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DCCXLVII

Rémission accordée à Thibaut Portier, valet de chambre du duc de Berry, qui, pour se venger de Jean de Verberie, sergent à verge au Châtelet de Paris, dont il avait eu autrefois à se plaindre, le fit rouer de coups d'épées et de bâtons, au point qu'il en mourut huit jours après.

  • B AN JJ. 139, n° 212, fol. 255
  • a P. Guérin, Archives historiques du Poitou, 24, p. 21-24
D'après a.

Charles, etc. Savoir faisons à touz, presens et avenir, nous avoir receu l'umble supplicacion de Thibaut Portier1, [p. 22] varlet de chambre de nostre très chier et très amé oncle le duc de Berry, contenant que comme, pour occasion de ce que Jehan de Verbrie, jadiz sergent à verge de nostre Chastellet de Paris, par avant ce que le dit Thibaut feust ou service de nostre dit oncle, le dit sergent eust prié au dit [p. 23] Thibaut, ycellui estant en l'esglise de Saint Nicolas des Champs, qu'il lui voulsist donner une chopine de vin, auquel sergent respondi le dit Thibaut qu'il n'y oseroit aler pour double qu'il ne l'emprisonnast par vertu d'un gaigement ou quel il estoit obligé à tenir prison pour argent qu'il devoit à une certaine personne. Auquel Thibaut respondist le dit sergent qu'il ne lui menroit point et qu'il issist hardiement ; lequel Thibaut s'en issi d'icelle esglise, à l'affirmation du dit sergent, et incontinent que le dit Thibaut fu hors de l'esglise, le print icellui sergent et le mena en prison en nostre dit Chastellet. Pour le fait duquel cas le dit Thibaut, quant il fu ou service de nostre dit oncle, après ce que nous feusmes derrainement retournez du pays de Flandres2, lui estant logié au Chappeau rouge en la rue neuve Saint Merry à Paris, dist à Symonnet son frere, à Colin de la Sale3, et à Perrin Billart, et à pluseurs autres ses variés et serviteurs : « Se vous ne me vengiez de ce ribaut Jehan de Verbrye, jamais vous ne mangerez de pain ne buvrez de vin que j'aye ». Après lesquelles paroles, le dit Symonnet son frere, pour lui complaire, acompaignié d'icellui Perrin Billart et du dit Colin de la Sale, lequel pour ce fait et autres a esté executé, se transportèrent à l'entrée de la nuit, en la rue au Maire près de la rue Saint Martin à Paris, où demouroit le dit sergent et là le gaitterent jusques à ce qu'il parti du Pot d'estain, où il buvoit, en la dicte rue Saint Martin, et en soy venant en sa maison, le bâtirent telement d'espées et de bastons que dedens huit jours après ou environ ala de vie à trespassement. Pour occasion duquel fait le dit suppliant, doubtant rigueur de justice, n'ose bonnement resider ne converser en nostre ville de Paris, maiz est en voye de de laissier le [p. 24] service de nostre dit oncle, se par nous ne lui est sur ce extendu nostre grace, si comme il dit, requérant humblement que, comme il ait tousjours esté homme de bonne vie et honneste conversation, nous lui vueillons sur ce impartir ycelle. Pour quoy nous, eu considération à ce que dit est et que le dit Thibaut a faicte satisfaction à la femme du dit deffunct, pour contemplation aussi de nostre dit oncle, au dessus dit Thibaut, de nostre grace especial, plaine puissance et auctorité royal, ou dit cas, avons quicté, remis et pardonné, etc., parmi ce toutevois que premiers et avant tout euvre le dit Thibaut baillera et paiera à l'Ostel Dieu de nostre dicte ville de Paris la somme de cinq cens frans d'or. Et par ainsi le restituons à sa bonne fame, etc. Si donnons en mandement par ces mesmes presentes au prevost de Paris et à touz noz autres justiciers, etc. Donné à Saint Denis en France, l'an de grace mil CCC IIIIXX et dix, et de nostre regne le onziesme, ou moys de septembre.

Par le roy en son conseil. G. d'Aunay.


1 En juin 1398 et durant les années 1399 et 1400, le nom de Thibaut Portier apparaît fréquemment sur le registre des comptes de l'hôtel du duc de Berry, avec le titre de chambellan de ce prince (KK. 253, fol. 52 v° ; KK. 254, fol. 74 v°,77, 101). Il épousa, vers 1399, Jeanne de Magné, fille unique de Moreau de Magné, chevalier (voy. le volume précédent, p. 95 note), veuve en premières noces de Simon Chasteigner, sr de la Meilleraye, héritière de la châtellenie de Magné, d'Echiré, de Saint-Maxire, de Longesve, de la Boissière, etc. Elle avait de son premier mari trois enfants en bas âge, au moment de la mort de leur père, dont elle était tutrice au commencement d'octobre 1398, quand elle reçut en leur nom un hommage lige de François Chevalier pour l'hôtel de Chaix, tenu de la seigneurie de la Meilleraye. « Puis, dit A. Du Chesne, elle se remaria avec Thibaud Portier, chevalier, seigneur de Sainte-Néomaye, qui en l'année 1402 se disoit sénéchal de Poitou pour Jean duc de Berry, comte de Poitou. Et le 18 mai 1406, il rendit hommage à Aliénor de Périgord, dame de Fontaines, de son hébergement dé la Court de Magné, duquel il jouissoit à cause de cette Jeanne de Magné, son espouse » (Hist. généal. de la maison des Chasteigners, 1634, in-fol., p. 511). Dans un aveu de différents hébergements et fiefs sis à Echiré qu'il rendit le 16 août 1406, à cause de sa femme, au sire de Parthenay, il prend le titre de « sire de Meigné, de Saint-Maxire et d'Eschiré à cause de Jehanne de Meigné » (Arch. nat., R1* 190, fol. 39). Quant à la seigneurie de Sainte-Néomaye, Thibaut Portier ne l'eut pas de la générosité du duc de Berry, comme l'hypothèse en a été émise dans une note précédente (tome V de ce recueil, p. 5). Un acte de septembre 1404, qui sera imprimé à sa date, fournit des renseignements précis sur les divers possesseurs de Sainte-Néomaye. Nous les avons enumérés, à l'endroit qui vient d'être cité, jusqu'au duc de Berry, et nous n'y reviendrons que pour en compléter la liste. Au mois de juin 1392, Renaud de Pons en devint seigneur et propriétaire en échange de Carlat, qu'il céda au duc. C'est de lui que Thibaut Portier en fit l'acquisition, au mois de juin 1399, avec l'assentiment du comte de Poitou, moyennant le prix de 8.500 livres tournois. Il en jouit paisiblement pendant un peu plus de cinq ans, fit au château des réparations et des changements notables, puis, en août 1404, il le vendit avec la terre et seigneurie à Guillaume de Lode, autre chambellan du duc de Berry, pour la somme de 10.000 écus d'or. Charles VI ratifia cette transaction par lettres de septembre de la même année. (JJ. 159, n° 72, fol. 41.)
Outre ses fonctions de chambellan du duc de Berry, Thibaut Portier remplit successivement celles de sénéchal pour ce prince en Berry d'abord, puis en Poitou. Des lettres du 4 avril 4399 lui donnent la première de ces qualités (JJ. 154, n° 255, fol. 159), et il est nommé avec la seconde dès l'année suivante. Sa place est marquée entre Jacques Poussard, sr de Payré, et Jean de Torsay, sur la liste des sénéchaux de Poitou, et il paraît avoir occupé ce dernier office pendant cinq ou six ans, de 1400 à 1404 ou 1405. Nous retrouverons d'ailleurs ce personnage plus tard, et nous tâcherons de fixer d'une manière plus précise la durée de son sénéchalat.
2 C'est-à-dire dans les derniers mois de 1383. La campagne de Flandre prit fin le 22 septembre, d'après Y Art de vérifier les dates.
3 Il n'y a point apparence que ce personnage doive être rattaché à la famille de Gadifer de la Salle. (Tome V, p. 141 et 259.)