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DCCLI

Rémission accordée à Pierre Regnaudeau, sergent et garde des vignes d'Hélie Chasteigner, qui, en se défendant contre deux hommes qu'il avait surpris en flagrant délit de vol de raisin et qui s'étaient mis en état de rébellion contre lui, avait fait à l'un d'eux, nommé Jean Favereau, une blessure ayant déterminé sa mort.

  • B AN JJ. 140, n° 49, p. 60
  • a P. Guérin, Archives historiques du Poitou, 24, p. 38-41
D'après a.

Charles, etc. Savoir faisons à tous, presens et avenir, à nous avoir esté exposé de la partie de Pierre Regnaudeau, jeune varlet demourant ou païs de Poitou, que comme il ait esté et soit de bonne vie et conversacion honneste, bon et loyal serviteur, et pour les services qu'il avoit faiz à nostre amé et féal chevalier Helie Chastaignier1, son [p. 39] maistre, il eust esté commis et ordonné pour estre sergent et garde des vignes en la terre de son dit maistre ; et advint que, III ans a ou environ, lui gardant les dites vignes, deux bons hommes de plat païs, qui venoient d'une foire du païs à tout une charrette à beufz, entrerent en l'une des vignes dont le dit exposant avoit la garde, prenoient et mengoient des raisins, et avoient jà environ II chaperons plains, lesquelz en present meffait furent prinz et gaigez par le dit exposant, qui leur dist qu'il retendroit le gaige de deux pains tant seulement, qui estoient sur la dicte charrette, et qu'il le venissent amender par devers la justice de son dit maistre. Et ce fait, ledit sergent s'en retourna à la garde des dictes vignes pour son office, et les deux hommes s'en partirent d'autre part. Maiz quant ilz orent bien po alé, il se raviserent et distrent entre eulz que c'estoit grant honte que eulx deux s'estoient lessiez gaiger par un seul homme, et de fait rettournerent, garniz de bastons pesans de leur charrette qu'il portoient derriere eulx, et s'adrecerent au dit exposant, en lui disant qu'il leur rendist leur dit gaige, ou autrement ilz savoient bien qu'il avoient à faire. Le quel exposant leur respondit que le gaige n'estoit pas de si [p. 40] grant valeur et qu'il alassent devers son dit maistre pour l'amender, et il leur aideroit voulentiers à faire très bonne compaignie. Lesquelz II hommes se mistrent en grant rebellion et desobeissance, et l'un d'eulx prinst son baston de charrette et l'esleva pour frapper le dit exposant, qui lors se mussa pour les coups derriere un arbre et soustenoit les coups le mieulx qu'il povoit à tout une taloche qu'il mist au devant, pour soy targer ; maiz quant il se vit ainsi poursuy et assailli, il saicha son espée et se mist à defense le mieulx qu'il peust ; et en soy targant et defendant, actaint et frappa en la meslée par la main deux coups cellui qui ainsi l'assailloit, appellé Jehan Favereau, jusques à effusion de sang, et peut estre que du coup les nerfs furent rompuz et aucuns os cassez ; li quelz Jehan Favereau, quant il se senti blecié, prinst à dire ; « Je suiz bleciez », et le dit exposant lui dist: « Pourquoy me venoyes tu assaillir ? » Et lors l'autre homme s'adreça vers le dit exposant à tout son baston pour le batre et villener, s'il eust peu ; maiz le dit exposant qui est fort et legier se defendit à son espée le mieulz qu'il pot contre les deux et tellement qu'il lui crierent mercy, et n'y ot navré fors que ledit Favereau en la main, comme dit est. Li quel Favereau ne se mist pas en mains de bons mires, et cinq jours après ou environ ala de vie à trespas, et desacoulpant et desblamant le dit exposant du dit fait, et recongnut par devant pluseurs gens dignes de foy qu'il avoit eu tort du dit exposant et qu'il avoit esté le premier aggresseur, et que c'estoit par son oultrage et coulpe. Et depuis la femme et enfans du dit mort ont fait paix et accord avec le dit exposant. Maiz neantmoins le dit exposant se doubte que aucuns ses hayneux ou malveillans le puissent faire molester par rigueur de justice pour ledit fait, ou temps avenir, se sur ce il n'a nostre grace. Nous adecertes, eu regart aus choses dessus dictes, voulans misericorde preferer à rigueur de justice, le fait et cas de la dicte [p. 41] mort, etc., lui avons quicté, remis et pardonné, quictons, remettons et pardonnons, etc. Donnons en mandement au gouverneur de la Rochelle et à tous noz autres justiciers et officiers, etc. Donné à Paris, le XXVIIIe jour de janvier l'an de grace mil CCC IIIIXX et dix, et de nostre regne le XI°.

Par le roy, à la relacion du conseil. R. Le Fevre.


1 Hélie Chasteigner, fils aîné de Jean II, seigneur de Saint-Georges-de-Rex et de la Salle-d'Aîtré, dont il a été question dans nos précédents volumes (tome II, p. 331 ; tome III, p. 123, et t. IV, p. 261), et d'Isabeau de Gourville, succéda à son père à la fin de 1378 ou au commencement de 1379, et mourut dans les derniers mois de 1395, laissant de Philippe de la Rochefaton, héritière de cette maison, sa femme, neuf enfants en bas âge. Sa veuve fit son testament le 17 février 1424 n. s. et décéda quelques jours après. Leur fils aîné Geoffroy, seigneur de Saint-Georges-de-Rex et de la Rochefaton, mourut la même année, le 29 octobre. André Du Chesne donne des renseignements abondants et précis sur Hélie Chasteiener, ses alliances et sa postérité. (Hist. généal. de la maison des Chasteigners. Paris, in-fol., 1634, p. 48 et suiv.) Il a été dit un mot, dans l'un de nos précédents volumes, d'un procès qu'Hélie Chasteigner soutint en 1375 avec Gauvain Chenin, Jean et Thibaut Béchillon, contre Hugues de Cologne, tuteur de son neveu Jacques Chenin, sr de la Jarrie (voy. t. IV, p. 124 note). Du Chesne mentionne simplement, sous la date du 1er février 1389 (1390 n. s.), un accord passé entre ce personnage et Jean d'Argenton, seigneur d'Hérisson, touchant le douaire de Philippe dame de la Rochefaton, qui avait été mariée en premières noces avec Louis d'Argenton, sr d'Hérisson, frère dudit Jean (op. cit., preuves, p. 50). Ce curieux document de famille est transcrit tout au long sur un registre du Parlement avec l'arrêt d'homologation, rendu le 14 avril 1412 seulement (Arch. nat., X1A 59. fol. 134, et X1A 1479, fol. 198). Citons encore ce court extrait du registre des hommages dus au seigneur de Parthenay, en 1428 : « Messire Hélies Chasteigner, à cause de sa femme, hommage plain, à XL livres et LX sous de service, de plusieurs masures et borderies de terre assises en la parroisse de la Pérate, et en icelles d'Aubigné, de Brecigné, d'Ourour et ailleurs. Et de present en fait l'ommage le filz aisné de feu messire Geoffroy Chasteigner, chevalier, qui est héritier du dit messire », son grand-père. (Arch. nat, R1* 190, fol. 8 v°.)