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MDLXV

Rémission accordée à Jacques Alaire, fils de Louis Alaire et de feu Renée Guy, de Montaigu, qui, pendant le carême de l’année 1471, étant alors âgé de quatorze ans, avait, en se défendant, frappé d’un coup de couteau Guillaume Pichaut, dont mort s’ensuivit au bout de quelques jours.

  • B AN JJ. 224, n° 19, fol. 23 v°
  • a P. Guérin, Archives historiques du Poitou, 41, p. 57-61
D'après a.

Loys, par la grace de Dieu roy de France. Savoir faisons à tous, presens et avenir, nous avoir receue l’umble supplicacion de Jacques Alaire, jeune enfant, filz de Loys Alaire et de feue Regnée Guye, de l’aage de dix-neuf ans ou environ, demourant en nostre ville de Montagu en nostre pays et conté de Poictou, contenant que dès son jeune aage il a vesquu bien doulcement et honnestement entre ses voisins et autres qui de lui ont eu congnoissance, sans jamais avoir esté reprins, convaincu ne actaint d’avoir fait, commis ne commandé à faire aucunes bateries, force, violences ne oultrages à personne qui soit, ne autres cas, mais que ce neantmoins à l’occasion de ce que [p. 58] ledit suppliant, le premier jeudi de karesme mil cccc. soixante dix, lui estant soubz l’aage de quatorze ans ou environ, soy transporta en une pièce de vigne appartenant à sondit père, assise près le lieu de Rochecervière, en laquelle vigne il trouva grant quantité de brebis sans garde, lesquelles gastoient et endomagoient ladicte vigne, jaçoit ce que ce fust en la saison que les vignes ont acoustumé de gecter et bouter leurs fruiz hors, lequel suppliant, voyant ledit gasteys et doumaige, soy voulant aydier de la provision et remède de justice necessaire et pertinent en tel cas, ainsi que leu et permis luy estoit licitement, voult prendre et enmener ès prisons du seigneur de Rochecervière1 lesdictes bestes belines, afin [p. 59] que sondit pere en peust avoir telle reparacion que par justice en eust esté ordonné ; et de fait desplassa lesdictes bestes de ladicte vigne et icelles mist hors d’icelle et les mena jusques à l’endroit du village de la Dagoignerie près dudit lieu de Rochecervière. A l’endroit duquel village survindrent Agnesse Huppée, femme de Jehan Du Chiron, Colas Pichaut, filz de ladicte Agnesse, Guillaume Pichault et Denise Du Chiron, femme de feu Eutrope Pichaut, demourans tous ensemble au village de Soulete, ausquelz lesdictes bestes estoient. Lesquelz, incontinant qu’ilz furent arrivez devant ledit village de la Dagoignierie, lesdictes berbiz se prindrent à serrer ensemble et se misdrent au devant d’icelles, et estoient garniz et embastonnez de gros bastons et disdrent audit suppliant qu’il ne emmeneroit point lesdictes berbiz. Lequel suppliant, en parlant gracieusement à eulx, leur dist que si feroit et que se il leur faisoit tort ne grief, il menoit lesdictes berbiz es prisons dudit seigneur de Rochecervière, lequel ou ses officiers dudit lieu estoit bien gens souffisans de leur faire droit et raison, et aussi à sondit père. Mais ce non obstant les dessus nommez, en forçant ledit suppliant, luy ostèrent lesdictes brebiz bien enormeement et oultrageusement, en luy disant que s’il se mestoit au devant, ilz le batroient. Et ce voyant, ledit suppliant print l’une desdictes brebiz entre ses bratz et icelle brebiz voult emporter et mener esdictes prisons de Rochecervière. Laquelle chose voyans, lesdictes Agnaisse et Denise et lesdiz Pichaux se prindrent tous au corps dudit suppliant et luy ostèrent ladicte brebiz, et, non contans de ce, le firent tumber par terre et luy donnèrent plusieurs coups de leurs bastons qu’ilz avoient, mesmement ledit Guillaume Pichaut, lequel avoit ung gros aguillon, duquel il frappa ledit suppliant par plusieurs foiz et luy donna plusieurs coups ; et pour lesdiz coups ledit suppliant se escria par trois foiz en disant telles parolles : « A la force [p. 60] du roy ! à l’ayde du roy ! » A quoy ne sourvint aucunes gens pour le secourir et ayder, et ne sceut ledit suppliant comment evader ne eschapper des mains desdiz Pichaux et desdictes femmes, sans grant dangier et peril de mort. Et pour y obvier, tyra ung petit cousteau qu’il avoit et duquel il tranchoit son pain et d’icellui frappa en une espaule ledit Guillaume Pichaut pour une foiz seulement, et, ce fait, trouva moyen de se departir et evader des mains desdiz Pichaux et desdictes femmes et s’en alla à l’ostel de sondit père. Et combien que ledit Guillaume Pichaut incontinant après au moins par l’espace de douze ou treize jours vaccast à ses negoces et affaires et fist euvre de homme sain, comme il avoit acoustumé faire, tant au fait de son labouraige que autrement, sans soy doloyr d’avoir esté blessé par ledit suppliant, au moins qu’il en fut en peril et dangier de mort, toutesfoiz depuis, par deffault de bien avoir esté pensé et gouverné, ou que que soit par autre accident de maladie, ledit Pichaut alla de vie à trespassement. Et à cette cause, le procureur du seigneur dudit lieu de Rochecervière fist adjourner à comparoir en personne et sur peine de bannissement ledit suppliant par devant le seneschal de Rochecervière et es assises dudit lieu ; esquelles, après aucuns deffaulx faiz par ledit suppliant, il obey et sur ledit cas fut oy et mis en recreance de ladicte court, à certaines caucions et peines. Et depuis ledit suppliant ou aucuns de ses parens et amys se sont traiz par devers la mère et autres parens dudit feu Guillaume Pichaut, lesquelz, congnoissans l’agression telle que dessus avoir esté de leur part, en tant que leur touche ont quicté ledit suppliant dudit cas et de toutes actions qu’ilz pourroient avoir contre luy pour ledit cas. Mais ce non obstant, ledit suppliant doubte que au moyen de certaine informacion faicte par ledit procureur de Rochecervière avec les parents dudit deffunct, ledit seneschal vueille [p. 61] proceder à le mettre en question ou autrement contre luy conclurre et le mettre en grosses amendes arbitraires ou le tenir en grant involucion de procès et perdicion de ses biens, se noz grace et misericorde ne luy estoient sur ce imparties, humblement requerant, etc., que il nous plaise luy octroyer. Pour quoy nous, etc., audit suppliant avons oudit cas remis, quicté et pardonné, etc. Si donnons en mandement, par ces mesmes presentes, au seneschal de Poictou et à tous noz autres officiers, etc., que de noz presens grace, quictance, remision et pardon facent, seuffrent et laissent ledit suppliant joyr et user, etc. Donné à Tours, ou moys de fevrier, l’an de grace mil cccclxxv, et de nostre regne le quatorziesme2.

Ainsi signé : Par le roy, à la relacion du Conseil. A. Gontier. — Visa. Contentor. Rolant.


1 Maurice de Volvire, chevalier, seigneur de Rocheservière, Chaveil, Saint-Gervais, Nieul-sur-l’Autize, Châteauneuf en Thouarsais, mentionné à plusieurs reprises dans nos trois précédents volumes, était le fils puîné de Nicolas de Volvire, chevalier, baron de Ruffec, et de Marie de Bazoges. Le 9 juin 1455, il obtint de Louis de Beaumont, sire de La Forêt, sénéchal de Poitou, la mise à exécution des lettres de Charles VII du 29 octobre 1454, lui permettant de rétablir à Nieul les foires et marchés qui s’y tenaient avant les guerres. (Coll. dom Fonteneau, t. VIII, p. 187.) La pièce suivante (p. 189) du même recueil donne la copie de lettres royaux autorisant les poursuites entreprises par Maurice de Volvire contre Alain Drouart et les religieux de l’abbaye de Nieul-sur-l’Autize, qui avaient cessé de célébrer le service fondé dans la chapelle des Chabots par les seigneurs de ce nom, autrefois seigneurs de Nieul, et dans celle de la Vaudieu, presque tombée en ruine par la négligence ou la malice des religieux. Il a été question assez longuement, dans une note de notre t. XI (Arch. hist., t. XXXVIII, p. 102), du procès soutenu, de 1460 à 1467 au moins, par le seigneur de Rocheservière contre Alain IX et Jean II de Rohan, et Louis de Rezay, leur capitaine de la Garnache, procès dont l’origine était l’assiette d’une rente de 120 écus qu’Alain VIII, seigneur de la Garnache, s’était engagé à payer à Nicolas, sr de Ruffec, père de Joachim et de Maurice de Volvire. Ce dernier avait eu à souffrir, dans sa personne et ses biens, des excès de violences de Louis de Rezay et des autres officiers de Rohan à la Garnache. Dans un acte du 1er septembre 1467, il est qualifié conseiller et chambellan de Louis XI. (Coll. dom Fonteneau, t. VIII, p. 215.) Maurice de Volvire vivait encore le 12 septembre 1488, date d’une transaction qu’il passa au nom de son frère Renaud, seigneur de Champrignault, avec son neveu Jean de Volvire, baron de Ruffec, Catherine de Coëtivy, veuve d’Antoine de Chourses et autres, au sujet des terres et seigneuries de Saint-Maxire, la Saussaye et la Meilleraie, dont Jeanne de Volvire, dame de ces lieux, avait fait transport audit Renaud, son frère. (Id., ibid., p. 243.)

2 Il n’y a pas concordance entre le millésime et l’année du règne : il faudrait corriger l’un ou l’autre, « mcccclxxiv » au lieu de : « mcccclxxv » ou : « de nostre règne le quinziesme » au lieu de : « quatorziesme ». Cette seconde correction est seule conforme à l’Itinéraire (Vaësen, de Mandrot, t. XI, p. 148 et 158) qui signale le roi à Paris pendant tout le mois de février 1475, n.s., et au Plessis du Parc pendant presque tout le mois de février 1476, n.s. [L.C.].