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MDCL

Rémission octroyée à Gabriel de Saint-Savin, écuyer, meurtrier de Pierre Chevalier, dit le Menuisier, braconnier, qui malgré toutes les défenses et les menaces, s’obstinait à chasser dans les garennes et à pêcher dans l’étang de la Grange-Saint-Savin, appartenant au père dudit Gabriel. Celui-ci voulant le punir et lui infliger une correction [p. 321] sérieuse, mais non le tuer, se fit accompagner de trois hommes armés de bâtons ferrés, et ayant surpris Chevalier, ils le battirent de telle façon qu’il en mourut.

  • B AN JJ. 205, n° 262, fol. 146 v°
  • a P. Guérin, Archives historiques du Poitou, 41, p. 320-326
D'après a.

Loys, par la grace de Dieu roy de France. Savoir faisons à tous, presens et avenir, nous avoir receue l’umble supplicacion de Gabriel de Saint-Savin, jeune escuier de l’aage de xxv. ans ou environ, filz aisné de Jehan de Saint Savin, chevalier, seigneur de la Grange Saint Savin1, et de Charlot Chalen, Jaquet Leclerc, et Petit Jehan Richier, contenant que ledit Gabriel de Saint Savin suppliant, qui est, comme dit est, jeune et extraict de noble et ancienne lignée, depuis qu’il a peu porter harnoys, nous a serviz en noz armées et guerres, et mesmement au recouvrement d’Arras2 où il print les fievres qui luy ont duré deux ans [p. 322] ou environ. Et aussi nous ont ses predecesseurs bien et honnestement servy, comme Galand de Saint Savin, chevalier, son ayeul, qui fut tué au siège d’Arfleur3, au recouvrement du pays de Normandie ; et aussi ledit Gabriel suppliant et ses predecesseurs ont esté et sont d’ancienneté très bien famez et renommez et gens de grant renom et auctorité, très fort aliez et apparantez ès pays de Poictou, la Marche, Limosin et autres pays voisins, et si ont tousjours vescuz bien et honnorablement et pacifiquement, sans ce qu’ilz aient esté rioteux ne noiseux ne avoir fait ni commis aucun villain cas, blasme, crime ne reprouche ne chose digne de reprehencion. Or est-il que ledit Jehan de Saint Savin, père dudit Gabriel suppliant, est seigneur dudit hostel noble de la Grange Saint Savin, qui est près du Dorat d’un quart de lieue ou environ, et en icellui hostel fait sa residence ; aussi a en icellui hostel une très belle garenne ancienne de grande et longue estandue. Et en ladite ville du Dorat avoit naguères ung compaignon de mestier, qui estoit d’estrange pays et du pays, ainsi que on dit, de Bretaigne, nommé Pierre Chevalier, dit le Menusier, lequel s’estoit marié en la ville du Dorat et y avoit femme et enfans, et besongnoit d’ouvrage de charpenterie et menuserie, et estoit icellui Chevalier, dit le Menusier, ung grant chasseur et par especial à l’arbaleste, et souventes fois aloit chasser à l’arbaleste et autrement dedans [p. 323] et à l’entour de ladite garenne et hostel de la Grange, et avoit perseveré en ladicte chasse bien l’espace de quinze ans ou environ, et estoit ung destructeur de garennes et hayronnières du pays et n’estoit gibier qu’il ne gastast à l’arbaleste, tellement que c’estoit à desplaisance quasi de tous les gentilzhommes du pays, mesmement du père dudit Gabriel, suppliant ; lequel par plusieurs foiz avoit fait dire et remonstrer audit Pierre le Menusier qu’il n’alast plus chasser à l’arbaleste en ses garennes et dangiers de la Grange, autrement qu’il luy en feroit desplaisir, s’il le y trouvoit chassant et n’en tenoit compte. Ains non obstant ladite remonstrance et par plusieurs foiz durant le temps que dessus il, comme orguileux, plain de fierté et oultrecuidance, en perseverant tousjours de mal en pis, ne voult lesser de chasser, et mesmement, le jour du mardi gras derrenier passé, ledit Gabriel suppliant estant oudit hostel de la Grange, et sondit père à Poictiers, à la poursuicte de certains procès qu’il a contre le seigneur de Sors, son frère, luy fut rapporté par l’un des serviteurs dudit hostel que ledit Pierre le Menusier estoit allé prandre ung lievre avec l’arbaleste soubz les fenestres dudit hostel de la Grange, en ung pré dudit hostel qui est quasi joignant d’icellui hostel, lequel lievre il emportoit. Et lors ledit Gabriel suppliant sortit hors dudit hostel et se mist à suivre à pié ledit Pierre le Menusier, pour luy oster ledit lièvre et pour le batre de l’outraige de villennie qu’il leur faisoit ; mais ledit Pierre le Menusier s’en fouyt par les vignes, en façon qu’il emporta ledit lièvre, et le jour mesmes le porta vendre aux bans où l’on vent la chair au Dorat. Et considerant ledit Gabriel suppliant les inhibicions et deffences par nous faictes et aussi par le sire de Beaujeu en son pays et conté de la Marche4, par lesquelles [p. 324] la chasse est deffendue à toutes personnes, mesmement à l’arbaleste, à peine de la hart, se courroussa très fort contre ledit Pierre le Menuysier et delibera en soy que, s’il le trouvoit, il luy osteroit l’arbaleste et le bateroit en façon qu’il auroit une autresfoiz paour d’aller chasser si près dudit hostel. Et afin qu’il s’en taisast et ne vint plus entour ledit hostel de la Grange, ledit Gabriel suppliant dist à plusieurs personnes que ledit Menusier leur faisoit de grans oultraiges, mais que s’il le faisoit entour la Grange, il le paieroit bien. Lesquelles menaces furent dictes et rapportées audit Pierre le Menusier, et ce par plusieurs gens de bien et par ses aliez mesmes ; mais de tout ce ledit Menusier qui estoit fier et arrogant, comme dit est, ne tint compte, ains dist que pour le père dudit suppliant ne pour icellui suppliant, il ne se tiendroit point d’y aller et ne craignoit homme. Et en entretenant tousjours son mauvais couraige, neuf jours après et le second mercredi de kareme derrenier passé, il print une gesarme en ses mains et se vint mettre et pousser pour pescher ung estans attenant dudit hostel de la Grange à ung traict d’arc et par devant la porte dudit hostel, combien que, comme dit est dessus, plusieurs luy eussent dit que ledit Gabriel suppliant le menaçoit. Et voyant ledit Gabriel la fierté et oultrecuidance dudit Pierre le Menusier et que de sesdites menaces il ne tenoit compte et s’estoit venu pousser par devant la porte dudit hostel, delibera en soy de saillir et le battre non le voulant tuer et convoqua avec luy lesdiz Chaleu, Leclerc et Richier supplians et les pria l’accompaigner pour batre ung homme qui luy avoit fait desplaisir. Et tous quatre ensemble, embastonnez de chacun ung baston ferré dont ledit [p. 325] Gabriel suppliant n’avoit fors que ung bracquemart à la sainture, s’en alèrent audit estang, les ungs deçà et les autres delà afin qu’il ne s’en feust. Et illec ledit Pierre le Menusier print sa gisarme et s’en voulut fouyr. Et quand ledit Gabriel suppliant vit qu’il s’en fuyoit, il dist : « Tuez le » et le firent retourner et remettre dedans ledit estang bien avant en la bourbe et illec se mist en deffence. Et alors ledit Gabriel [dit] à ses gens telles parolles : « Gardez l’estoc », et ce fait s’aproucha dudit le Menusier et luy bailla trois ou quatre coups du plat de sondit bracquemart par le visaige, et après le bleça ung peu au bras, duquel il tenoit sa gisarme ; aussi fut blecié par dessus le genoil. Et quant il se vit blecié, il requist mercy audit Gabriel suppliant, qui incontinant [ordonna] que l’on ne luy touchast plus. Et tantost après ledit le Menusier tomba en ladicte bourbe et le lessèrent lesdiz supplians avec sa femme et plusieurs autres. Et est advenu que, combien qu’il n’eust que deux playes, c’est assavoir celle du bras qui estoit petite auprès du poing, du travers d’un doy, et l’autre sur le genoil, longue de quatre doiz ou environ, qui n’estoient aucunement playes mortelles ; toutefoiz par faulte d’être bien pensé et gouverné et qu’il perdit son sang en l’eau, il mourut illec sans plus parler à personne. A l’occasion duquel cas lesdiz supplians doubtans rigueur de justice, se sont absentez du pays et n’y oseroient jamais seurement retourner, converser ne repairer, se noz grace, etc. …, que attendu l’estat et aage dudit suppliant et les oultraiges dudit Pierre le Menusier, et que ledit Gabriel suppliant en tous autres actes a vescu bien et honnestement et nous a servy en noz guerres et armées, qu’il nous plaise sur ce luy octroyer et ausdiz autres supplians nosdictes grace et misericorde. Pour quoy, etc., à nostre seneschal de Poictou et à tous, etc. Donné au Plesseiz du Parc les Tours, ou moys d’avril, l’an de grace mil iiiic iiiixx et de nostre règne le xixe, après Pasques.

[p. 326] Ainsi signé : Par le roy, le conte de Castres5, Me Raoul Pichon et autres presens. Du Banc. — Visa. Contentor. Rolant. — Registrata.


1 On trouvera en plusieurs endroits de nos précédents volumes des notes relatives à cette famille de Saint-Savin et sur deux des personnages mentionnés dans les présentes lettres de rémission. (Voy., en particulier, Arch. hist. du Poitou, t. XXIX, p. 299 et 341, 342 et 427 ; t. XXXVIII, p. 310, 371.) M. le baron d’Huart a donné un tableau généalogique de la branche des seigneurs de la Tour-aux-Cognons. (Persac et la châtellenie de Calais. Mémoire de la Société des Antiquaires de l’Ouest, 2e série, t. X, 1887. Poitiers, 1888, in-8°, p. 153 et 434.) Le Jean de Saint-Savin, chevalier, seigneur de la Grange, qui fut pourvu par lettres données à Paris, le 24 juillet 1418, des offices de sénéchal de Limousin et de capitaine d’Esse (t. XXIX, p. 299, note) devait être le grand-père de Jean, sr de la Grange Saint-Savin, nommé ici. Quant à ce dernier, nous n’avons sur son compte que le renseignement suivant : le 8 mars 1453 n.s., il rendit aveu à Charles Ier d’Anjou, comte du Maine, vicomte de Châtellerault, seigneur de Saint-Maixent, Melle, Civray, Chizé, Sainte-Néomaye, etc., de l’hôtel et hébergement de la Gascognolière, mouvant de Sainte-Néomaye, que lui avait apporté sa femme, Marie de « Ligners » (lisez de Liniers) qu’il avait épousée le 14 septembre 1449. Dans cet acte, il est qualifié écuyer, seigneur de la Grange, de Puy-Laurent et de la Gascognolière. (Arch. nat., P 5193, cote 1476.)

2 Au mois de mars 1477. Après la mort de Charles le Téméraire, Louis XI obligea Arras à recevoir une garnison française jusqu’à ce que Marie de Bourgogne lui eût fait hommage ; les excès commis, au nom du roi, par Olivier Le Dain pendant cette occupation exaspérèrent la population qui se souleva et chassa la garnison. La ville, assiégée par le roi, fut emportée d’assaut et ses murailles furent rasées. On sait combien durement le roi traita les bourgeois d’Arras ; il les déporta sur plusieurs points de la France et leur substitua des familles de « ménagers » de Paris, Rouen, Reims, Orléans, Tours, Poitiers, etc. Le nom même de la ville fut changé et remplacé par celui de Franchise.

3 Ce personnage qu’il ne faut pas confondre avec Galehaut de Saint-Savin, seigneur de la Tour-aux-Cognons, dont il est question dans notre précédent volume (p. 310, note) était le fils aîné de Jean, sénéchal de Limousin (cf. la note précédente) : nous avons signalé ailleurs plusieurs actes le concernant. (Arch. hist. du Poitou, t. XXIX, p. 299, note.) Le siège d’Harfleur, où l’on voit ici qu’il périt, était dirigé par Dunois et fut suivi de la prise de cette ville au mois de décembre 1449. A propos du mariage de son fils aîné, on lit ce qui suit dans la généalogie de la famille de Liniers : « Marie, aliàs Jeanne (4e enfant de Jean de Liniers, dit Maubruny, seigneur de la Meilleraye), épousa, le 14 septembre 1449, Jean de Saint-Savin, le même jour que Galland de Saint-Savin, chevalier, père de son époux, épousait Sibille Taveau, veuve de Jean de Liniers, son frère. » (Beauchet-Filleau, Dict. des familles du Poitou, 1re édit., 1840-1854, t. II, p. 304.)

4 Les lettres patentes de Louis XI portant don à son gendre Pierre de Bourbon, sire de Beaujeu, et aux héritiers de celui-ci du comté de la Marche et de la seigneurie de Montaigut en Combrailles, confisqués sur Jacques d’Armagnac, duc de Nemours, sont datées d’Arras, septembre 1477. Elles furent enregistrées au Parlement le 20 février suivant. (Arch. nat., X1a 8607, fol. 109 v°.)

5 Boffile de Juge, aventurier et homme politique, dont les premières années sont mal connues, mort en août 1502 ; il appartenait à la famille del Giudice d’Amalfi Entré au service de Louis XI en 1472, et devenu chambellan du roi dès l’année suivante, ce prince l’employa à diverses missions politiques et militaires. Après avoir pris une part prépondérante avec Yvon du Fou et le sr de Lude à la guerre de Roussillon, Boffile de Juge fut créé, en mai 1495, lieutenant général du pays, charge dont il demeura investi jusqu’en 1491. Louis XI, pour le récompenser de son zèle dans le procès de l’infortuné duc de Nemours, lui avait fait don du comté de Castres et de la seigneurie de Lézignan, confisqués sur le prince condamné, par lettres datées de Thérouanne, août 1477, enreg. au Parlement le 29 mai 1478. (Arch. nat., X1a 8607, fol. 128 v°.) Le comte de Castres trouva moyen d’épouser une sœur d’Alain d’Albret et le mariage fut célébré le 23 avril 1480. (Cf. O.-M. Perret, Boffile de Juge, comte de Castres, et la république de Venise, dans Annales du Midi, t. III, avril 1891.)