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MDCXXXIV

Rémission accordée à Jean Moulin, pâtissier de Poitiers, coupable du meurtre du chapelain de l’archidiacre de Blanchefort, qui, en compagnie dudit archidiacre et d’autres écoliers, l’avait injurié et frappé.

  • B AN JJ. 205, n° 156, fol. 83 v°
  • a P. Guérin, Archives historiques du Poitou, 41, p. 275-277
D'après a.

Loys, par la grace de Dieu roy de France. Savoir faisons à tous presens et avenir, nous avoir receue l’umble supplicacion des parens et amys charnelz de Jehan Moulin, pouvre pastissier de la ville de Poictiers, aagé de soixante ans ou environ, chargé de femme, contenant que trois ou quatre jours avant la feste de la Chandeleur derrenière passée au soir, environ sept ou huit heures devers le soir, ainsi que ledit Moulin et son varlet alloient criant les oblies par ladicte ville de Poictiers, comme il et autres pasticiers de ladicte ville ont acoustumé faire, eulx estans en la rue des Tables, près la maison de maistre Jehan Françoys, quatre compaignons en robbes longues, comme escolliers, qu’il ne saroit nommer, appuyez contre l’ouvrouer de la maison d’un nommé Arabi, dit Trompette, cordouanier, disdrent audit Moulin qu’il passast oultre, et en ce disant l’un d’eulx luy mist la main sur l’espaule et luy disdrent de rechef qu’il passast oultre ou qu’ilz luy gecteroient despierres, dont il eut paour et passa oultre il et sondit varlet ; et quant ilz furent passez, lesdiz escolliers leur gecterent deux ou trois pierres et ne le frappèrent point. [p. 276] Et lors ledit Moulin leur dist qu’ilz faisoient mal de leur gecter lesdites pierres et que, s’il avoit son gouet1, qui estoit en sa maison, qu’ilz ne luy feroient point ce qu’ilz luy faisoient. Et ledit jour de Chandeleur à ladicte heure ou environ, ainsi que ledit Moulin aloit crier sesdites oblies par ladicte rue des Tables et qu’il fut près ladicte maison dudit maistre Jehan Françoys où demourent des escolliers, il commença à crier sesdictes oblies et illec rencontra cinq personnes, vestus de robes longues, comme escolliers qu’ils ne congnoissoient, lesquelz l’appelèrent oblieux et il leur respondit : « Qu’est là ? » et encore de rechef luy disdrent, mesmement l’un d’eulx : « Es tu oblieux ? » lequel respondit : « Oy, Monsieur. » Et lors luy demanderent comme il avoit nom, et il respondit : « Monsieur, j’é nom Moulin, à vostre commandement. » Et lors l’un d’eulx que on dit estre, ainsi que on luy a depuis dit, l’archediacre de Blanchefort2, dist audit Moulin : « Vien ça, tu as parlé de moy » ; lequel Moulin luy fist responce que, sauve sa grace, jamais il n’avoit parlé de luy et qu’il estoit son serviteur, s’il luy plaisoit. Et lors commanda ledit archediacre à ung des presens qu’il baillast audit Moulin ung soufflet, lequel luy fist responce qu’il n’en feroit riens. Et adoncques ledit qu’on dit estre ledit archediacre, en jurant et en détestant le nom de Dieu, dist qu’il [luy bailleroit luy mesmes3] et en ce disant frappa ledit Moulin sur la joue tellement qu’il le gecta à terre et luy fist cheoir [p. 277] son chappeau d’un costé et son bonnet de l’autre ; et luy estant à terre luy fut baillé ung autre coup d’une torche sur la main senestre, dont il fut mutillé et grandement blessé en ladicte main. Et alors ledit Moulin se releva tout estourdy du coup qu’il avoit eu et laissa en la place sondit chappeau et bonnet, et tira ung grant cousteau ou bracquemart qu’il portoit communement, pour doubte desdiz escolliers et autres qui aucunes foys batent les obliers, et tout eschauffé et esmeu, suyvit lesdiz escolliers jusques devant la maison dudit maistre Jehan Françoys estant près, où ilz demouroient, et illec, pour douleur desdiz coups qu’il avoit euz, frappa le premier qu’il trouva du dit cousteau par la teste ung coup tant seulement, cuidant que ce feust celuy qui l’avoit frappé, qu’il ne povoit congnoistre par ce qu’il estoit nuyt. Et depuis a esté adverty que c’estoit ung nommé Pierre …4, chappellain dudit Blanchefort, archediacre dessusdit ; lequel chappellain, à l’occasion dudit coup, par faulte de bon gouvernement ou autrement, dix jours après ou environ est alé de vie à trespassement. Et combien que oudit cas ledit Moulin ne feust aggresseur et que en autres choses il se soit tousjours bien et honnestement gouverné, sans blasme ou reprouche, neantmoins, doubtant rigueur de justice, s’est absenté du pays et n’y oseroit converser ne repairer, se nostre grace et misericorde ne luy estoient sur ce imparties, humblement requerans iceulx. Pour quoy, etc., au seneschal de Poictou, etc. Donné à Tours, ou moys de mars l’an de grace mil cccc. soixante dix huit, et de nostre règne le xviiime.

Ainsi signé : Par le roy, à la relacion du Conseil. Foucher. — Visa. Contentor. De Moulins.


1 Diminutif de « goi », dit F. Godefroy, sorte de serpe assez forte pour tailler les paisseaux, faire les fagots. (Dict. de l’anc. langue française, t. IV, p. 317.)

2 L’archidiacre de Blanchefort n’est pas mentionné, du moins en cette qualité, dans les généalogies imprimées de cette famille originaire du Rouergue. Cependant il semble bien qu’il fut parent de Jean de Blanchefort, chevalier, seigneur de Saint-Clément, de Sainte-Sévère, de Saint-Janvrin, etc., écuyer d’écurie, puis chambellan du roi, maire et gouverneur perpétuel de Bordeaux, maréchal général des logis de France, et de Louise de Blanchefort, abbesse de la Trinité de Poitiers, personnage dont il sera question dans la suite du présent volume.

3 Mots suppléés.

4 Le nom a été laissé en blanc sur le registre.