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MDCXIII

Rémission en faveur de Jacques Gillier et d’Etienne Le Ferron, écuyers considérés comme responsables de la mort de Millet Moreau. Celui-ci ayant été surpris avec un de ses compagnons en train de pêcher dans des eaux appartenant audit Gillier, ce dernier, voulant les prendre prisonniers, s’était rendu avec Le Ferron, Guillaume Blanchart son serviteur et plusieurs autres à Sales ; et fouillant de son épée un tas de bourre dans lequel Milet s’était caché, ledit Blanchard l’avait blessé mortellement.

  • B AN JJ. 206, n° 17, fol. 4 v°
  • a P. Guérin, Archives historiques du Poitou, 41, p. 215-219
D'après a.

Loys, par la grace de Dieu roy de France. Savoir faisons, etc., nous avoir receu l’umble supplicacion de noz [p. 216] chiers et bien amez maistre Jaques Gilier1, escuier, et de Estienne Le Ferron2, aussi escuier, contenant que, le samedi xie jour de ce present moys de juilliet, environ l’eure de sept heures devers le soir, lesdiz supplians estans au lieu de la Villedieu, ledit Gilier dist à Guillaume et Jaquet Blanchars, frères, serviteurs de Guillaume Gilier3, [p. 217] escuier, son frère, que l’un d’eulx après soupper alast au lieu de Sales faire lascher les escluses des moulins dudit lieu, pour arrouser certains prés appellez les Preaulx ; et peu de temps après lesdiz supplians s’en alerent esbatre et passer temps avec autres en la prearie appellée Motihoye4, et eulx illec estant, survint ledit Guillaume Blanchart fort esmeu, et dist ausdiz supplians que en alant audit lieu de Sales pour faire lascher lesdictes escluses, il avoit trouvé es eaues et pescheries dudit lieu de Sales, qui sont eaues defendues, deux pescheurs qu’il disoit estre des gens d’un nommé Thabouril, peschans esdictes eaues et que, pour ce qu’il s’estoit efforcé de prendre leurs engins, lesdiz pescheurs l’avoient batu et très fort oultragé, et puis l’avoient gecté soubz l’eaue. Oyant laquelle plainte par ledit Gilier, desplaisant dudit oultrage, delibera de aler prendre prisonniers lesdiz pescheurs et les faire punir par justice, et demanda audit Le Ferron s’il vouloit aler avec luy. Lequel luy dist qu’il estoit content. Et à ceste cause, commanda à Guillaume Charbonnier, sergent de ladicte terre de Sales, illec present, qu’il appelast avecques luy deux ou troys de ses serviteurs pour les acompaigner. Et ce fait, marchèrent au lieu où ledit Blanchart disoit avoir trouvé lesdiz pescheurs ; mais pour ce qu’ilz s’en estoient jà fouyz en la maison dudit Thabouril, ainsi que ledit Blanchart disoit, alèrent à ladicte maison, et pour ce que on ne leur vouloit faire ouverture, trouvèrent manière de entrer dedans. Et dist ledit Gilier audit Thabouril : « C’est mal fait à vous d’avoir batu cest homme et de faire pescher [p. 218] en mes eaues, èsquelles vous n’avez riens. Et quant vous m’eussiez demandé du poisson, je vous en eusse bien donné, sans le me desrober. » Ausquelles parolles ledit Thabouril ne respondit aucune chose. Et ce fait, sans riens prendre ne emporter dudit hostel ne faire desplaisir à personne, firent sercher par ledit hostel, auquel ilz ne trouverent aucun desdiz pescheurs. Et ainsi qu’ilz s’en retournoient audit lieu de la Villedieu, ledit Guillaume Blanchart, qui estoit demouré derrière, revint à eulx et leur dist que lesdiz pescheurs estoient en une autre maison près celle dudit Thabouril. Et à ceste cause retournèrent lesdiz supplians et ceulx de leur compaignie, et alèrent à icelluy hostel, auquel ledit Blanchart appella, en disant : « Ouvrez, ouvrez. » Et après aucun refuz à eulx fait par aucun temps, une femme estant oudit hostel leur ouvrit l’uys, et entrèrent tous au bas de ladicte maison avec deux torches alumées, et pour trouver et prendre lesdiz pescheurs, en quoy faisant lesdiz Guillaume et Jaquet Blanchars, frères, et ledit Roulet avec eulx montèrent au solier de ladicte maison, ouquel solier avoit ung grant monceau de bourre de draps soubz lequel estoit mucé ung nommé Milet Moreau. Et tost après oyrent lesdiz supplians que ledit Guillaume Blanchart cryoit : « A l’aide ! à l’aide ! veez les cy, veez les cy. » Auquel cry ledit Ferron, suppliant, monta audit solier par une eschelle, et ledit Gilier qui vouloit monter après ledit Ferron, dit à haulte voix audit Blanchart : « Ne frapez pas, ne frapés pas. » Et quant ledit Ferron fut monté audit planchier, il apperceut ledit Milet Moreau, qui se leva de dessoubz ladicte bourre, sans parler ne dire qu’il fust blecié ne autre chose. Lequel ledit Jaquet Blanchart tenoit par l’un des bras, non saichant qu’il fust blecié, ledit Le Ferron le print par l’autre bras, en luy disant : « Venez vous en en prison. » Et ce pendant, monta ledit Gilier audit solier tenant une torche alumée en sa main ; lequel [p. 219] aussi ne sçavoit pas que ledit Milet eust été blecié, et luy monté dist audit Milet : « Descends à bas » ; ce que ledit Millet fist. Et quant il fut descendu, il s’adreça audit Gilier en luy disant : « Monseigneur, que je parle à vous. Je suis blecié à mort. Que j’aye confession. » Et en ce disant, ledit Milet leva sa chemise par derrière et monstra comment il estoit blecié. Et quant ledit Gilier apperceut qu’il saignoit, il en fut très desplaisant et courroussé, et aussi fut ledit Le Ferron. Et incontinent saillirent hors de ladicte maison pour eulx en retourner audit lieu de la Villedieu. Et quant ilz furent hors, la femme dudit Milet vint au devant dudit Gilier et luy dist qu’il alast veoir ledit Milet. A laquelle ledit Gilier dist : « M’amye, je ne le sçauroye veoir », et appella ledit Charbonnier, auquel il commanda qu’il pensast bien [la bleceure] dudit Milet, et puis se mirent lesdiz supplians à chemin, et ainsi qu’ilz s’en aloient, vint après eulx ledit Guillaume Blanchart, auquel ilz demanderent qui avoit aussi blecié ledit Milet. Lequel leur respondit que en serchant en ladicte bourre, il avoit actaint ledit Milet de son espée, et lors ledit Gilier luy dist qu’il estoit bien paillart de l’avoir ainsi blecié, et ledit Guillaume luy respondit qu’il n’en povoit maiz et et qu’il en estoit fort marry, et qu’il ne le savoit pas en ladicte bourre. Et depuis ont esté lesdiz supplians adverty que ledit Milet, à l’occasion de ladicte bleceure, est alé de vie à trespas, etc. Pour quoy nous, etc., ausdiz supplians avons quicté, etc. Si donnons en mandement aus seneschal de Pontieu5, etc. Donné à Paris, ou moys de juillet l’an de grace mil cccc. soixante dix huit et de nostre règne le xviie.

Ainsi signé : Par le roy, à la relacion du Conseil : Pouffé.


1 Jacques Gillier, fils aîné de Jean, seigneur de la Villedieu-de-Comblé (sur lequel voy. notre avant-dernier vol. Arch. hist. du Poitou, t. XXXV, p. 206) et de Françoise Mehée, licencié ès lois, fut aussi, après la mort de son père qui vivait encore à la date de la présente rémission, seigneur de la Villedieu et de Saint-Georges. Le 18 décembre 1463, par lettres patentes données à Saint-Riquier, il avait été pourvu, à la requête d’Etienne Gillier, sr des Rosiers, son grand-père, et sur la présentation de la reine douairière Marie d’Anjou, comtesse de Saintonge, de l’office de procureur du roi en Saintonge et au gouvernement de la Rochelle, en remplacement de sondit aïeul et nonobstant la nomination d’un nommé Méry Rabeau, d’ailleurs révoqué. (Bibl. nat., ms. fr. 27808, Pièces orig. 1324, n° 35.) Les numéros 37 à 39 du même volume sont des quittances de gages dudit office scellées des armes dudit Jacques Gillier, des 12 mai 1464, 10 juillet 1466 et 19 janvier 1467 n.s., gages qui s’élevaient à 50 livres par an. Louis XI, après la mort de son frère le duc de Guyenne, confirma Jacques dans la jouissance de cet office (lettres datées de La Rochelle, le 25 mai 1472, qui sont accompagnées de deux autres quittances de gages, l’une du 11 juillet 1474, l’autre du 3 décembre 1480). (Id., ibid., nos 42, 43, 44.) Le 14 décembre 1484, alors seigneur de la Villedieu-de-Comblé, Jacques Gillier rendit aveu au roi de l’office fieffé de clerc du greffe des présentations du Poitou. (Arch. nat., P. 1145, fol. 144), dont Charles VIII, le 20 août 1485, lui confirma le don qui avait été fait à son bisaïeul Denis Gillier et à ses héritiers par Jean duc de Berry, comte de Poitou. (Arch. de la Vienne, E2 253.) De Marie Le Ferron, dame de Petousse, sa femme, il eut deux fils et sept filles et décéda avant le 15 février 1489, date d’un nouvel aveu de l’office de clerc des présentations, fait par sa veuve, au nom de ses fils mineurs. (Cf. Beauchet-Filleau, Dict. des familles du Poitou, 2e édit., t. IV, p. 140.) Marie Le Ferron lui survécut près de cinquante ans ; le 15 février 1537 n.s., elle rendait aveu au roi, en qualité de tutrice de ses petits-enfants mineurs, Joachim, Marie et Renée Gillier, fils et filles de feu François Gillier, sr de Saint-Georges de Longuepierre et de Louise de la Rochandry, du fief de Saugé à Bagnault, mouvant de Lusignan. (Arch. nat., P. 5562, n° 781.)

2 Etienne Le Ferron, écuyer, était sans doute un frère de la femme de Jacques Gillier, fils non mentionné d’Yves Le Ferron, écuyer, seigneur de Petousse (Exoudun, Deux-Sèvres), qui fut maire de La Rochelle en 1458 et de Marie de La Lande ou de Perrette Massicot qui était sa veuve en 1473. Ses sœurs connues, disent MM. Beauchet-Filleau (ce doit être une erreur, puisque nous venons de voir qu’elle vivait encore en 1537), étaient Marie, mariée vers 1460 au seigneur de la Villedieu-de-Comblé, et Perrette qui épousa Antoine de Montbron. (Dict. des familles du Poitou, t. III, p. 409.)

3 Guillaume Gillier, chef de la branche des seigneurs de Salles, était le quatrième fils de Jean, sr de la Villedieu et de Françoise Mehée ; marié le 19 juillet 1473 à Jeanne Jousseaume, il décéda avant 1504, laissant deux fils et quatre filles. (Id., t. IV, p. 144.) Guillaume Gillier est dit seigneur de Gastebourse, du ressort de la Mothe-Sainte-Héraye, au ban de nov.-déc. 1491, où il figure pour lui et pour la veuve de son frère Jacques, représentée par un homme d’armes et deux archers. (Roolles des bans et arrière-bans de la province du Poitou, Xaintonge et Angoumois, 1667, p. 88.)

4 Ce nom est dit la prée Mothoyse dans les lettres pour G. Blanchart. (Acte qui suit immédiatement celui-ci.)

5 Sic, corr. « Poictou ».