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MDLXVI

Confirmation des privilèges de l’abbaye de Charroux et plus particulièrement du committimus de ses causes et procès au sénéchal du Poitou, ou, si le Poitou venait à être séparé de la couronne, au juge royal le plus proche.

  • B AN JJ. 204, n° 47, fol. 30 v°
  • a P. Guérin, Archives historiques du Poitou, 41, p. 61-65
D'après a.

Loys, par la grace de Dieu roy de France. Savoir faisons à tous, presens et avenir, nous avoir receue l’umble supplicacion de noz bien amez les religieux, abbé et couvent de l’abbaye de Charroux, de l’ordre de Saint-Benoist, ou diocèse de Poictiers, contenant que lesdiz supplians, tant en chief que en membres à cause de leurdit moustier [p. 62] et abbaye qui est de fondacion royal, fondée par feu nostre predecesseur, de bonne mémoire, roy de France, monseigneur saint Charlemaigne, lequel dotta et fonda ladicte abbaye de plusieurs grans et notables previlèges, qui depuis leur ont esté augmentez et confirmez par les roys de France, ses successeurs, et entre autres privileges leur a esté donné et concedé qu’ilz puissent et leur soit loisible avoir ung juge royal par ressort, qui puisse congnoistre et decider de toutes leurs causes et querelles, tant en demandant que en deffendant, et tant en chief que en membres. Et en usant desdiz previlèges, iceulx supplians ont aucune foiz eu leur juge par ressort en nostre ville de Limoges, le juge du parage illec ordonné, autrefoiz à Chinon, le juge des exemps par ressort, et en plusieurs autres lieux de nostre royaume, et encores de present et de tous temps et depuis que le conté de Poictou a esté et est reuny et rejoinct à la couronne de France, et que aucuns de noz predecesseurs et nous l’avons tenu en noz mains, iceulx supplians ont eu leur juge par ressort nostre seneschal de Poictou ou son lieutenant à son siège ordinaire de nostre Palaiz de Poictiers. Et ainsi le leur a esté concedé par privilège à eulx donné par feu nostre très cher seigneur et père1, que Dieu absoille. Par quoy en joyssant d’icellui don et previlege, iceulx supplians tant en chef que en membres n’ont esté par cy devant et ne sont tenus plaider ailleurs que par devant leurdit juge de ressort, et de ce sans contradicion quelconque ont joy jusques à present. Maiz ilz doubtent que au moien de ce qu’ilz n’ont obtenu de nous confirmacion ou [p. 63] nouvel octroy de ce, que aucuns les vueillent empescher et en ce les troubler et faire perdre leur joyssance, humblement requerant sur ce leur impartir noz grace, confirmacion et octroy. Pour quoy nous, inclinans à leur requeste et voulans ensuir les notables actes et gestes de nosdiz predecesseurs et progeniteurs, attendu que ladicte abbaye est de fondacion royal et que ledit saint Charlemaigne en est premier fondateur, envers lequel nous avons singullière devocion, et à ce que nous soyons tousjours de plus en plus participans es oraisons, prières et bienfaiz de ladicte abbaye et eglise d’icelle et pour plusieurs autres causes et consideracions à ce nous mouvans, à iceulx supplians religieux, abbé et couvent, tant en chief que en membres, avons confirmé, loué, aprouvé et ratiffié, et par ces presentes, confermons, louons, aprouvons et ratiffions les previleges et choses dessusdictes et en tant que mestier est et seroit, leur avons de nouvel octroyé et octroyons, de grace especial, plaine puissance et auctorité royal par cesdictes presentes, que nostre dit seneschal de Poictou ou son lieutenant present et avenir, soit et puisse estre leur juge par ressort, à sondit siège ordinaire de nostre dit Palaiz de Poictiers, tant que ladicte conté de Poictou sera entre noz mains ou de noz successeurs roys ; et lequel seneschal ou sondit lieutenant, present et avenir, nous avons ordonné et depputé, ordonnons et depputons juge par ressort de toutes et chacunes les causes et querelles, tant en chief que en membres, desdiz supplians. Et interdisons et deffendons à tous autres juges toute court et congnoissance d’icelles ; et se aucuns sont ou estoient pendans par devant eulx, voulons et nous plaist que, incontinent que, par vertu de ces presentes, ilz en seront requis, ilz les renvoyent, en quelque estat qu’elles soient, avec les parties adjournées à certain et competent jour, par devant nostredit seneschal ou sondit lieutenant à sondit siège de [p. 64] Poictiers, sans plus en tenir aucune court, juridicion ne congnoissance. Et pour ce que nostredit conté de Poictou pourroit estre et escheoir par le temps avenir en autres mains que de nous ou noz successeurs roys, par quoy la congnoissance et decision des causes desdiz supplians ne saroit plus par devant nostredit seneschal de Poictou, qui est juge royal ou par devant sondit lieutenant, voulons et nous plaist, de nostre plus ample grace, et ausdiz supplians, tant en chief que en membres l’avons octroyé et octroyons, de nosdictes puissance et auctorité royal que pour leur juge de ressort ilz aient et puissent avoir le plus prouchain nostre juge royal des seneschaussées ou bailliages voisins et prouchains de leur dicte abbaye et moustier. Et lequel dès à present pour lors, tant pour nous que pour noz successeurs roys nous leur y avons pour ce ordonné, commis et depputé, ordonnons, commettons et depputons par cesdictes presentes. Par lesquelles donnons en mandement à noz amez et feaulx conseillers les gens tenans et qui tiendront nostre Parlement, à Paris, Tholose et Bourdeaux, et à tous noz autres justiciers ou à leurs lieuxtenans, presens et avenir et à chacun d’eulx, si comme à lui appartendra que de noz presens grace, don, confirmacion et octroy, ilz et chacun d’eulx endroit soy, facent, seuffrent et laissent joir et user lesdiz religieux, abbé et couvent et leurs successeurs en ladicte abbaye et moustier, tant en chef comme en membres, paisiblement et perpetuellement, sans leur faire, mettre ou donner, ne souffrir estre fait, mis ou donné aucun destourbier ou empeschement au contraire ; ainçoys se fait, mis ou donné leur avoit esté ou estoit, si l’ostent, reparent et remettent, ou facent oster, reparer et remettre, tantost et sans delay, au premier estat et deu, en faisant les renvoy et adjournemens dessusdiz par ceulx d’entre eulx qu’il appartiendra, par devant ledit seneschal de Poictou ou sondit lieutenant [p. 65] en la manière dessusdicte. Et affin que ce soit chose ferme et estable à tousjours, nous avons fait mettre nostre seel à cesdictes presentes. Sauf en autres choses nostre droit et l’autruy en toutes. Donné au Pleissis du Parc lez Tours, ou moys de fevrier, l’an de grace mil cccc. soixante quinze, et de nostre règne le quinziesme2.

Ainsi signé : Par le roy, le sire de Craon3, le gouverneur du Dauphiné4, le sire du Bouchage5 et autres presens. De Cerisay. — Visa. Contentor. Duban.


1 Les lettres patentes de Charles VII, visées ici, n’ont pu être retrouvées. Elles n’ont été enregistrées ni à la Grande Chancellerie, ni au Parlement, ni à la Chambre des comptes ; elles ne sont ni publiées ni signalées dans la grande collection des Ordonnances des Rois de France, non plus que dans le recueil, édité avec tant de soin par le R.P. de Monsabert, Chartes et documents pour servir à l’histoire de l’abbaye de Charroux (Arch. hist. du Poitou, t. XXXIX, 1910).

2 Le texte de ces lettres a été imprimé, d’après la même source, dans le Recueil des Ordonnances des Rois de France, in-fol., t. XVIII, p. 178.

3 Georges de La Trémoïlle, sire de Craon, de l’Isle-Bouchard, de Rochefort, de Jonvelle, etc., second fils du premier ministre de Charles VII et de Catherine de l’Isle-Bouchard, sa seconde femme, alors lieutenant général du roi en Champagne, depuis gouverneur de Bourgogne, mort en 1481. (Cf. vol. précédent, p. 55, note 4).

4 Jean de Daillon, sire du Lude (ci-dessus, p. 52).

5 Imbert de Batarnay, seigneur du Bouchage, successivement conseiller des rois Louis XI, Charles VIII, Louis XII et François Ier pour lesquels il accomplit d’innombrables missions, né vers 1438 au château de Batarnay, en Dauphiné mort le 12 mai 1523, au château de Montrésor, en Touraine. (B. de Mandrot, Ymbert de Batarnay, seigneur du Bouchage, Paris, 1886, in-8°.)