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MDXCVII

Rémission accordée à Toussaint Serin, sacristain de l’abbaye de la Réau, considéré comme complice du meurtre d’un nommé Mathurin Desbordes, qui ayant attaqué, avec plusieurs autres, les gens de l’abbaye occupés à faire la récolte des noix sur une terre appartenant à celle-ci, y avait été frappé mortellement.

  • B AN JJ. 206, n° 1179, fol. 255 v°
  • a P. Guérin, Archives historiques du Poitou, 41, p. 167-170
D'après a.

Loys, par la grace de Dieu roy de France. Savoir faisons, etc. nous avoir receu l’umble supplicacion de frere Toussains Serin1, religieux et secretaire de l’abbaye de Nostre-Dame [p. 168] de la Reau2, de l’ordre Saint-Augustin, contenant que le ixe jour de septembre derrenier passé par l’ordonnance et deliberacion des prieur et convent de ladicte abbaye, ledit suppliant et deux autres religieux d’icelle abbaye et aucuns laboureurs avecques eulx alèrent au lieu de Rechauvetau3 appartenant à ladicte abbaye pour cuillir et amasser des noix, qui estoient en plusieurs noyers des appartenances d’icelluy lieu. Et eulx arrivez ausdiz noyers, ils y trouvèrent Mathurin Desbordes et autres, et les salua ledit suppliant en leur demandant qui les avoit illec mis en l’eritaige de l’abbaye. Lequel Mathurin luy respondit que c’estoit au sien et incontinent s’en ala sans dire mot ; et se print ledit suppliant et ceulx qui estoient avecques luy à abatre et faire abatre les noix et les mettre ès sacs. Et lors ung nommé Guillaume Serault, qui illec se trouva, dist audit suppliant et à ceulx qui estoient avecques luy que ledit Mathurin aloit quérir des gens, pour les oultrager et que ilz se donnassent garde. Et lors l’un desdiz autres religieux dist telles parolles : « Ces gens sont de mauvaise afaire, ayons des bastons ; car baston acquiert paix. S’ilz nous voyent desgarnis, ilz nous oultrageront. » Et ce pendant vint ledit Mathurin, qui avoit [p. 169] une grande forche de fer, accompaigné de Jehan et Symon Dommeteaulx, Jacques Dommeteau et de Grant Jehan Dommeteau, Jehan Gregoire et autres jusques au nombre de douze ou plus, armez de fer d’espées, et de grans couteaulx, et se mirent à vuider les sacs où estoient lesdictes noix. Et ce voyant, ledit suppliant, pour éviter à debat, leur dist gracieusement qu’il estoit content d’en croire gens de bien et leur nomma des gens de pratique ; maiz ilz n’en vouldrent riens faire, combien qu’il leur dist qu’il estoit content que lesdictes noix demourassent en main tierce. Et ainsi qu’il disoit lesdictes parolles, ung des gens dudit Mathurin d’un gros baston qu’il avoit se print à fraper sur ledit Macias qui avoit une arbaleste. Lequel se couvrit de sadicte arbaleste, sans en tirer. Et non content de ce, ledit Mathurin print aux cheveux ledit Guillaume Avril, mestayer de ladicte abbaye, et à l’occasion de ce se sourdit ung bruit entre eulx, ou quel, ainsi que ledit suppliant a depuis oy dire, lesdiz Pruilly et Colas4, religieux de ladicte abbaye, en defendent eulx et ceulx de leur compaignie, fraperent sur ledit Mathurin, qui avoit prins ledit mestoyer aux cheveux, tellement qu’il cheut à terre. Lequel Mathurin fut emporté et mené au lieu de Rechauveteau, auquel lieu il fut par l’espace de xv. jours, et disoit-on qu’il estoit guery, mais depuis, par ce qu’il fut remué de lieu en autre sur une charrete, son sang se esmeut, dont il rencheut, tellement que, par mauvais gouvernement ou autrement, deux ou troys jours après, il ala de vie à trespas. Et pour ce que ledit suppliant estoit present quant ledit cas advint, il dobte que on le voulsist apprehender en justice, se nostre grace, etc., requerant, etc. Pourquoy, etc., audit suppliant [p. 170] avons quicté les fait et cas dessusdiz, avec tout peine, etc. Si donnons en mandement à nostre seneschal de Poictou, etc. Donné à Paris, ou moys d’octobre, l’an de grace mil cccc. soixante dix sept, et de nostre règne le xviime.


1 Toussaint Serin, sacristain de l’abbaye de Notre-Dame de la Réau, chargé par l’abbé, parce qu’il était « bon administrateur, de recueillir les moyssons de lad. abbaye et autres fruictz croissans ès héritages d’icelle », fut poursuivi au criminel, devant le sénéchal de Poitou, par Colas et Simon Grégoire, qui, d’une part, se prétendaient légitimes possesseurs de la terre de « Chauvetain » alias « Rochevatrain » et de plus de cinquante noyers dont elle était plantée, et d’autre part avaient dans le conflit subi les mauvais traitements des moines, particulièrement Simon qui avait reçu une blessure tellement grave qu’on l’avait tenu pour mort. Serin était accusé d’avoir donné le signal de l’attaque, en disant : « Qui aura courage, si frappe » ; il conduisait deux moines et une douzaine de gens de labour armés et « embastonnés », sachant bien que les noix ne leur appartenaient pas et qu’ils seraient peut-être empêchés de les abattre et de les récolter. D’ailleurs la contestation de propriété entre l’abbaye et les plaignants avait valu à ceux-ci une haine non dissimulée de la part des moines, au point qu’ils s’étaient munis de lettres de sauvegarde, dans le but de se mettre à l’abri des entreprises des religieux. Quand Desbordes et les autres virent arriver les hommes armés du sacristain, ils allèrent, non pas chercher du renfort pour les combattre comme le prétendaient les agresseurs, mais les sergents de la justice du lieu, pour leur défendre de donner suite à leur entreprise, sous peine d’enfreindre la sauvegarde royale. Leur attaque violente, la mort de Desbordes, les blessures de plusieurs autres étaient d’autant plus répréhensibles. Ajournés à trois brefs jours devant le sénéchal, Serin ne comparut point et fut condamné par contumace à l’amende envers le roi et envers partie. Il releva appel au Parlement où l’affaire fut plaidée le 29 mai 1478. Quoique non coupable, déclara-t-il, ses adversaires l’avaient fait citer d’abord devant l’official de Poitiers (les plaignants le niaient absolument), qui l’avait renvoyé absous, puis, sachant qu’il était à Paris et ne pourrait être averti en temps utile, ils l’avaient fait ajourner devant le lieutenant du sénéchal de Poitou, qui l’avait condamné par défaut, en quoi ils avaient eu deux fois tort, d’abord parce que l’accusé était dans l’impossibilité de se rendre à un ajournement qu’il ne connaissait même pas, ensuite parce qu’il ne relevait pas d’un juge séculier. Il prétendait, en outre, que la terre de Chauvreteau appartenait bien légitimement à l’abbaye de la Réau. La cour donna gain de cause à Colas et Simon Grégoire, confirma la sentence du sénéchal, ordonnant qu’elle serait exécutée selon sa forme et teneur, et condamna Toussaint Serin, outre les amendes au roi et à la partie adverse, aux frais de la cause d’appel ; mais cet arrêt définitif fut rendu seulement le 22 mars 1486, n.s. ! (Arch. nat., X2a 42, à la date du 29 mai 1478 ; X2a 45, date du 22 mars 1486 ; et X2a 51, date du 14 mars 1486).

2 La Gallia christiana, dans sa liste très incomplète des abbés de N.-D. de La Réau, passe de Guillaume (1434) à André des Herbiers, dernier abbé régulier, mentionné dans des chartes de 1493, 1512 et nov. 1514. (T. II, col. 1364.) On en connaît un autre, dans l’intervalle, Robert de la Goupillère, qui, le 3 février 1445 nov., traite avec la dame de Mauprevoir au sujet des bois de l’abbaye. (Coll. Dom Fonteneau, t. IV, p. 483) ; il est peu probable qu’il fût encore à la tête de ce monastère en 1477.

3 Dans les registres du Parlement qui viennent d’être cités, ce nom de lieu est écrit tantôt « Rochevatrain », tantôt Chauvetain. M. Redet, dans son Dict. topogr. de la Vienne, l’a recueilli sous la forme « Chauvreteau » (cne de Millac), avec la variante « Rechauvretau ».

4 Sic au registre, bien qu’il n’ait pas été question encore de ces deux religieux. On verra par les lettres de rémission, datées de novembre 1477, qu’ils obtinrent personnellement de la grande Chancellerie, qu’il s’agit de Jean de Preuilly et de Colas du Breuil-Helion (n° MDC ci-dessous).