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MDCLXXIII

Lettres de grâce données en faveur de Guillaume Garenjon, homme de labour de la paroisse de Saint-Eanne, qui avait été condamné par contumace par la justice de Lezay à être pendu, pour le meurtre de Jean Gendre, dit Grugeau, advenu dans une rixe sept ans auparavant.

  • B AN JJ. 207, n° 209, fol. 97 v°
  • a P. Guérin, Archives historiques du Poitou, 41, p. 398-400
D'après a.

Loys, etc. Savoir faisons à tous, presens et avenir, nous avoir receue l’umble supplicacion de Guillaume Garenjon, povre homme de labour, aage de vingt cinq à vingt six ans ou environ, chargé de femme et enfans, demourant en la paroisse de Sainct Eanne en nostre païs et conté de Poictou, contenant que, le seziesme jour de mars l’an mil cccc. soixante treize ou environ, ung jour de dimanche au soir, environ jour couchant, il alloit pour lever certains bourignons ou engins d’ouzils1 à prandre poisson, à lui appartenans, comme loches et vairons ou autre menuyse qu’il avoit tenduz cedit jour en l’eaue ou rivière appellée la Chevaleresse, qui decourt près le villaige de la Rivière en ladicte parroisse de Sainct Eane. Et après que ledit suppliant eut levé deux d’iceulx engins, il monta au long de la dicte eaue pour lever le tiers qu’il avoit tendu en icelle à l’endroit du champ de l’Aumosnier de Trenantheuil, et trouva ledit suppliant où estoit ledit engin tendu ung nommé Jehan Gendre, dit Grugeau, et Pierre Gendre, son frère, enfans de Jehan Gendre, demourant audit villaige de la dicte Rivière en la dicte parroisse, et apperceut icellui suppliant que ledit Pierre Gendre levoit ledit bourignon ou engin qui lui appartenoit et le mist soulz son bras. Auquel Pierre Gendre dist telles ou semblables [p. 399] parolles : « Lasche mon bourignon » ; lequel Pierre Gendre dist que non feroit. Et en proferant ces parolles, ledit suppliant, cuidant recouvrer sondit engin et bourignon, dist qu’il l’auroit, et en le voulant oster audit Pierre, vint vers lui ledit Jehan Gendre, dit Grugeau, son frère, qui tenoit une palle ferrée, appellée palle basse, de laquelle il vouloit assigner et bailler sur la teste dudit suppliant. Lequel veant que ledit coup descendoit sur sa teste, voulant repeller et obvier audit coup et au mauvais et dampnable vouloir dudit Grugeau, mist icellui suppliant ung baston appellé boulouer2 au devant de ladicte pelle pour la faire virer et tourner à part, non voulant ne cuidant frapper ledit Grugeau, mais seullement pour destourner et faire virer ledit coup ; et en ce faisant, ledit baston ou boulouer dudit suppliant alla contre ladicte pelle basse et esluyda tellement qu’il cheut contre la tenple ou teste dudit Grugeau ou autrement ne sut pas bien en quelle partie de sa teste, parce qu’il faisoit fort noir et obscur et qu’il estoit nuyt, quoy que soit, pour occasion duquel coup ledit Gendre dit Grugeau, par faulte de bon gouvernement ou autrement, est allé de vie à trespas. Et combien que ledit suppliant ait fait satisfacion aux parties dudit deffunct civillement, et qu’il feust bien son amy et affin, et n’avoit que entencion de soy couvrir et repulser au coup que lui vouloit bailler ledit deffunct, et ne le vouloit occire ne mourdrir, ce neantmoins pour occasion duquel cas ledit suppliant, doubtant rigueur de justice, s’est absenté du païs et a esté appellé a ban par la justice de Lezay3, de laquelle il est justiciable, et a esté procédé tellement contre lui qu’il a esté condampné en son absence a estre pendu et estranglé et ses biens confisquez. [p. 400] Par quoy icelluy suppliant n’oseroit jamais converser ne repairer audit païs, se noz grace, quictance, rémission et pardon ne lui estoient sur ce imparties, si comme il dit, en nous humblement requerant iceulx, et mesmement que, attendu que ledit cas n’est avenu de guet apensé ne propos délibéré et que pour icellui ledit suppliant a fait satisfacion aux parties, et que en tous ses autres cas et affaires il a tousjours esté de bonne vie, renommée et honneste conversacion, sans jamais avoir esté acteint ne convaincu d’aucun autre villain cas, blasme ou reprouche, nous lui vueillons sur ce impartir nostre grace et misericorde. Pour quoy nous, etc., voulans, etc., audit suppliant avons quicté, remis et pardonné le fait et cas dessus déclaré, avecques toute peine, etc. En mettant au néant, etc. Et l’avons restitué, etc., satisfacion, etc. Et sur ce imposons, etc. Si donnons en mandement, etc., au seneschal de Poictou ou à son lieutenant à son siège de Nyort, et à tous, etc., que de noz presens grace, etc. Et afin, etc. Sauf, etc. Donné à Azay le Brulé, ou mois de janvier l’an de grace mil cccc. quatre vings, et de nostre règne le vingtiesme4.

Ainsi signé : Par le conseil, Disome. — Visa, Contentor, Budé.


1 D’après le Dict. de l’anc. langue fr. de F. Godefroy, v° Oisil, ce mot signifie osier. Quant au mot bourégnon, il ne cite que l’exemple emprunté au présent texte et l’interprète : filet à mailles serrées et propre à prendre des petits poissons (t. VIII, Complément).

2 Dans le même ouvrage, ce nom n’est indiqué qu’avec le sens de jeu de boules.

3 La seigneurie de Lezay appartenait alors à Jacques de Beaumont, sire de Bressuire. (Cf. le volume précédent, p. 235, n. 3, et p. 315, n. 1.)

4 Ces mêmes lettres sont enregistrées une seconde fois, sans le moindre changement au texte, dans JJ. 208, n° 45, fol. 24 v°.