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MDCXXI

Rémission en faveur de Jean Gabillon, le jeune, de Moutiers en la châtellenie d’Argenton, coupable du meurtre de Laurent Bertin, son beau-frère, en défendant son père, que celui-ci menaçait de tuer.

  • B AN JJ. 205, n° 87, fol. 44 v°
  • a P. Guérin, Archives historiques du Poitou, 41, p. 234-237
D'après a.

Loys, par la grace de Dieu roy de France. Savoir faisons à tous presens et avenir, nous avoir receu l’umble supplicacion de Jehan Gabillon1 le jeune, pouvre jeune homme, [p. 235] chargé de jeune femme et de deux petis enfans, contenant que le dimanche prouchain devant la feste madame Saincte Katherine, vingt deuxiesme jour de novembre derrenier passé, devers le soir, pou après que ledit suppliant fut couché avec sadicte femme en l’ostel de Jehan Gabillon l’aisné, son père, assis ou bourg de Moustier en la chastellenie d’Argenton en nostre pays de Poictou, ouquel hostel ledit suppliant a tousjours demouré et demeure avec ledit Jehan Gabillon l’aisné son père, survint en la chambre où ledit suppliant estoit couché ung nommé Thomas Mestoier, serviteur de Jehan Lidat, curé dudit lieu de Moustier, lequel ledit soir avoit souppé oudit hostel dudit père dudit suppliant et y devoit coucher, qui print icelluy suppliant à l’un des braz, en luy disant : « Lève toy, Laurens Bertin tue ton père ! » Lequel suppliant qui savoit que ledit Bertin, qui estoit jeune homme et fort, estoit yvre, respondy audit Thomas : « Je te pry, va le deffendre car j’ay paour que nous ayons noise. » Lequel Thomas replicqua à icelluy suppliant : « Je n’iray point, car il me tueroit. » Et lors ledit suppliant pria derechef ledit Thomas qu’il y allast. Lequel luy respondy qu’il n’y yroit point, en disant à icelluy suppliant : « Veulx-tu laisser tuer ton père ? » Ce que oy, ledit suppliant, meu d’amour filialle et aussi que en une autre chambre en laquelle ledit Gabillon l’aisné et sa femme, père et mère dudit suppliant, ledit Laurens Bertin et Marguerite Gabillonne, sa femme, seur d’icelluy suppliant, couchoient et avoient acoustumé coucher, et qui estoit près et joignant de la chambre où estoit couché ledit suppliant, il oyt grant bruyt et tumulte et entendy ledit Jehan Gabillon l’aisné, son père, qui disoit tout hault : « Laisse-moy, laisse-moy », se leva soudainement [p. 236] de sondit lit en chemise et trouva ung petit baston blanc en la cheminée de la grousseur d’une verge de fleau ou environ qu’il print en sa main, entra en ladite chambre où il avoit oy ledit bruyt, et trouva ledit Bertin qui tenoit ledit Jehan Gabillon, son père, au corps contre le lit de sondit père. Auquel Bertin, ledit suppliant dist : « Lasche mon père », et incontinant ledit Bertin se retourna impetueusement contre icelluy suppliant pour se prandre à luy et le vouloir oultrager. Quoy voyant, ledit suppliant, pour ce empescher, leva sondit baston et d’icelluy frappa ledit Bertin deux ou trois coups par l’espaule ou sur l’un des braz, ne scet lequel, pour ce que lors il faisoit noir en ladicte chambre et n’y avoit aucune chandelle alumée ne autre clarté fors seulement en la lueur d’un pou de paille que on avoit nagueres gecté ou feu. Lequel Bertin incontinant laissa ledit Gabillon et voult poursuir ledit suppliant qui atant fouy de sa voye et s’en retourna coucher en sadicte chambre, et laissa ledit Bertin qui semblablement s’alla mettre contre son lit et commença à crier au meurtre, en disant : « Gabillon m’a battu. » Et tantost après se coucha ledit Bertin en sondit lit, duquel, comme une heure après ou environ, ainsi qu’on dit, il se voult lever, et ainsi qu’il se cuidoit lever, cheut du hault du lit, tout nu en sa chemise, à terre où il demoura jusques à ce que ledit Gabillon l’aisné fist lever sa chamberière qui aluma de la chandelle et icelle alumée relevèrent ledit Bertin qui se coucha derechef en sondit lit avec sadicte femme ; laquelle le lendemain au matin, environ l’aube du jour, ainsi qu’elle a voult lever, aperceu que ledit Bertin qui avoit ung pou vomy par la bouche qu’il avoit toute plaine d’apoustume, estoit allé de vie à trespassement. Pour occasion duquel cas, ledit suppliant, doubtant rigueur de justice, s’est abscenté du pays et n’y oseroit jamais converser ne demourer, se noz grace et misericorde ne luy estoient sur ce imparties, comme il dit, en nous humblement requerant [p. 237] que, attendu qu’il a tousjours esté de bonne vie, renommée et honneste conversacion, et en tous ses autres faiz s’est doulcement et paisiblement gouverné, etc., et que ledit cas est avenu par meschief et chaulde colle, par mocion d’amour filialle et est plus présumpcion que ledit Bertin soit estaint par le vin dont il estoit enbeu et yvre que pour lesdiz coups que ledit suppliant luy bailla, il nous plaise luy impartir sur ce nostre grace et misericorde. Pour quoy, etc., au seneschal de Poictou, gouverneur de Thouars, et à tous noz autres justiciers, etc. Donné à Tours, ou moys de decembre l’an de grace mil cccc. soixante dix huit, et de nostre règne le dix-huitiesme.

Ainsi signé : Par le roy, à la relacion du Conseil. Foulet. — Visa. Contentor. De Molins.


1 Le Dict. des familles du Poitou, nouv. édit., dit qu’une famille du nom de Gabillon habitait Thouars au commencement du xviie siècle. On voit ici que, bien antérieurement à cette époque, elle était déjà fixée dans la région.