[p. 585]

MDCCXXXV

Rémission octroyée, à condition de payer vingt livres pour les réparations des couvents des Cordelières du faubourg Saint-Marceau, à Jean de l’Herbergement, écuyer, lieutenant du sr de la Trémoïlle en l’île de Noirmoutier, pour le meurtre de Guillaume Fillon, tenancier d’une taverne publique, et substitut du procureur aux assises de l’île, qui lui avait interdit sa maison parce qu’il le soupçonnait d’entretenir des relations avec sa femme, et avait tenu contre lui des propos menaçants.

  • B AN JJ. 210, n° 53, fol. 30 v°
  • a P. Guérin, Archives historiques du Poitou, 41, p. 585-589
D'après a.

Loys, etc. Savoir faisons à tous, presens et avenir, nous avoir receue l’umble supplicacion de Jehan de L’Erbergement, escuier, contenant que ledit suppliant a esté lieutenant et garde de la place forte pour le feu sire de La Trimoille en l’isle de Nermoustier, et lui estant en icelle ysle, sans ce que jamais il eust fait aucun desplaisir à aucune personne en icelle ysle ne à autre, feu Guillaume Fillon consceut hayne à l’encontre de lui, sans ce que jamais il lui eust meffait ne mesdit en aucune manière, et depuis (sic) sur ce advenu que le mardi tiers jour de fevrier derrenier passé, ledit feu Fillon estant ès petites asses1 tenues illec pour ledit seigneur de La Tremoille où il estoit commis ou substitut du procureur, [p. 586] ledit suppliant s’en alla pour desjeuner en l’ostel dudit Fillon, qui tenoit taverne publicque, acompaigné d’un nommé Huguet Rondeau, et desjeunèrent avecques la femme dudit feu Fillon. Et tantost après les dictes assises tenues, pour ce que ledit feu Fillon avoit la charge de faire la despense aux officiers dudit seigneur de La Tremoille qui tenoit lesdictes assises, il convoya (sic) ledit suppliant à disner avecques lesdiz officiers d’icelle court et assises ; durant lequel disner, pour ce que ledit Fillon vit que ledit suppliant ne mengoit comme point, il fut tout courroucé, doubtant que il eust desjeuné avecques sadicte femme, comme depuis il monstra par effect. Car tout incontinant qu’ilz eurent disné, ledit feu Fillon, comme tout courroucé et esmeu, demanda à sadicte femme se ledit suppliant avoit desjeuné en sa maison ; laquelle lui fist responce que non, jaçoit ce qu’il y eust desjeuné, doubtant qu’il la fist …2 ou lui fist desplaisir dont ledit feu Fillon ne se voult pas contenter, mais appella ung sien serviteur, appellé Grogneau et lui demanda s’il estoit vray que ledit suppliant eust desjeuné en sa maison, lequel lui respondit que oyl et que lui et sa maistresse avoient desjeuné ensemble. Et avecques ce, appella une sienne seur qui demouroit avecques lui, à laquelle il demanda pareillement s’il estoit vray que ledit suppliant eust desjeuné avecques sadicte femme, laquelle lui dist semblablement que oyl. Lequel feu Fillon tout incontinant, comme mal meu et courroucé, s’en alla et adreça vers sadicte femme, laquelle il print par le manton tout rigoureusement, en lui disant : « Tu m’avois dit que le lieutenant (qui estoit ledit suppliant) n’avoit pas desjeuné siens3, et tu as menti. C’est bien ce que on m’a dit, putain, paillarde que tu es ; et je te promectz que tu n’auras jamais beau temps avecques [p. 587] moy. » Et lors, comme tout esmeu et courroucé, ledit feu Fillon print ung grant braquemart qu’il avoit à sa sainture, combien qu’il n’eust point acoustumé de le porter, sinon quant il prenoit débat ou question avecques aucuns dudit ysle, dont il estoit coustumier de ce faire et de les bastre et insulter, et mesmement deux ou trois des plus gens de bien dudit ysle, qu’il a batu très enormement, et en prenant ledit braquemart, dist à ung nommé Pierre Sorin, son parent : « Dictes au lieutenant Jehan de l’Erbergement que je luy deffens ma maison et qu’il ne s’i tienne plus comment que ce soit. » Et depuis advint que, le jeudi ensuivant, ledit feu Fillon, se transporta, aiant sondit braquemart à l’ouvrouer d’un cordouannier, nommé Roland Thomas, ou illecques se rendi Jacquin Charleau, marchant, demourant en ladicte ysle de Nermoustier, qui dist audit feu Fillon : « Et qu’est ce cy à dire ? Portez-vous à ceste heure braquemart ? » Et sur ces parolles ledit feu Fillon lui respondit qu’il en feroit de courroucez devant qu’il finst le voir. Et après se departirent d’ensemble. Et le vendredi ensuivant qui fut le lendemain devers le matin ung nommé Colas Garseche, accesseur pour le chastellain dudit seigneur de La Tremoille et ledit feu Fillon, eulz estans en l’église de Sainct Philebert dudit Nermoustier, icellui Garesche demanda audit feu Fillon pour quoy il portoit ledit braquemart et qu’il en vouloit faire. A quoy il lui respondit qu’il en feroit de courroucez avant qu’il dormist. Pour laquelle cause et ainsi que ledit suppliant estoit en ladicte église, pour oyr messe, ledit jour de vendredi, ung nommé Leonnet Charleau, filz de Jaques Charleau, ainsi qu’il se premenoit (sic) avecques lui dedans ladicte église, lui dist, voyant ledit feu Fillon a tout sondit braquemart, qu’il se donnast garde et que ledit feu Fillon pourtoit ledit braquemart pour lui et qu’il le savoit bien, ce que oy par ledit suppliant, il lui respondi que s’il l’assailloit, il se deffendroit. Et ladicte [p. 588] messe dicte, ledit suppliant s’en yssy de ladicte église et s’en alla vers le caiz jusques à une pierre qui est devant la tour neufve du chastel dudit lieu. Et tantôt après lui, s’en allèrent Nicolas Pirro, prebstre, Raoullet Fueillart, Guillaume Thobellet et Jamet Collet, et en passant se salluèrent ledit suppliant et eulz tout gracieusement. Et tantost après survint illec ledit feu Fillon, partant de ladicte église atout sondit braquemart comme ung homme esmeu et courroucé, et en cest estat rencontra ledit suppliant en son chemin, qui s’entreprindrent de parolles rigoureuses et tellement que ledit feu Fillon mist la main à son braquemart et le tira demi pié ou environ pour en vouloir oultrager ledit suppliant. Ce que voyant ledit suppliant et doubtant sa fureur (sic) et qu’il le meurtrist et occist de sondit braquemart, ou qu’il le bleçast et batist, comme il avoit fait plusieurs austres dudit ysle, et coustumier de ce faire, comme dit est et qu’il estoit dangereux homme et à doubter, pour deffendre son corps, et voyant la façon de faire dudit Fillon, tira ung sien braquemart en disant audit feu Fillon : « On dit que tu me menaces, et pourquoy tires-tu ton braquemart ? » et voyant qui l’avoit desjà presque du tout tiré et prins son advantage pour le vouloir frapper, lui dist : « Deffends toij ! » et sur ces parolles lui donna de son dit braquemart sur la teste tellement qu’il cheut à terre. Et pour ce qu’il doubtoit qu’il se revenchast et lui courust sus et se levast pour le tuer, le frappa de sondit braquemart deux ou trois coups sur l’une de ses jambes. Sur quoy vindrent illec lesdiz Esveillart, Thobellet et Jamet Collet, qui les departirent. Et atant s’en alla d’illec ledit suppliant ou chastel dudit lieu. Et depuis est icellui feu Fillon, à l’occasion desdiz coups, par deffault d’avoir esté bien pensé et habillé, bon gouvernement ou autrement, allé de vie à trespassement, cinq ou six jours après ou environ. Et à ceste cause, ledit suppliant doubtant rigueur de justice, s’est absenté du païs, où il [p. 589] n’oseroit jamais converser ne repaiser (sic), se nostre grace et misericorde ne lui estoient sur ce imparties, si comme dit ledit suppliant, humblement requerant que, attendu ce que dit est, et que en toutes autres choses il a esté tousjours bien famé et renommé et ne fut jamais actainct ne convaincu d’aucun autre villain cas, blasme ou reprouche, il nous plaise lui impartir nostre grace et misericorde. Pour quoy nous, etc., voulans, etc., audit suppliant avons quicté, remis et pardonné le fait et cas dessus dit, avecques toute peine, etc., en mettant au neant, etc. Et l’avons restitué, etc., satisfacion, etc. Et imposons sur ce silence, etc. ; moiennant et parmy ce que ledit suppliant a baillé et paié comptant la somme de xx livres tournois pour la reparacion de l’eglise et monastère des religieuses Cordelières de Sainct Marcel lez Paris4, à ce que lesdictes religieuses prient Dieu pour l’ame dudit deffunct. Si donnons en mandement au seneschal de Poictou ou à son lieutenant à Thouars, et à tous, etc. Et afin, etc. Sauf, etc. Donné au Plesseys du Parc ou mois de mars l’an de grace mil cccc. quatre vings deux, et de nostre regne le vingt et deusiesme.

Ainsi signé : Par le roy, les contes de Clermont et de Dunois, l’evesque de Chalon, les sires de Curton et de Sainct Pierre5 et autres presens. Amys. — Visa, Contentor, F. Texier.


1 Lisez assises.

2 Un mot en blanc.

3 Sic pour céans.

4 Sur ce couvent, voy. Bournon, Rectifications et additions à l’Histoire de Paris, de Lebeuf, Paris, 1890, in-8°, p. 228. [L.C.]

5 Le sire de Curton est Gilbert de Chabannes, conseiller et chambellan du Roi, gouverneur du Limousin (28 août 1480, Vaesen, Lettres de Louis XI, t. VIII, p. 266-268). Les autres personnages ont déjà été identifiés. [L.C.]