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MDXLVIII

Rémission obtenue par Guillaume Regnault, charpentier de Deuil, détenu prisonnier audit lieu. Trois compagnons, se prétendant hommes de guerre, ayant perdu tout leur avoir et venus dans le pays pour un vœu à Notre-Dame de Celles, quêtaient en menaçant ceux qui refusaient de leur donner, puis avaient envahi la maison dudit Regnault qui, obligé de se défendre contre eux, frappa l’un d’un coup de fourche dont il mourut au bout de dix-huit jours.

  • B AN JJ. 195, n° 1293, fol. 284 v°
  • a P. Guérin, Archives historiques du Poitou, 41, p. 1-4
D'après a.

Loys, par la grace de Dieu roy de France. Savoir faisons, etc. nous avoir receu l’umble supplicacion de Guillaume Regnault, povre homme, charpentier, demourant à Deul, chargé de femme et de mesnaige, contenant que, le mardy xxvie jour de septembre derrenier passé à heure de vespres, ledit suppliant estant en sa maison, survindrent illec troys compaignons, dont l’un estoit en estat de homme de guerre et les autres en estat de coquins, dont l’un se disoit maistre des autres et se faisoit appeller Artus de La Guerre et l’autre Marquis et l’autre Charles ; [p. 2] lesquelz se disoient estre gens de guerre et avoient tout perdu le leur. Et à ceste cause et aussi pour ce qu’ilz se disoient avoir esté prisonniers en Bourgoigne, ilz s’estoient vouez à Nostre Dame de Celles et estoient venus en ce païs pour faire leurs voyaiges, et pour ce qu’ilz n’avoient de quoy voyager, s’estoient mis à quester et aloient par le villaige de Deul, querant et amassant du blé, et en ce faisant menassoient ceulx qui ne leur vouloient donner, en disant que devant qu’il fust xv jours qu’ilz en auroient et prendroient à leurs guises. Et ledit jour demandèrent audit suppliant, heure susdite, s’ilz pourroient bien mettre leur blé qu’ilz avoient questé en sa maison, et que ilz questeroient. Lequel suppliant leur fit response que oy, mais que il ne pourroit loiger leurs personnes ; et atant les dessusdiz vuydèrent leur blé en une rondelle que ledit suppliant leur bailla en sadicte maison, et s’en alèrent quester. Et après soleil couché dudit jour, l’un desdiz compaignons, nommé Marquis, retourna en la maison dudit suppliant et demoura près de demy heure avec ledit suppliant, le regardant faire son mestier, et tost après vindrent les autres deux, ledit Artus demanda audit Marquis s’il avoit fait habiller à soupper ; lequel Marquis respondit que non et que ledit suppliant luy avoit dit qu’il ne leur habilleroit point à soupper et ne loigeroient point à sa maison. Et adonc ledit Artus, qui depuis s’est nommé Jehan de La Brosse jura le corps de Dieu que tantost il luy en feroit bien habiller, et incontinent icelluy Artus vint au varlet de ladite maison et luy dist qu’il luy habillast à soupper, et ledit suppliant, illec present, respondit qu’il n’avoit de quoy et aussi n’avoit loigis pour les loiger et qu’ilz ne loigeroient point en sadicte maison. Et adoncques ledit Artus se despoilla et jura et regnya le nom de Dieu qu’il loigeroit en ladicte maison et luy feroit bien aprester le soupper, et print une coignée en ses mains, et ledit Charles une reigle de boys [p. 3] longue de cinq piez. Et ce voyant ledit suppliant, voulant obvier que les dessusdiz ne lui faissent aucun mal, issit hors de sa maison par une petite porte ; mais lesdiz Artus et Charles le suyvirent et mirent ledit suppliant en fuyte et en s’en fuyant rencontra une forche de fer à troys doiz, dont en relieve le femier, et ledit Charles, qui suyvoit pié à pié ledit suppliant, le vouloit fraper de ladite reigle de boys sur la teste ; mais icelluy suppliant leva ladicte forche et sur icelle receupt ledit cop, combien que d’icelluy cop il fut actaint sur les doiz de sa main et en fut blecié à sang et playe. Et ledit Artus, qui avoit ladicte coignée s’efforça fraper d’icelle ledit suppliant, mais de sa dicte fourche il receupt ledit cop et d’icelle fourche icelluy suppliant frapa ledit Charles sur la teste tellement qu’il tomba à terre. Et ce fait lesdiz Artus et Marquis s’en alèrent, et ledit suppliant fist penser ledit Charles et envoya jusques en la ville de Mausis1, querir des barbiers et cirurgiens, et le fist penser, nourrir et entretenir l’espace de xviii. jours qu’il estoit presque guery et s’en vouloit aler après ses compaignons, s’il eust eu robe et habillement, et durans lesdiz xviii. jours aloit et venoit, disant qu’il estoit guery et ne vouloit croire son barbier qui le pensoit, tellement qu’il tumba en une maladie de fièvre, à l’occasion de laquelle ou dudit cop, au bout desdiz xviii. jours, il est alé de vie à trespassement. A l’occasion duquel cas ledit suppliant a esté fait et constitué prisonnier par la justice dudit lieu de Deul2 [p. 4] et ses biens meubles inventoriés et mis en main de justice, et dobte, etc., se notre grace, etc. Pour quoy etc., audit suppliant avons quicté, etc. les fait et cas dessusdit avec toute peine, etc. Si donnons en mandement au seneschal de Poictou, etc. Donné à Paris, ou moys de janvier l’an de grace mil cccc. soixante quatorze, et de nostre règne le xiiiie.

Ainsi signé : Par le roy, à la relacion du conseil.


1 Sic pour Mauzé.

2 La justice appartenait au prieuré de Notre-Dame de Dœuil, qui faisait partie du diocèse de Maillezais et avait droit de présentation aux cures des paroisses de Sansais, de Saint-Étienne la Cigogne et de Rançon, trois bénéfices à la collation de l’évêque de Saintes (Beauchet-Filleau, Pouillé du diocèse de Poitiers, in-4°, p. 367, 403, 410). Nous avons vu que le prieuré fortifié de Dœuil avait été pris d’assaut et pillé par Antoine de Vivonne, décapité le 8 mai 1431. (Archives hist. du Poitou, t. XXIX, introduction, p. xxviii.)