, p. 465 ; Floris Bustron, Chronique de l'île de Chypre, coll. des Documents inédits, Mélanges historiques, t. V, 1886, p.265.)
10 Charles de France, duc de Guyenne et dauphin de Viennois, né à l'hôtel de Saint-Pol à Paris, le mardi 6 février 1392 n s., entre sept et huit heures du soir, baptisé à Saint-Pol par Guillaume de Dormans, archevêque de Sens, et tenu sur les fonts par le duc de Bourgogne et le comte de Dammartin, mort d'étisie le 11 janvier 1401.