MDLXII
Lettres d’abolition en faveur de Charles d’Anjou, duc de Calabre, comte du Maine et vicomte de Châtellerault, pour les machinations et conspirations contre le roi auxquelles il avait pris part.
- B AN JJ. 204, n° 65, fol. 41 v°
- a P. Guérin, Archives historiques du Poitou, 41, p. 41-52
Loys, par la grace de Dieu roy de France. Savoir faisons à tous, presens et avenir, nous avoir receue l’umble supplicacion à nous presentée par nostre très cher et très amé cousin Charles, duc de Calabre, conte du Maine, de Mortain et de Gien, et viconte de Chastelleraud1, contenant [p. 42] que, durant les derrenières divisions qui ont eu cours en nostre royaume, pendant lesquelles aucuns des seigneurs de nostre sang se sont eslevez en rebellion et desobeissance contre nous, et aucuns autres seduitz et divertiz [p. 43] pour adherer ausdictes rebellions et mesmement en l’année derrenière passée, icellui nostre cousin suppliant, qui lors estoit allé en pays de Prouvence devers nostre très cher et très amé oncle et cousin le roy de Sicille, après ce que, pour aucunes choses dont avions esté advertiz et pour certaines causes qui à ce nous mouvoient, nous eusmes fait prendre et mettre en nostre main les ville et chastel d’Angiers2, nostre dit oncle en parla à nostre dit cousin de Calabre, suppliant, en lui demandant qu’il lui sembloit qu’il avoit à faire. Lequel nostre cousin suppliant lui dist qu’il convenoit envoyer devers le connestable conte de Saint Pol3, son oncle, pour savoir qu’ilz avoient à faire. Et lors y envoyèrent Françoys de Lusembourg4, nepveu dudit conte de Saint Pol, et avant qu’il fut retourné, s’en parti nostredit cousin dudit pays de Prouvence pour venir devers nous, et en s’en venant rencontra ledit Françoys près de Roussillon ou Daulphiné ; lequel lui dist qu’il avoit [p. 44] charge de par ledit connestable s’il le trouvoit encores en Prouvence, lui dire qu’il n’en partist point et qu’il estoit en danger de sa personne, s’il venoit devers nous. Et avec ce lui dist seul à seul que les seigneurs de nostre royaume devoient envoyer en ung certain lieu, en Savoye ou en Bresse, chacun leur scellé et que, s’il vouloit y envoyer le sien, qu’il y envoyast audit jour. Et lors ledit suppliant lui dist qu’il s’en allast devers sondit oncle le roy de Secille lui dire lesdictes choses et que au regard de lui il ne envoyeroit point audit lieu, maiz que sondit oncle avoit puissance de tout faire pour lui ce qui lui plaisoit. Et lui semble que ledit Françoys lui dist que Hector de Lescluze5 estoit jà audit lieu de Savoye ou de Bresse de par ledit connestable, pour attendre les autres, et que les gens du duc de Bourgongne y estoient ou se y trouveroient de brief, et aussi qu’il avoit passé par Molins et qu’il avoit dit toutes ces choses à nostre très cher et très amé frère le duc de Bourbonnois, et d’Auvergne6 de par ledit connestable. Et lors s’en parti ledit Françoys et ne le vit depuis nostredit cousin suppliant. Et depuis ce, et nostre cousin suppliant [p. 45] estant ès marches de par deça, nostre dit oncle de Secille lui manda qu’il lui envoyast troys blancz scellez, pour en faire ce qu’il adviseroit ; ce que nostre dit cousin suppliant fist et les lui envoya, desquelz il n’a depuis esté adverti par sondit oncle ne autres qu’il a esté fait desdiz scellez. Et au passer par Molins par nostredit cousin suppliant, parla audit duc de Bourbon des choses dessusdictes, auquel il prya qu’il obliast toutes les questions du temps passé et qu’ilz feussent dès lors en avant amys et aliez, en lui offrant son scellé. A quoy ledit duc de Bourbon respondi qu’il estoit content et qu’il envoyeroit ung homme après lui ; dont depuis il ne oyt parler et que ledit connestable avoit bien mandé à nostredit cousin suppliant que le duc de Nemours7 estoit de la bande des autres, maiz que jamaiz n’a rien escryt ne fait savoir audit duc de Nemours ne ledit duc de Nemours à lui. Et avec ce ledit connestable fist savoir à nostredit cousin suppliant, lui estant derrenièrement à Paris, par devers nous, qu’il se retirast en ses pays et qu’il estoit en danger de sa personne, s’il séjournoit par devers nous ; et à ceste cause, s’en parti à haste de devers nous, combien qu’il eust charge expresse de par nostre dit oncle de Secille de nous servir, et suivir, obeir et complaire plus que jamaiz n’avoit fait, et de poursuir les besongnes de nostredit oncle envers nous ; et que en oultre, nostredit cousin retourné en sondit pays du Maine, ledit connestable lui fist savoir par plusieurs foiz qu’il se donnast garde de sa personne et qu’il fist reparer ses places et les gardast bien, et que avant qu’il [p. 46] feust peu de temps, nous arions à besongner de lui, combien que icellui nostredit cousin fust deliberé venir par devers nous, nonobstant toutes les choses dessusdictes et les rigueurs que on lui tenoit pour le fait de Guillaume de Roquemeaure et la prinse de sa nef à la Rochelle, et le soustenement des habitans de Mortaing à l’encontre de lui. Et tantost après se parti du Mans icellui nostre cousin suppliant, et s’en ala à Sablé ; ouquel lieu lui fut rapporté que nous transportions au Mont-Saint-Michel et à Nostre-Dame de Behuart, et que faisions mener avec nous sept ou huit cent lances pour le prendre et toutes ses places. Pour laquelle cause et aussi que ledit connestable lui avoit mandé qu’il envoyast en Bretaigne, delibera de y envoyer Regnault de Velort8, pour sentir le duc de Bretaigne qui lors estoit en guerre avec nous, s’il le recueilleroit en son pays, quant en auroit mestier, et s’il le secourroit, quant en auroit à besongner, lui offrant lui et ses places, pour le doubte qu’il avoit de sa personne. Et lors ledit de Velort envoya son homme devers Gilbert de Grassay9, à Nantes, et lui escripvi qu’il vouloit bien parler à lui et qu’il lui fist savoir où il le pourroit trouver ; et se rendirent à Martigny. Et ce pendant nostredit cousin suppliant s’en alla à Mayenne en attendant la response dudit Regnaut ; lequel lui dist, à son retour audit Mayenne, que Gilbert de Grassay se faisoit fort de faire telle aliance avec ledit duc de Bretaigne qu’il vouldroit. Et après ce que ledit de Velort et [p. 47] son homme eurent esté par plusieurs foiz par devers ledit duc de Bretaigne, fut appoincté de bailler leurs seellez l’un à l’autre, c’est assavoir nostredit cousin suppliant audit duc et ledit duc à nostredit cousin. Et avant que lesdiz seellez feussent baillez, nostre dit cousin suppliant lui escripvi de sa main comme il estoit bien joyeulx de ce qu’il lui offroit le recueillir et lui aider en ce qu’il pourroit et ledit duc pareillement ; et tantost après fut fait le seellé, promettant l’un à l’autre aider et secourir de leurs gens et de leurs places. Et pour ce que ledit seellé contenoit comprins amys et alyez, nostredit cousin suppliant deist expressement audit Regnault, pour dire aux gens du duc qu’il entendoit excepter les Bourgoignons et Anglois, qu’il ne vouloit estre bourgoignon ne anglois. Et après plusieurs debatz sur ce euz entre eulz et les gens dudit duc, se acordèrent et fust dit que nostredit cousin n’aroit que faire que au duc, et non point à ses amys, bienvueillans ne alliez. Et aussi pour ce qu’il y avoit audit seellé ung mot qui disoit nomméement contre nous, nostre dit cousin de Calabre commanda au chappellain messire Pierre, qui escryvoit, que ce mot fust osté, et qu’il ne sut se depuis il fut osté ou non. Et au regard du seellé dudit duc, nosdit cousin suppliant et ledit de Velort le brulèrent, nostredit cousin estanst à Aluye ; et quant ledit duc de Bretaigne sceut que nostredit cousin suppliant venoit par devers nous, ledit duc de Bretaigne lui manda audit lieu de Mayenne, qu’il faisoit bien de venir devers nous et qu’il le quictoit et lui envoya ung brevet non signé, lequel nostredit cousin suppliant a muscé, lequel il monstrera quant nostre plaisir sera. Et après ce, vint par devers nostredit cousin suppliant ung nommé Jehan Le Verrier pendant ce que le bastard du Maine10 et le bastart de [p. 48] Harecourt11 estoient par devers nous à Compiengnc, lequel Verrier dit à nostredit cousin suppliant que les Angloix estoient à Dorlans, et que lui mandions qu’il estoit temps qu’il vensist devers nous pour nous servir, et que avions commandé à maistre Girault et aux Rousseletz qu’ilz feissent ce que nostre dit cousin suppliant lui commanderoit et qu’il estoit le grant maistre du mestier, dont icellui nostre cousin fut despit pour ce qu’on lui offrist la maistrise de nostre artillerie, se lui sembloit ; à quoy il respondit qu’il n’avoit point d’argent et plusieurs autres paroles mal sonnantes qu’il ne devoit pas dire, desquelles il n’est à present recors ; et que semblablement ung nommé Marbery12 vint par deux foiz par devers nostredit cousin, et que à l’une des foiz il apporta lettres de par ledit connestable par lesquelles il lui mandoit ledit Marbery pour le mettre en son hostel combien qu’il vensist pour lui apporter lettres de par ledit connestable ; et lui dist à telle foiz comme les Angloix sans point de faulte venoient, et que pour en savoir encores mieulx, s’en alloit en Normandie et de là en Bretaigne, devers le duc, pour lui dire les nouvelles dudit connestable et desdiz Angloix, et qu’il [p. 49] rappasseroit par devers nostredit cousin suppliant, pour savoir s’il vouloit riens mander audit connestable. Pour ce que nostre dit cousin ne se fioit pas trop dudit Marbery, ne manda aucune chose par lui, fors qu’il se recommandoit à lui et qu’il lui prioit qu’il lui fist savoir tousjours des nouvelles. Et depuis par plusieurs foiz ledit connestable a fait savoir audit suppliant que, s’il vouloit qu’il meist de ses gens d’armes en sa place de Guise et qu’il la lui garderoit bien et qu’elle n’estoit pas seurement et qu’il doubtoit que la preinssions, ce que nostredit cousin suppliant lui a tousjours acordé. Maiz ce neantmoins a toujours differé de ce faire et n’y a voulu mettre autres gens que les siens, et que par plusieurs foiz il a fait savoir par Le Picart audit connestable comme il se fyait en lui et que, s’il avoit à besongner de gens pour Guyse, il prendroit des siens et lui prioit qu’il lui fist savoir tousjours des nouvelles. Et aussi manda à Guillaume de Verues13 qu’il allast souvent devers ledit connestable pour savoir des nouvelles et lui en faire savoir, et que à une autre foiz et entre les autres, ledit connestable manda à nostredit cousin suppliant par ledit Picart qu’il estoit force qu’il print de troys parti l’un et fut devant que les Angloix vinsissent en nostre royaume : l’un qu’il faignit se tirer par devers nous et qu’il tirast tout à coup à Saint Quentin ou à Guyse et que de ses gens d’armes et de ce qu’il avoit, il seroit aussi bien maistre que lui ; l’autre, qu’il tirast devers ledit duc de Bourbon et de là s’en entrast en la Bourgongne et en Prouvence ; et l’autre qu’il s’en tirast en Bretaigne et qu’il fust seur du duc, et que là il lui feroit savoir de ses nouvelles et qu’il [p. 50] lui envoyeroit sauf conduit des Angloix et des Bourgoignons, et deux gallées dudit duc de Bourgongne, pour le mener en Flandre, pour de là se tirer par devers ledit connestable. Et avec ce manda ledit connestable à icellui nostre cousin suppliant, par ledit Picart, qu’il sentist se le duc seroit bon pour eulx ou s’il prendroit parti avec nous, et que après qu’il eust senty par ceulx qui mennoyoient14 les traictez desdiz scellez fist savoir audit connestable par ledit Picart, qu’il pensoit que oy. Et que en tant que touche le chastel d’Angiers, que icellui nostre cousin suppliant a bien fait venir aucuns du pays du Maine, lesquelz il ne congnoist, et que on disoit qu’ilz avoient des parens audit chastel d’Angiers, et leur demanda s’il y avoit remède de faire parler à eulx, et leur dit qu’ilz feissent des promesses de par lui ; lesquelz y allerent et depuis leur firent responce qu’ilz n’avoient riens peu faire, et que à ceste cause nostredit cousin suppliant ne fist depuis autre poursuite. Et en tant que touche le duc de Millan15 et la duchesse de Savoye16, que icellui nostre cousin suppliant a bien eu parolles à eulx et a esté requis de par eulx de s’entre aider l’un à l’autre à garder leurs pays, maiz de seellé n’en a point esté baillé par nostre dit cousin suppliant.
A l’occasion desquelz cas dessus declairez, ainsi faiz et commis par nostredit cousin suppliant et autres dont il n’est à present memoratif, ainsi advenus durant ledit temps desdictes divisions, icellui nostre cousin suppliant doubtant qu’il en feust on temps avenir reprouché par nous ou autres, nous a humblement fait supplier et requerir [p. 51] que, attendu les moyens dessus declairez par le moien desquelz il les a ainsi commis et perpetrez et son jeune aage, qui est de xxviie à xxviiie ans, en quoy il est encores à present constitué et que il a bon vouloir de nous desormaiz obeir, servir et complaire en toute obeissance, humilité et amour, il nous plaise sur ce lui impartir noz grace, pardon et abolicion de tous lesdiz cas et autres, ainsi par lui commis durant le temps desdictes divisions et jusques à present, humblement requerant iceulx. Pour quoy nous, ces choses considérées et mesmement la proximité du lignage en quoy nous attient nostredit cousin suppliant et ledit jeune aage en quoy il est encores à present constitué, comme dit est, à icellui, pour ces causes et consideracions et autres à ce nous mouvans, avons quicté, remis, pardonné et aboli, remettons, quictons, pardonnons et abolissons, de grace especial, plaine puissance et auctorité royal, par ces presentes, les faiz et cas dessus declairez, ensemble tous autres que pourroit avoir faiz et commis icellui nostre cousin suppliant à l’encontre de nous et de nostre auctorité et magesté royal, et lesquels nous tenons cy pour expressement declairez, avec toute peine, amende et offence corporelle, criminelle et civile en quoy, à l’occasion d’iceulx et de chacun d’iceulx il pourroit estre encouru envers nous, nostredicte auctorité et justice. Et l’avons restitué et restituons à sa bonne fame et renommée en nostre dit royaume et à ses biens, honneurs, terres et seignouries, et quant à ce imposé et imposons silence perpetuel à nostre procureur general et à tous autres, en mettant au neant tous procès, deffaulx, ban et appeaulx, s’aucuns s’en sont ou estoient pour ce ensuiz. Si donnons en mandement par cesdictes presentes, à nostre amé et feal chancellier, à noz amez et feaulx conseillers les gens de nostre court de Parlement à Paris et à tous noz autres justiciers et officiers ou à leurs lieuxtenans ou commis, presens et [p. 52] avenir et à chacun d’eulx, si comme à lui appartendra et que requis en sera que de noz presens grace, quictance, remission, pardon et abolicion facent et seuffrent nostredit cousin suppliant joir et user plainement et paisiblement, sans pour ce le traveiller ou molester ne souffrir estre traveillé ou molesté, ores ne pour le temps avenir, en corps ne en biens en aucune manière en contraire ; mais se son corps ou aucuns de sesdiz biens, terres et seigneuries sont ou estoient pour ce prinses, saisies, arrestées ou empeschées, les lui mettent ou facent mettre sans delay à plaine delivrance et un premier estat et deu. Et afin que ce soit chose ferme et estable à tousjours, nous avons fait mettre nostre seel à cesdictes presentes. Sauf toutes voyes en autres choses nostre droit et l’autruy en toutes. Donné à la Victoire près Senliz, ou moys d’octobre, l’an de grace mil cccc. soixante quinze, et de nostre règne le xvme.
Ainsi signé : Par le roy en son conseil, ouquel vous, l’evesque d’Evreux17, les sires du Lude18, gouverneur du Dauphiné, d’Argenton19 et autres estoient. — J. Maure.