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MDCIII

Rémission octroyée à Jacques Seguin, exerçant le métier de maréchal à Luçon, appelant d’une sentence capitale prononcée contre lui par le sénéchal de l’évêque et détenu dans les prisons royales de Fontenay-le-Comte, parce que lui et plusieurs autres compagnons menuisiers et couturiers avaient fait violence à une femme venant de La Rochelle, logée chez un tavernier de Luçon, et avaient abusé d’elle, [p. 188] sous prétexte qu’elle passait pour être femme publique.

  • B AN JJ. 203, n° 18, fol. 10
  • a P. Guérin, Archives historiques du Poitou, 41, p. 187-192
D'après a.

Loys, par la grace de Dieu roy de France. Savoir faisons à tous, presens et avenir, nous avoir receue l’umble supplicacion des parens et amis charnelz de Jaques Seguin, mareschal, natif de la Caille1 ou païs et conté de Poictou, à present detenu prisonnier en noz prisons de Fontenay le Conte, contenant que ledit suppliant, demourant en la ville de Luçon, oudit païs de Poictou, en faisant sondit mestier de mareschal, ung certain jour du mois de may derrenier passé, icellui suppliant et ung nommé Dorleans, menusier, à la promocion et instigacion de deux cousturiers valetz et serviteurs dudit mestier de cousturier, qui avoient dit aux dessusdiz qu’il y avoit en l’ostel de Colas Giraudeau, aussi cousturier, tenant taverne publique, une femme publique, se transportèrent les dessusdiz suppliant, menusier et cousturiers, par deliberacion faicte entre eulx, à l’ostel et maison dudit tavernier querir ladicte femme. Et quant ilz furent devant ledit hostel, distrent et deliberèrent entre eulx que lesdiz suppliant et menusier entreroient en ladicte maison pour querir ladicte femme, disans lesdiz cousturiers qu’ilz n’y entreroient point et qu’ilz demoureroient au dehors, parce que ledit tavernier estoit de leur mestier, doubtans qu’il fust mal content d’eulx. Et après ces parolles dictes, frappèrent lesdiz suppliant et menusier contre l’uys dudit tavernier avec la main et appellèrent que on leur vint ouvrir, ce que feist une chambrière demourant oudit hostel, et quant ilz furent entrez, ils trouvèrent en ladicte maison ledit tavernier et sa femme qui [p. 189] estoient couchez au lit ; et aussi trouvèrent ladicte femme, qu’on disoit estre femme mariée, de la ville de la Rochelle, qui estoit toute seule audit lieu de Luçon, où elle estoit venue pour produire à la court ecclésiastique dudit Luçon certain procès qu’elle y avoit à l’occasion de certains heritages, comme l’on disoit. Aussi estoient en ladicte maison dudit tavernier le varlet èt ladicte chambrière, et estoient ladicte femme et lesdiz varlet et chambrière au feu et ladicte femme en sa cotte, qui s’en vouloit aller coucher. Et quant lesdiz suppliant et menusier furent dedans ladicte maison, ilz demandèrent à boire, ausquelz on en apporta et vouloient faire boire ladicte femme ; et eut ledit menusier plusieurs parolles avecques elle. Et après lui dist qu’il convenoit s’en vint avec lui. A quoy elle fist responce que non feroit et qu’elle n’estoit pas telle comme il pensoit. Et ce veant, ledit menusier la print par le braz pour la tirer et mettre hors ladicte maison. A quoy elle fist resistence, en disant qu’ilz ne la meneroient point et qu’ilz faisoient mal, en criant « à l’aide » et se print à ladicte chambrière. Maiz ce non obstant, ledit menusier la mist hors de ladicte maison, et par ce qu’elle resistoit lui donna ung soufflet ou deux de la main, et par ce qu’elle recusoit aller et sortir hors et s’estoit prinse à ladicte chambrière, la poussa par derrière ledit suppliant et estoit present à tout ce que faisoit ledit menusier. Et quant ladicte femme fut hors de la porte de la dicte maison, ledit suppliant tourna querir les robbes et habillemens de ladicte femme et les lui bailla. Et se assemblerent lesdiz cousturiers et ung barbier avec eulx ; lesquels menèrent tous ensemble ladicte femme en une rue fouraine en ladicte ville de Luçon, et quant ilz furent en ladicte rue, ledit menusier voult congnoistre ladicte femme charnellement ; à quoy la voult resister et par ce lui donna ledit menusier deux ou trois souffletz de la main, et de fait la congneut, comme croit ledit suppliant. Et incontinent après, croyant ledit suppliant que ce fust [p. 190] une femme publique, tant par ce qu’elle estoit seulle logée en ladicte taverne que aussi par ce que lui en avoient dit lesdiz cousturiers, la congneut aussi charnellement une foiz. A quoy elle ne fist point de resistence. Et ce fait, menèrent les dessusdiz ladicte femme chez ung barbier en ladicte ville de Luçon, où illec se trouvèrent jusques au nombre de dix ou de douze, qui la congneurent et en firent à leur voulenté et la congneut derechief ledit suppliant par une autres foiz. Et quant se vint devers le matin sur le point du jour, ilz renvoièrent ladicte femme, laquelle le lendemain se rendy plaintive à la justice temporelle de Luçon pour nostre amé et feal conseiller l’evesque dudit lieu2, en la seigneurie duquel elle avoit esté prise, et furent lesdiz menusier et suppliant prins au corps ; et fut oy et interrogué ledit suppliant par le seneschal dudit Luçon pour ledit evesque, auquel ledit suppliant confessa ce que dit est. Et veues par ledit seneschal ladicte confession, charges et informacions faictes à l’encontre dudit Jaques Seguin touchant ledit cas, a esté condempné par ledit seneschal à souffrir mort et estre pendu et estranglé à la justice patibulaire dudit Luçon pour ledit evesque. Dont ledit Jaques Seguin a appellé ; mais ce non obstant, il a tousjours depuis esté detenu prisonnier audit lieu de Luçon, sans relever sondit appel, parce qu’il n’avoit parens qui eussent de quoy le faire, que ung sien frère, franc archier, qui estoit pour lors ès païs de Flandres et de Picardie en nostre service. Par quoy les trois mois ordonnez pour ledit appel relever ont esté passez. Et après par vertu de certaines noz lettres impetrées par le procureur de la justice laye dudit evesque, ledit Jacques Seguin a esté mené prisonnier en nosdictes prisons audit lieu de Fontenoy le [p. 191] Conte, où illec est encore de present detenu. Et pendant l’espedicion desdictes grans assises dudit Fontenoy le Conte, il vint à la notice et congnoissance du père dudit Jaques Seguin, que ledit procureur dudit evesque avoit obtenu lesdictes lettres royaulx et icelles presentées à nostre seneschal de Poictou ou à son lieutenant tenant et expediant lesdictes assises, et aussi par ce que audit père dudit Jaques Seguin appartenoit et appartient par raison la poursuite et deffence de sondit filz detenu prisonnier comme dit est, requist icellui père audit lieutenant qu’il lui baillast et discernast coppie desdictes lettres. Et pour ce qu’il en fut reffusant ou delaiant, ledit suppliant en appella. Et combien que depuis ledit cas ainsi avenu, ledit Jaques Seguin ait appoincté à ladicte femme pour son interest à la somme de quarente livres, dont elle ait esté contente, et que à ceste cause ledit Jaques ne soit plus detenu que pour l’interest criminel de justice, neantmoins il a doubté que s’il n’avoit sur ce noz grace et misericorde, qu’il demourast tousjours prisonnier ou que l’en le vouloit faire executer selon ladicte sentence. Et pour ce nous a humblement fait supplier et requerir que, attendu qu’il ait satisfait à ladicte femme pour l’interest de partie et qu’il n’y a plus que celluy de justice, le long temps qu’il a esté detenu prisonnier, et que en autres cas il est bien famé et renommé, il nous plaise sur ce lui impartir nostredicte grace et misericorde. Pour ce est-il que nous, voulans misericorde, etc., et par la teneur de ces presentes, etc., et sur ce imposons silence, etc., satisfacion faicte, etc., en mettant au neant, etc. Si donnons en mandement, par cesdictes presentes, à nostre seneschal de Poictou, etc., sans pour ce le molester, etc. Et afin que ce soit, etc. Sauf toutesvoies, etc. Donné au Plesseis du Parc, ou mois de decembre, l’an de grace mil cccc. soixante dix sept, et de nostre règne le dix septiesme.

Ainsi signé, par dessus le reply desdictes lettres : Par [p. 192] le roy, l’evesque d’Alby, le gouverneur de Daulphiné, le sire d’Argenton3 et autres presens. Disome4. — Visa.


1 Quoiqu’il y ait un hameau de ce nom près de Chef-Boutonne, nous pensons que le scribe a omis l’abréviation de er et qu’il convient d’y suppléer et de lire la Caillère (cne de Sainte-Hermine, arr. de Fontenay-le-Comte).

2 Nicolas Boutaud fut évêque de Luçon du 14 février 1462 au 27 décembre 1490. On trouvera une notice sur ce personnage dans nos deux précédents volumes. (Arch. hist. du Poitou, t. XXXV, p. 455, t. XXXVIII, p. 119.)

3 Louis d’Amboise, évêque d’Albi, Jean de Daillon, sr du Lude, gouverneur de Dauphiné, et Philippe de Commynes, sr d’Argenton. (Cf. ci-dessus, p. 52).

4 Antoine Disome ou d’Isome, notaire et secrétaire du roi, dont on trouve la signature au bas de lettres de Louis XI, de 1465 à 1481, résigna sa charge en faveur de Martin Le Picard, son gendre.