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MDCXXXIII

Rémission octroyée à Hardouin Chardon, détenu dans les prisons de Niort pour avoir tué d’un coup de dague Geoffroy Galemit, qui, dans une querelle, s’était livré à des voies de fait contre lui.

  • B AN JJ. 205, n° 154, fol. 81 v°
  • a P. Guérin, Archives historiques du Poitou, 41, p. 272-275
D'après a.

Loys, par la grace de Dieu roy de France. Savoir faisons à tous, presens et avenir, nous avoir receu l’umble supplicacion des parens et amys charnetz de Hardouyn Chardon, aagé de vingt trois ans ou environ, à present prisonnier en noz prisons de Nyort, contenant que puis naguères ledit Hardouyn Chardon entra en l’ostel de Jehan Fournier en la ville de Nyort et y trouva Gabriel Chardon, son frère, Pierre Goupil, dit Pignoquet et Huguet Pelerin, qui jouoient aux cartes, et joua avecques eulx. Et quant ilz eurent certain temps joué, ledit Hardouyn Chardon dist audit Gabriel, son frère, qu’il laissast le jeu et s’en allast soupper avecques luy ; mais ledit Fournier, en la maison duquel ilz estoient, respondit qu’il avoit habillé à soupper pour eulx, et atant se departy ledit Hardouyn et s’en retourna en son hostel. Et quant son soupper fust prest, il le fist porter en l’ostel d’une nommée la Danielle où il souppa, et porta avec luy une espée et une petite dague à sa sainture pour la seureté et deffence de sa personne. Et quant [p. 273] il eut mangé, il dit à ladicte Danielle qu’elle s’en allast de son hostel et que tantost se rendroit après elle, mais qu’il aloit premierement veoir s’il trouveroit point son frère. Et s’en ala veoir chez ledit Fournier s’il y estoit et le trouva en la compaignie desdiz Goupil, Pelerin, Laurens Bardon1, prebstre, Geuffroy Galemit2 et autres ; et avoient presque souppé. Et ledit Galemit presenta à boire audit Hardouyn, lequel beut et après dist à son frère, Gabriel Chardon, qu’il devoit bien estre appellé Monsieur de Reims, car il n’avoit plus riens et qu’on lui avoit apportée une creacion d’office pour une chamberière qu’il tenoit, qui estoit mariée. Sur quoy ledit Galemit dist audit Hardouyn rigoreusement que la chamberière n’estoit pas à son frère, mais à luy et la tiendroit quel que le voulsist veoir, en luy disant qu’il estoit bien paillart et que ledit Gabriel, son frère, estoit plus homme de bien et avoit mieulx de quoy que luy et plusieurs autres parolles oultrageuses, et qu’il n’oseroit regarder les gens ou visage. Et à ceste cause, ledit Hardouyn, esmeu et courroucé, deist audit Galemit qu’il avoit meulx et que luy mesmes n’estoit que larron, et sur ce eurent ensemble plusieurs parolles que ceulx de la compaignie apaisèrent par aucun temps. Et tantost après ledit Hardouyn, Pinoquet et Pelerin entreprindrent de jouer aux cartes, et ledit Galemit dist qu’il joueroit avec eulx, mais ledit Hardouyn Chardon respondit qu’il n’y joueroit point avecques luy, pour ce qu’ilz avoient jà eu [p. 274] parolles ensemble ; mais icelluy Galemit dist qu’il y joueroit et mesmement contre ledit Hardouyn. A quoi icelluy Hardouyn deist audit Galemit qu’il ne demandoit que noise et occasion de se courrousser pour prandre debat ; mais ledit Galemit ne cessoit point et tiroit et boutoit contre Hardouyn la table et le chandellier qui estoit dessus. Et ce voyant ledit Hardouyn se leva d’illec pour s’en aller en la chambre dudit Fournier, et ainsi qu’il passoit par derrière ledit Galemit, icelluy Galemit se leva et vint à l’encontre dudit Hardouyn en le regardant furieusement et le menassant. Sur quoy ilz eurent de rechef ensemble plusieurs parolles de menasses et rigoreuses ; et ainsi qu’ilz parloient, ledit Galemit print au corps ledit Hardouyn et le gecta de si grant roydeur contre les banc et table de ladicte chambre qu’ilz tumbèrent par terre et ledit Hardouyn dessus, et le tenoit icelluy Galemit et luy tiroit les cheveux et le esgratignoit le visage. Et ce voyant, ceulx qui estoient presens ostèrent ledit Galemit de dessus ledit Hardouyn, mais ledit Galemit suivoit tousjours ledit Hardouyn et le récula jusques environ ung lit. Et ainsi que ledit Galemit s’aproucha de luy, pour doubte qu’il le voulsist oultraiger et obvier à l’inconvénient de sa personne, tira la dague qu’il avoit et en se revanchant de l’oultraige que luy avoit fait ledit Galemit, de sang esmeu et de chaude colle, frappa ledit Galemit d’un revers de sadicte dague ung coup en la poictrine ; et tantost aucuns de la compaignie dirent audit Galemit qu’il estoit blessé, et quant il apperceut son sang, il tumba par terre et ne demoura guères qu’il n’alast de vie à trespas. Pour occasion duquel cas ledit Hardouyn Chardon a esté prins et constitué prisonnier èsdictes prisons de Nyort, où il est encore detenu en grant pouvreté et misère et en dangier d’y finer miserablement ses jours, se noz grace et misericorde ne luy estoient sur ce imparties ; en nous humblement requerant que, attendu ce que dit est et que le cas ainsi [p. 275] commis par ledit Hardouyn a esté en chaude colle et en soy revanchant, il nous plaise icelluy cas remettre, quicter et pardonner audit Hardouyn et sur ce luy impartir nosdictes grace et misericorde. Pourquoy, etc., au seneschal de Poictou et à tous, etc. Donné à Tours, ou moys de mars l’an de grace mil cccc. soixante dix huit, et de nostre règne le xviiime.

Ainsi signé (Blanc au registre).


1 Laurent Bardon, notaire juré de l’official de Niort, était pair de la commune de cette ville en 1491. (Mémoires de la Société de statistique des Deux-Sèvres, année 1865, p. 77.)

2 C’était une famille notable de Niort. Jean Galemit, qui avait été maire de cette ville vers 1444, échevin en 1451, est nommé parmi les membres de l’échevinage anoblis par les lettres patentes de Louis XI, données à Amboise au mois de novembre 1461. (Publ. dans notre t. X., Arch. hist., XXXV, p. 301.) Etienne et Pierre Galemit étaient pairs l’un et l’autre en 1454 et remplirent, les années suivantes, d’autres charges municipales. On ne retrouve plus cette famille après le xve siècle. (Dict. des familles du Poitou, 2e édit., t. III, p. 675.)