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MDCLXXVIII

Rémission octroyée à Pierre Soteau, marchand de Bressuire, coupable d’un meurtre. Obligé de se défendre contre Jehan et Olivier de La Brunetière, frères, qui avaient envahi son hôtel de la Chamacrière et [p. 414] voulaient le tuer, parce que ledit hôtel avait été saisi à sa requête sur Guyard de La Brunetière, leur oncle, et vendu sur décret, il avait été aidé par un prêtre, nommé Jacques Chausson, qui d’un trait d’arbalète avait tué ledit Olivier.

  • B AN JJ. 208, n° 155, fol. 93
  • a P. Guérin, Archives historiques du Poitou, 41, p. 413-418
D'après a.

Loys, etc. Savoir faisons à tous, presens et avenir, nous avoir receue l’umble supplicacion de Pierre Soteau1, marchant demourant à Bressuire, aagé de soixante cinq ans ou environ, contenant que ledit suppliant, entre ses autres domaines et heritaiges, est seigneur de l’ostel de la Chamacrière et de ses appartenances, auquel lieu et hostel il a acoustumé aller, venir, converser, couscher et lever souventesfoiz pour besoingner en ses affaires touchant le revenu dudit hostel, tellement que, le mercredi xxiiiie jour de janvier derrenierement passé, ledit suppliant estant allé de ladicte ville de Bersuire audit lieu de la Chamacrière en entencion d’aller besoingner en ses affaires, demoura et coucha la nuyt dudit jour en sadicte maison de la Chamacrière. Et l’endemain jour de jeudi xxve dudit mois, lui estant en sondit hostel, environ l’eure de onze heures du matin, survindrent en icellui à son desceu Jehan et Olivier de la Brunetière2, frères, qui estoient [p. 415] incongneuz audit suppliant, mesmement ledit Olivier qui avoit vestu sa teste d’un petit chapperon qui lui covroit son visage ; c’est assavoir ledit Jean de la Brunetière à l’uys devant ledit hostel disant par plusieurs foiz telles ou semblables parolles : « Hau, Monsieur du Puy Caffier, ouvrez, ouvrez ; ce sont voz amis les sergens de Pousauges qui veullent parler à vous, pour vostre grant bien. » Et ce pendant qu’il admusoit ledit supliant desdictes parolles, ledit Olivier entra par derrière, devers le jardin, en ladicte maison, en laquelle estoit lors ledit suppliant, Jacques Chausson, prebstre, et cinq autres personnes qui avoient disné ledit jour en ladicte maison avec ledit suppliant, qui est homme doulx, paisible, bien vivant, conversant et frequentant avecques ses voisins et congnoissans, estant en nostre protection et sauvegarde especial deuement publiée et signiffiée, tellement que lesdiz Jehan et Olivier de la Brunetière, frères, n’en povoient pretendre cause d’ignorance. Ausquelz il n’avoit meffait ne mesdit ; mais lui estant en reffuge paisible en sadicte maison, ledit Olivier qui premier entra en icelle et ayant une espée nue et desgaignée en sa main, vint courir sus audit suppliant en [p. 416] l’agressant et assaillant, en intencion, comme il montroit par effect, de le vouloir tuer et occir, de quoy faire s’efforça de tout son povoir ledit Olivier, en jurant et blasphemant le nom de Dieu qu’il tueroit ledit suppliant ; ce qu’il eust fait, ce n’eust esté que ledit suppliant, doubtant la fureur dudit Olivier, se retira de l’alée de ladicte maison où il estoit en l’estable d’icelle. Et ce pendant, ledit Olivier ouvrist l’uys [de] devant d’icelle maison audit Jehan de la Brunetière son frère, et fut contrainct ledit suppliant des prandre ung levier ou barre de fer qu’il trouva derrière l’uys de l’estable, pour soy deffendre et resister aux coups que lui donnoit icellui Olivier de la Brunetière, ou autrement il l’eust murdry de son espée. Et incontinant ledit Jehan de la Brunetière entra en ladicte maison une epée nue en sa main, et tous deulx ensemblement et soudannement vindrent courir sus audit suppliant et illec l’eussent tué, se ne feust ledit Jacques Chausson prebstre, lequel print une javeline qu’il trouva en la dicte maison, pour secourir, deffendre et aider audit suppliant et empescher lesdiz de la Brunetière qu’ilz ne l’occissent. Laquelle javeline rompit par force des coups d’espée que bailla ledit Jehan de la Brunetière, entre les mains dudit prebstre, et s’efforçoient de tout leur povoir de murdrir et occir icellui prebstre et ledit suppliant, tellement que à grant peine peurent sauver leurs vies et resister à leurs fureurs et violences. Et en les reboutant et eulx retirant hors de ladicte maison, disoient lesdiz frères que lesdiz suppliant et prebstre ne mourroient d’autres mains que des leurs et qu’ilz mettroient le feu en ladite maison et les fesoient bruler en icelle et les menassoient toujours qu’ilz les tueroient. Aussi s’estoient ilz vantez et jactez paravant ladicte agression tant ou lieu de Montnomblet que ailleurs, par plusieurs foiz, mesmement ung jour ou deulx devant, batre, murdrir et occir ledit suppliant, en haine de ce que à icellui puis aucun temps ença avoit [p. 417] esté adjugé par arrest de la court de Parlement ledit hostel de la Chamacrière et ses appartenances, pour raison de certaine rente qu’il avoit sur ledit hostel, lequel par avant l’adjudication dudit decret, avoit appartenu à Guyard de la Brunetière, oncle paternel desdiz Jehan et Olivier de la Brunetière. Et voyant ledit Chausson prebstre que lesdiz frères perseveroient tousjours en leur mauvaise voulenté et qu’ilz retournoient vers ledit hostel, print une arbaleste qui estoit en icellui, laquelle il banda et par dessus mit ung raillon ou trait ferré et suyvy lesdiz de la Brunetière jusques sur la chaussée d’un petit estang qui est des appartenances dudit hostel distant d’icellui d’un giect de pierre ou environ, afin qu’ilz ne retournassent. Et oyant ledit suppliant les parolles et noises qui estoient entre lesdiz de la Brunetière et prebstre, doubtant qu’il n’y eust murdre, yssit hors de sadicte maison tenant en sa main une espée nue pour la deffense de sa personne, et alla près dudit estang, pour faire retirer ledit prebstre auquel il dist qu’il s’en retournast et qu’il ne leur meffeist aucunement ; ce que ne voult faire ledit prebstre, mais desbenda ladicte arbaleste et dudit raillon ou traict, ainsi que dit est ainsi qu’elle estoit chargée, frappa ledit Olivier ung coup en l’ung de ses coustez, duquel coup icellui Olivier, ung jour ou deux après, par deffault de bon gouvernement et d’estre bien pensé et habillé ou autrement, alla de vie à trespassement. A l’occasion duquel cas, ledit suppliant, doubtant rigueur de justice, s’est absenté du païs et n’y oseroit jamais retourner ne converser, mais seroit en voie de s’en aller en estranger païs finer miserablement ses jours, se nostre grace ne lui est sur ce impartie. Humblement suppliant que, attendu ce que dit est, mesmement que lesdiz de la Brunetière, ausquelz il ne deist ne meffeist oncques d’aucune chose, mais pensoit estre seur et paisible en sa maison, furent agresseurs et par force et violence entrerent en son hostel, en entencion, comme il [p. 418] apperceut, de le vouloir tuer et murdrir, ce qu’ilz eussent fait se ledit prebstre ne l’eust secouru et aidé à les rebouter par force contre force, ainsi qu’il est permis, pour sauver leurs vies et corps deffendans, les grans menasses dont lesdiz de la Brunetière usoient, que ledit suppliant suivy ledit prebstre pour le faire retirer, et ne fut jamais d’entencion ne de vouloir, dès que lesdiz de la Brunetière furent hors de son hostel, de leur faire aucun dommaige ou desplaisir, et ce que ledit prebstre debenda ladicte arbaleste contre ledit Olivier fut contre la deffense que ledit suppliant lui avoit sur ce faicte, qu’il a tousjours esté de bonne vie, renommée et honneste conversacion, sans jamais avoir esté actainct, ne convaincu d’aucun villain cas, blasme ou reprouche, il nous plaise lui impartir sur ce nostre grace et misericorde. Pour quoy nous, etc., voulans, etc., audit suppliant, avons quicté, remis et pardonné le fait et cas dessus ditz avecques toute peine, etc. En mettant au néant, etc., satisfacion, etc. Et sur ce imposons silence, etc. Et l’avons restitué, etc. Si donnons en mandement, etc., au seneschal du Poictou ou à son lieutenant et accesseur à sa court ordinaire de Thouars, et à tous, etc., que de noz presens, etc. Et afin, etc. Sauf, etc. Donné à Tours, ou mois de février l’an de grace mil cccc quatre vings, et de nostre règne le vingtiesme.

Ainsi signé : Par le roy, à la relacion du conseil. Disome. Visa. Contentor, Texier.


1 Le chartrier de Saint-Loup renferme plusieurs actes relatifs à Pierre Soteau, de Bressuire. Nous en citerons quelques-uns. En 1454, étant procureur de la fabrique de la paroisse Saint-Jean, il passa avec le curé une transaction pour les indemnités de certains dons et legs faits audit curé et à la fabrique. (Arch. des Deux-Sèvres, E. 1747, fol. 44.) Jacques de Beaumont le nomma en 1456, receveur de Bressuire (Original, id., E. 1296.) Deux registres de ses comptes montrent qu’il remplissait déjà ses fonctions en 1452 ; le premier comprend les années 1452-1455, et le second les années 1455 à 1458. Le registre suivant est de 1467 à 1470 ; le receveur n’est plus alors Pierre Soteau, mais Guillaume Bordin (id., E. 1782 à 1784), ce dernier le fut sans interruption jusqu’en 1483. Après avoir été poursuivi à Thouars pour le meurtre d’Olivier de La Brunetière, Pierre Soteau releva appel au Parlement touchant l’entérinement de ses lettres de rémission, combattu par Milet de La Brunetière, fils de la victime. On ne trouve sur cette affaire que deux mandements de la cour, l’un du 14 décembre 1481, le second du 14 mai 1485, prescrivant de procéder à une enquête. (Arch. nat., X2a 45, aux dates ; le second est transcrit à la fin du registre.)

2 Il a été question dans un de nos volumes précédents (Arch. hist. du Poitou, t. XXIX, p. 352, note) de Jean de La Brunetière le jeune, compromis gravement dans l’affaire de François de Montcatin, capitaine de la Roche-sur-Yon, contre Geoffroy Ferron, trésorier de France. Le fragment de généalogie de cette famille qui se trouve dans le Dict. des familles du Poitou, 2e édit., t. II, p. 58, n’est pas assez complet et assez sûr pour que l’on puisse dire si ce Jean et le frère d’Olivier, victime de Pierre Soteau, sont un seul et même personnage. Guyard de La Brunetière, leur oncle, n’est pas nommé dans cette généalogie, non plus que Milet, fils d’Olivier. Mais le Jean mentionné dans les présentes lettres doit, semble-t-il, être identifié avec Jean de La Brunetière, écuyer, prisonnier à la Conciergerie du Palais à Paris, le 22 mai 1469, appelant d’une sentence du sénéchal du Poitou, qui l’avait condamné a 50 livres parisis d’amende envers le roi, à 50 livres aussi envers sa partie et à tenir prison jusqu’au payement, parce qu’il était convaincu d’avoir usé de contrainte, de menace et de violence contre un nommé Jean Champtefain pour lui extorquer un acte de renonciation à une rente de 240 écus et de 16 charges de seigle, qu’il lui devait. L’arrêt de la cour, rendu le 23 juin suivant, éleva les amendes de 50 à 60 livres parisis. (Arch. nat., X2a 35, date du 14 mai 1469 ; X2a 36, fol. 161 v°). Le 3 juillet 1471, le même Jean de La Brunetière avait été condamné à une autre amende de 100 livres parisis envers le roi et ses biens avaient été saisis pour le payement. (X2a 38, fol. 76.)