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MDCLXV

Rémission obtenue par Yvon Fraigneau, pelletier, demeurant à Poitiers, meurtrier de son frère Jean, qu’il avait frappé mortellement à la suite d’une dispute qui s’était élevée entre eux, parce que Jean déservait et calomniait Yvon auprès de leur père, dans le but d’obtenir toute sa succession et d’en frustrer son frère.

  • B AN JJ. 208, n° 140, fol. 82
  • a P. Guérin, Archives historiques du Poitou, 41, p. 369-372
D'après a.

Loys, par la grace, etc. Savoir faisons à tous, presens et avenir, nous avoir receue l’umble supplicacion de Yvon Fraigneau, jeune homme, pelletier, chargé de jeune femme grosse d’enfant, filz de Loys Fraigneau1, aagé de soixante quinze ans ou environ, aussi pelletier, demourans en nostre ville de Poitiers, contenant que ledit Loys Fraigneau, qui toute sa vie a esté et est bon marchand a vescu honnestement de son dit mestier, avoit deux filz, c’est assavoir feu Jehan Fraigneau et ledit suppliant. Et pour ce que ledit Jehan Fraigneau avoit dès sa jeunesse esté et estoit fort noyseux et de petit gouvernement et que puis aucun temps ença en haine et desplaisant de ce que sondit père et sa mère, à ung jour et feste de Pasques, que chacun chrestien doit estre en bon estat, lui voulurent remonstrer ses faultes et mauvaise vie, en lui priant que dès lors en avant il se voulaist abstenir de mal faire et bien vivre, il avoit frappé et batu sondit père, lesdiz père et mère l’esloingnèrent d’eulx et prindrent à demourer avesques eulx ledit suppliant et sa dicte femme, lesquelz y ont toujours demouré et servi, et entretenu leurdit père au mieulx et le plus doulcement qu’ilz ont peu, jusques à puis aucun temps ença que ledit feu Jehan Fraigneau, envieulx de ce que ledit suppliant et sadicte femme demouroient et gouvernoient leurdit père, a conceu grant [p. 370] hayne contre ledit suppliant et dit à sondit père par plusieurs foiz que ledit suppliant disoit par ladicte ville à ung chascun qu’il estoit tourné en enfance, en l’exortant et induisant par soultiz moiens qu’il lui voulsist donner tous ses biens et en frustrer ledit suppliant. Dont ledit suppliant, congnoissant que lui et sadicte femme avoient si bien servy et entretenu leurdit père et qu’ilz avoient esté et estoient cause de l’entretenement de sa maison, fut moult de desplaisant et courroussé contre sondit feu frère ; et à ceste cause se meut aucunes questions et debatz entre lesdiz deux frères. A l’occasion desquelz debatz ledit feu Jehan Fresnau se fist donner asseurement dudit suppliant. Et depuis, c’est assavoir le premier jour d’octobre derrenier passé, ledit suppliant se alla, ainsi qu’il avoit de coustume, esbatre a jouer de l’arc ou Pré l’Abbesse en nostre dicte ville de Poitiers, avec Anthoine Dalemaigne2, Robinet Vinart, artiller, et plusieurs autres gens de bien de ladicte ville. Et au retour dudit Pré, icellui suppliant s’en alla soupper avec ledit Dalemeigne et après soupper se esbatirent et firent bonne chère en l’ostel dudit Dalmaigne jusques environ l’eure de neuf heures de nuyt que ledit suppliant s’en alla en l’ostel de sondit père, et vit que sondit père et ledit feu Jean Fraigneau estoient assis l’un auprès de l’autre sur le banc et oyt que ledit deffunct disoit à sondit père que ledit suppliant disoit et semoit par la ville que sondit père estoit tourné en enfance ; lequel suppliant, oyant lesdictes parolles et recors que ledit deffunct avoit tousjours tendu et tendoit de le mettre en la malegrace de sondit père, pour lui faire prendre ses biens et [p. 371] succession, entra en ladicte chambre et demanda à sondit feu frère qui l’avoit illec amené et qui le mouvoit de parler ainsi de lui, et le mettre en la malegrace de sondit père. A quoy ledit deffunct lui respondit bien rigoreusement de courage courroussé : « Mais toy, yvroigne ! » Et lors ledit suppliant courroussé et desplaisant desdictes choses, dist audit deffunct qu’il n’estoit point yvroigne et qu’il saillist et allast hors ; et voyant ledit suppliant que ledit deffunct estoist fort arrogant et ne s’en voulloit aller, monta en sa chambre et apporta son espée. Et ainsi qu’il retourna en la chambre, vit sondit feu frère tout debout, et qu’il tenoit en sa main une paelle de fer ou atirefeu, de laquelle, sitost qu’il vit entrer ledit suppliant en ladicte chambre, il se efforça de l’en vouloir frapper. Et ledit suppliant, congnoissant que sondit feu frère estoit mal meu et de mauvais vouloir à l’encontre de lui, tira sadicte espée du fourreau et en donna ung estoc audit deffunct au cousté seneste ; lequel deffunct saisit et print la lamelle de ladicte espée des deux mains et pour ce que ledit suppliant ne la lui peut oster, print ung chandellier sur la table où il y avoit une chandelle ardant et lui en donna deux ou trois coups sur les mains pour lui faire lascher icelle espée. Et voyant ledit suppliant que ledit deffunct ne la vouloit lascher, le lessa et s’en alla hors de ladicte chambre. Et tantost après ledit deffunct, à l’occasion desdiz cops alla de vie à trespas. Pour occasion duquel cas ledit suppliant, doubtant rigueur de justice, s’est absenté du païs, où il n’oseroit jamais retourner, converser ne demourer, se noz grace et misericorde ne lui estoient sur ce imparties, humblement requerant icelles. Pour quoy nous, voulans, etc., audit suppliant ou cas dessus dit avons quicté, remis et pardonné, et par la teneur, etc., quictons, remettons et pardonnons le fait et cas dessus dit, avec toute peine, etc., en mettant au neant, etc. Satisfacion, etc. Et l’avons restitué, etc. Si donnons en mandement, etc., au [p. 372] seneschal de Poitou ou à son lieutenant, etc., et à tous noz autres, etc., que de noz presens grace, etc., ilz facent, etc. Et afin, etc. Sauf, etc. Donné à Tours, ou mois d’octobre l’an de grace mil cccc. quatre vings, et de nostre règne le vingtiesme.

Ainsi signé : Par le roy, maistres Jehan Chambon3, Thibault Baillet4, Pierre Deladehors5 et autres presens. Du Ban. — Visa. Contentor. Texier.


1 On ne sait si l’on doit rattacher ces Fraigneau, pelletiers de Poitiers, à la famille du même nom anciennement établie à Saint-Maixent et dans le Niortais. (Dict. des familles du Poitou, 2e édit., t. III, p. 562.)

2 Ce personnage ne paraît pas appartenir à la famille d’ancienne chevalerie, dont le principal établissement en Poitou était à Nalliers, près de Saint-Savin, quoiqu’à cette époque vécut un Antoine d’Allemagne, père de deux filles du nom de Marie, dont la première épousa Gamaliel de Moussy, sr de La Contour, et la seconde, le 8 octobre 1493, Antoine de Moussy. (Id., t. Ier, p. 45.)

3 Jean de Chambon, alors maître des requêtes après avoir exercé pendant plusieurs années, par commission, les fonctions de sénéchal de Poitou, a été l’objet d’une longue notice dans notre précédent volume, p. 380-383.

4 Thibaut Baillet, reçu conseiller au Parlement entre 1462 et 1469, nommé maître des requêtes de l’hôtel en 1472 et président à mortier le 9 janvier 1485 au lieu de Guillaume de Corbie, fut l’un des commissaires désignés, le 22 septembre 1476, pour juger le duc de Nemours. Louis XI et Charles VIII lui confièrent fréquemment des missions diplomatiques. Il mourut le 19 novembre 1525. (Blanchard, Les presidens au mortier du Parlement de Paris. In.-fol., p. 119.)

5 Pierre Deladehors était lieutenant criminel de la Prévôté de Paris.