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DCCCIII

Rémission en faveur de Michaut Mestraut, de Chardonchamp près Poitiers, qui, attaqué traîtreusement par un de ses compagnons, nommé Jean de Poitiers, en se défendant contre lui, lui fit une blessure mortelle.

  • B AN JJ. 147, n° 298, fol. 135
  • a P. Guérin, Archives historiques du Poitou, 24, p. 198-200
D'après a.

Charles, etc. Savoir faisons à tous, presens et avenir, nous avoir oye la supplicacion de Michaut Mestraut, demourant en la ville de Charchamp1 près de Poictiers, en l'ostel de Guillaume Taillant, contenant comme lui, Jehan Raillart et Jehan de Poictiers eussent demouré ensemble en l'ostel du dit Guillaume par l'espace de trois moys ou environ, et pour cause de la merveilleté2 et riote qui estoit en la personne du dit Jehan de Poictiers, le dit Guillaume lui eust donné congié, et depuis qu'il eust congié, il dist au dit suppliant que le dit Guillaume, son maistre, disoit assez[p. 199] de mal de lui et lui donroit bien brief congié, si comme il avoit entendu du dit Guillaume, et la quelle chose ainsi dicte et raportée au dit suppliant, il le raconta au dit Guillaume, son maistre, et tant que la veille de la saint Laurent derrenierement passée3, le dit Guillaume manda le dit Jehan de Poictiers qui là vint, present les diz suppliant, Raillart et autres, et demanda le dit Guillaume au dit de Poictiers quant ce avoit esté que il lui devoit avoir dictes les paroles devant declarées, les quelles le dit de Poictiers denya avoir onques dictes au dit suppliant ; et incontinent le dit suppliant prouva les lui avoir dictes en la maniere que dit est dessus, et icelles ainsi prouvées, le dit suppliant donna une buffe au dit de Poictiers, pour le ny que il avoit fait et faisoit contre raison. Dont le dit Jehan de Poictiers fu moult esmeu et fist son povoir de soy revanchier d'un coustel que il portoit, et eust navré ou affolé le dit suppliant, se il n'eust esté detenu de pluseurs gens qui là estoient. Neantmoins, autre mal ne noise n'y ot, mais fu la paix incontinent faicte entre eulx, et burent ensemble par bon accord, comme il sembloit. Et le dit jour de sainct Laurens, que le dit suppliant et le dit Raillart qui estoient compaignons de long temps, couchans, levans et besoingnans ensemble, environ la nuit, s'estoient partiz de la maison de leur dit maistre, pour aler coucher à un molin un po loing de l'ostel de leur dit maistre, à qui le dit moulin appartenoit et où ilz avoient apris à coucher et aler chascune nuit, et qui n'avoient coustel ne baston, comme ceulz qui de riens n'avoient doubte ne qui ne cuidoient estre haïs du dit de Poictiers ne d'autres ; et quant ilz furent comme pour passer un mur qui est entre le dit hostel du dit Guillaume et le dit moulin, en un anglet d'icellui mur, le dit de Poictiers qui estoit un homme riotteux, batailleux et hayneux de pluseurs et [p. 200] comme craint de ceulz du païs, estoit là espiant et agaittant yceulx suppliant et Raillart, garni d'une demie lance et de un coustel, et si tost qu'il les apperçut et que le dit suppliant passa le premier le dit anglet de mur, qui en riens ne se donnoit garde du dit de Poictiers, ycellui de Poictiers donna au dit suppliant en traïson et de fait advisié de la dicte demie lance par derriere par le dos et lui fist grant plaie et mehaing, et comme près d'avoir esté tué ; et le dit Raillart qui ainsi vit son compaignon navré et affolé, doubtant que il n'en eust autant, couru à pierres et en gecta trois au dit de Poictiers, et peut estre que il en attaigny sur la teste sanz plaie ou mehaing, et le dit suppliant osta au dit de Poictiers sa demie lance. Et lors le dit de Poictiers, qui ne vouloit que hutin et mal, courut aus pierres, pour courir sus aus diz suppliant et Raillart, les quelz n'avoient voulenté de lui mal faire, et pour ce s'en fouyrent, sanz ce qu'il y eust autre chose ne fait ne dit. Et ce non obstant, au matin, l'en trouva le dit de Poictiers mort en une piece de terre, on ne scet comment ne pourquoy. Mais neantmoins, pour cause de la dicte buffe donnée comme dit est et des pierres ainsi gectées, le dit suppliant s'est absenté du païs et en adventure que jamais n'y ose converser, se nostre grace et misericorde ne lui est sur ce impartie, en nous suppliant d'icelle. Nous, ces choses considerées et que le dit suppliant tout son temps a esté homme de bonne vie, renommée et conversacion honneste, sanz avoir esté reprins d'autre vilain cas ou reproche, si comme il dit, au dit suppliant ou cas dessus dit avons quicté, remis et pardonné, etc. Si donnons en mandement par ces presentes au bailli de Touraine et des Exempcions d'Anjou, du Maine et de Poitou, et à touz noz autres justiciers, etc. Donné à Paris, ou mois de may l'an de grace mil CCC IIIIXX et XV, et le XVe de nostre regne.
Par le roy, à la relacion du conseil. N. de Voisines.


1 Sic. Il faut lire sans doute Chardonchamp.
2 Merveilleté, arrogance, dit F. Godefroy, qui cite précisément ce passage. (Dict. de l'anc. langue française.)
3 Le 9 août 1394.