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MDCCXVI

Rémission obtenue par Guillaume Girard et à Guillemette Fortune, demeurant à Saint-Loup, prisonniers à Thouars pour avoir été pris en flagrant délit d’émission en cette ville de faux florins qu’ils s’étaient chargés de mettre en circulation pour le compte d’une association de faux monnayeurs auxquels ils étaient affiliés.

  • B AN JJ. 208, n° 163, fol. 99
  • a P. Guérin, Archives historiques du Poitou, 41, p. 527-535
D'après a.

Loys, etc. Savoir faisons à tous, présens et advenir, nous avoir receue l’umble supplicacion des parens et amis charnelz de Guillaume Girard et Guillemete Fortune, sa femme, chargez de plusieurs enfans, demourans à Sainct-Lou en la seneschaucée de Poictou, à present prisonniers en noz prisons de Touars, contenant que, deux ans a ou environ, lesdiz Girard et sa femme, estans lors demourans au bourg et parroisse de Gougé près ledit lieu de Sainct Lou, ung nommé Jehan d’Arvoirs, dit Grant Jehan acueillit et alloua à ladicte Guillemete une sienne niepce jusques à certain temps lors ensuivant ; et pour ce que icelle niepce auparavant avoit estée mariée avec ung tainturier de toilles, ladicte Guillemete le tint avecques elle six sepmaines ou environ, en entencion de savoir et aprandre d’elle la manière de taindre lesdictes toilles. Durant lesquelles six sepmaines, ladicte niepce dist à ladicte Guillemete que [p. 528] ledit Grant Jehan, son oncle, savoit l’art de faire la monnoye d’or et d’argent et qu’elle lui en parleroit. Et aucun temps après ledit d’Arvoirs dit Grant Jehan, se trouva en la maison desdiz Girard et sa femme, en laquelle il fist ung fourneau et monstra a ladicte Guillemete ung instrument de verre qu’il avoit apporté avecques lui, lequel il appelloit alenby, pour tirer de l’eau de vie. Et depuis, tant au moien dudit acueilliage de ladicte niepce que aussi que ledit d’Arvors avoit et a certaine maison et autres dommaines et heritages joingnans une petite gangnerie ou mestarie appartenant ausdiz Girard et sa femme, appellée la Pacaudière, iceulx Girard et sa femme prindrent congnoissance avec ledit Grant Jehan, et semblablement depuis ont eu congnoissance à ung nommé Loys, dont ilz ne savent le surnom, qui a esposé une des filles dudit Grant Jehan, que aussi que icellui Loys et sa femme ont une petite gangnerie joingnant de ladicte Pacaudière. Lequel Loys ung an et demi a ou environ, lui estant en sadicte mestarie, se transporta audit lieu de la Pacaudière pour achapter des pouletz et il trouva ladicte Guillemete, et ainsi qu’ilz parloient ensemble de plusieurs choses, Jehan Godebon, frere uterin de ladicte femme dudit Loys, passa aupres d’eulx avecques certain nombre de chiens, et après qu’il fut passé, ladicte Guillemete dist qu’elle s’esbahissoit comment il povoit entretenir si grant estat de nourrir tant de chiens ; et lors ledit Loys respondit qu’il avoit beau les mener et qu’il savoit bien l’art de faire des florins et autres monnoyes. Et lors ladicte Guillemete, qui est simple jeune femme et indigente, non pensant que ce feust fort grant mal, dist audit Loys qu’ils devoit trouver moyen d’en faire comme lui, veu qu’il estoit marié avecques sa seur. Et a donc ledit Loys lui dist que si elle et sondit mary lui voulaient aider à mettre et employer desdiz florins, qu’il leur en apporteroit dedans brief temps ; ce que ladicte Guillemete lui accorda. Et sans autre chose faire, ledit [p. 529] Loys, se departit d’elle et s’en alla en sadicte mestaierie et de là en la ville de Poictiers, en laquelle ledit Loys se tient par diverses foiz. Et incontinant que ladicte Guillemete fut retournée par devers ledit Girard, son mary, elle lui déclaira les parolles et entreprises qu’elle avoit eues avecques ledit Loys touchant lesdiz florins en l’exhortant, tant pour leur subvenir à plusieurs leurs necessitez qu’ilz avoient et ont à present à cause de la sterilité du temps que autrement, que pour leur aider à marier leur fille, aagée de vingt ans ou environ, qu’il voulsist acompaigner ledit Loys à mettre lesdiz florins par le pais. Par le moien desquelles remontrances et exortacions, ledit Girard se consentit de ce faire. Et tantost après lesdiz Girard et sa femme se partirent dudit lieu de Gourgé et s’en vindrent demourer audit lieu de Sainct-Lou, ouquel ilz ont tousjours depuis demouré jusques à present. Auquel lieu ledit Loys se rendit par devers eulx et leur dist qu’il savoit bien la manière d’avoir des florins d’Arragon faulx et autres, mais qui les mettroit en tel point qu’ilz se mettroient pour bons et que si ledit Girard lui vouloit tenir compaignie à aller par le pays les mettre et emploier, qu’il en auroit prouffit comme lui. Lequel Girard, tempté de l’ennemy et sans avoir congnoissance du mal qu’il entendoit de ce faire et qu’il en povoit ensuir, voyant la grande povreté et neccessité où il estoit, et qu’il n’avoit blé ne vin de quoy il peust vivre ne entretenir sa femme et enfans, se consuntit à ce et accorda audit Loys qu’il yroit par le pays mettre et employer desdiz florins. Et adonc ledit Loys dist audit Girard et sa femme qu’il s’en alloit audit Poictiers pour en faire, et bailla lors audit Girard deux ou trois desdiz florins pour les mettre et employer, et sans autre chose faire ledit Loys se partit d’eulx et s’en alla. Et aucun temps après ledit Loys retourna audit Sainct-Lou et demanda ausdiz Girard et sa femme s’ilz avoient mis lesdiz florins et qu’il vouloit auoir partie de la monnoye qu’ilz en [p. 530] avoient eue. Lequel Girard lui dist qu’il avoit employé lesdiz florins, c’est assavoir l’un en ung sextier de seigle et les autres en ses affaires, mais que pour l’eure il ne lui en bailleroit aucune chose, pensant qu’on les lui retournast. Après lesquelles parlolles, icellui Loys dist ausditz Girard et sa femme qu’il leur en envoyroit en brief d’autres pour les mettre. Et aucun temps après ledit Loys vint audit lieu de Sainct-Lou et apporta sept ou huit desdiz florins d’Arragon, lesquelz il frappa en l’estable desdiz Girault (sic) et sa femme, en la presence de ladicte femme et les dora d’un demi ducat que lui bailla ledit Girard, et l’autre moitié laissa audit Girard. Et depuis à une autres foiz icellui Loys vint audit Sainct-Lou et demanda au dit Girard s’il avait encores la moitié dudit ducat en lui priant qu’il lui en voulsist bailler la moitié, qui estoit ung quart et qu’il en avoit afaire, ce que fist ledit Girard et print dudit Loys en monnoye ce que valloit ledit quart.

Durant lequel temps ledit Grant Jehan dist ausdiz Girard et sa femme qu’il leur aprandroit à gecter desdiz florins et austres monnoyes et leur monstra ung fer plat, lequel il emploie de cendre passée, destrampée d’eaue salée et mettoit sur ladicte cendre ung gros de Bretaigne, pour en former la marche, ou autre monnoye, et fist bailler ausdiz Girard et sa femme certain argent cassé qu’ils avoient tant en aneaulz que autrement, pour faire de ladicte monnoye ; lequel ledit Grant Jehan fist fondre et paravant que le marcher et mettre en forme, fist l’essay destaing et y fist deux ou trois formes de gros de Bretaigne, et après en fist dudit argent, mais il ne put riens faire et ne valut riens le tout de ladicte monnoye. Et avecques ce icellui Grant Jehan bailla audit Girard ung billot de bois pour faire faire ung fer semblable à icellui billot, lequel fer ledit Girard en fist depuis faire deux par deux fois à ung mareschal demourant audit Gourgé, sans ce que ledit mareschal scust pourquoy s’estoit et les bailla ledit Girard audit [p. 531] Grant Jehan, pour en faire des coings à monnoye telle qu’il vouldroit, sans savoir quelle. Et pareillement icellui Girard depuis la feste sainct Jehan derrenière passée, par le commandement dudit Grant Jehan a fait faire par ung coustellier deux autres pieces de fer pour en iceulx graver la marque de certaine monnoye, lesquelz il a aussi baillez audit Grant Jehan. Et depuis, c’est assavoir environ les vendanges derrenieres passées, lesdiz Grant Jehan, Loys et ung nommé Jehan Seignemault (sic) entreprindrent ensemblement que ledit Seigneurault (sic) leur feroit certain nombre de pièces d’argent rondes, pour faire gros de Bretaigne ; et pour ce que ledit Seigneurault disoit qu’il ne povoit pas faire les choses de lui mesmes, ilz se rendirent audit lieu de Sainct Lou devers ledit Girard et bailla icellui Girard audit Seigneurault pour faire lesdictes pièces jusques à la somme de cinquante solz tournois dont il devoit estre remboursé du premier venu desdictes pièces. Et tantost après ledit Seigneurault apporta audit Girard audit lieu de Sainct Lou le nombre de vingt pièces toutes rondes prestes à marquer, lesquelles ledit Girard print dudit Seigneurault et les porta à la Jardinière par devers ledit Loys ; et incontinant qu’il les lui eut monstrées, ledit Loys et Girard s’en allèrent ensemble ès bois de la Pacaudière, estans près dudit lieu de la Jardinière, et porta ledit Loys ung fer engravé à la marque des gros de Bretaigne, et oudit bois ledit Loys, en la presence dudit Girard frappa oudit coing quatre ou cinq desdictes pièces, mais ilz ne peurent faire chose qui riens vaulsist, par quoy ledit Girard reprint icelles pièces et les retourna audit Seigneurault. Et depuis et durant ledit temps ladicte Guillemete bailla audit Grant Jehan trois vieilles guillières d’argent, desquelles ledit Grant Jehan fist aucuns gros, dont il en bailla six audit Girard et sa femme, qui les ont mis et emploiez. Semblablement, environ la my Karesme derrenière passée, ung autre nommé Jehan, frère dudit Loys, [p. 532] vint audit lieu de Sainct Lou, par devers lesdiz Girard et sa femme, et se logea en leur maison et leur dist qu’il avoit apporté le nombre de xxiiii. ou xvv. florins tous faiz, lesquelz ledit Jehan dora d’un ducat et quart que lui bailla ledit Girard en certaine maison à lui appartenant, on laquelle maison ledit Loys en remercha sept ou huit ou environ, en la presence dudit Girard. Et le lendemain lesdiz Jehan et Girard se partirent dudit Sainct Lou et dirent à ladicte Guillemete qu’ilz s’en alloient par le païs pour mettre, changer et employer en monnoye ou marchandise lesdiz xxiiii. ou xxv. florins et s’en allèrent jusques en la ville de Nantes, en laquelle et en y allant et retournant audit Sainct Lou ilz changèrent en monnoye et autres plusiéurs choses qu’ilz acheptèrent lesdiz xxiiii. ou xxv. florins. Et eulx retournez dudit voyage audit Sainct Lou, auquel voyage ilz misdrent neuf ou dix jours, ilz trouvèrent qu’ilz avoient de retour desdiz florins oultre et par dessus la despence qu’ilz avoient faicte et autres choses qu’ilz avoient acheptées environ de dix sept à dix huit livres, de laquelle somme ledit Jehan bailla à ladicte Guillemete la somme de six livres qu’il lui donna pour ses peines et salaires dudit voyaige et le surplus print pour lui. Et le lendemain au matin se partit dudit Sainct Lou et l’acompaigna ledit Girard jusques à la Maladerie dudit lieu, et en allant ledit Jehan promist audit Girard que en brief il retourneroit devers lui audit Sainct Lou, et lui apporteroit derechief desdiz florins et après se departirent, et s’en alla ledit Jehan à Poictiers, ainsi qu’il disoit. Et depuis, c’est assavoir le mardi xxvie jour de mars derrenier passé, ledit Jehan retourna de rechief audit lieu de Sainct Lou et se logea en la maison desdiz Girard et sa femme et illec apporta avecques lui le nombre et quantité de vingt et quatre florins, tant d’Arragon que au monde tous faiz et dorez, excepté six ou sept que ledit Jehan dora au soir après que ledit Girard fut cousché, en la presence de ladicte Guillemete, [p. 533] de certaine doreuze qu’il avoit apportée avecques lui. Et le jeudi ensuivant, qui fut le xxviiie jour du mois de mars, lesdiz Jehan et Girard se partirent dudit Sainct Lou et s’en allèrent couscher à la Roche de Luzay en une hostellerie estant près le pont dudit lieu, et le lendemain au matin baillèrent à l’oste de ladicte hostellerie l’un desdiz florins en paiement de leur escot, lequel hoste leur retourna l’outre plus dudit escot en monnoie à la raison d’un bon florin et s’en allèrent en la ville de Touars en laquelle avoit marché cedit jour, et pour mettre et employer lesdiz autres florins, se logèrent en l’ostel d’un nommé Guillaume Babin, claveurier1, et tantost qu’ilz furent arrivez, ledit Girard qui avoit lesdiz florins par devers lui, achepta audit marché une paire de chausses et une cornète le pris de xxxi. solz tournois, pour le paiement desquelles choses il bailla au marchant de qui il les avoit acheptées deux desdiz florins, lequel lui retourna le residu en monnoie à la raison de deux bons florins. Pareillement ledit Girard achepta audit marché deux petiz chappeaulx du pris de iiii. solz ii. deniers tournois, pour le paiement desquelz il bailla au chappellier de qui il les avoit acheptez ung desdiz florins qui lui en retourna l’aultre plus de ce qu’il povoit valloir à la raison d’un bon florin. Et depuis, parce que lesdiz marchant et chappellier desquelz ledit Girard avoit acheptées lesdictes chausses, cornète et chappeaulx trouverent que lesdiz florins qu’il leur avoit baillez n’estoient pas bons, ains qu’ilz estoient faulx, les retournèrent à icellui Girard qui les reprint et leur rendit lesdictes choses avecques la monnoie qu’ilz lui avoient baillée avecques lesdiz florins. Et tantost après lesdiz Girard et Jehan paièrent leur escot audit Thouars de l’un desdiz florins, lequel ilz baillèrent à l’ostesse, afin qu’elle leur retournast l’outre plus de leurdit escot à la valleur de ce que ledit florin eust [p. 534] peu valloir, s’il eust esté bon, et pour ce que ladicte hostesse n’avoit point lors de monnoie, ainsi qu’elle disoit, pour retourner audit Jehan Girard (sic), porta ledit florin à ung changeur dudit Thouars pour le changer et en avoir la monnoie. Lequel changeur, incontinant qu’il vit et eut ledit florin entre ses mains congneut et apperceut qu’il estoit faulx, et à ceste cause s’en vint à ladicte hostellerie avecques ladicte hostesse, pour savoir qui lui avoit baillé ledit florin. Et quant ilz furent à ladicte hostellerie, ledit changeur fist copper ledit florin par ledit Babin hostellier ou par l’un de ses varlez et fut trouvé faulx et qu’il n’estoit pas de bon aloy. Et incontinant ledit changeur l’ala dire et reve ler aux gens de nostre justice, lesquels firent venir par devers eulx ledit Girard pour savoir qui lui avoit baillé ledit florin, et pour ce qu’il confessa l’avoir apporté et aussi qu’il en fut trouvé sur lui jusques au nombre de vingt ou vingt et ung autres semblables faulx tant au monde que desdiz florins d’Arragon, il a esté prins et constitué prisonnier audit lieu de Touars et aussi y a depuis esté mise prisonnière ladicte Guillemete sa femme. Et combien que lesdiz Girart et sa femme n’ayent besoingné à faire lesdiz florins et que jamais ilz n’aient sceu la manière commant ilz ont esté faiz, fors en la manière que dit est, neantmoins, ilz doubtent que à l’occasion des cas dessusdiz on veille (sic) proceder à l’encontre d’eulx à rigueur de justice, se noz grace et misericorde ne leur estoient sur ce imparties, en nous humblement requerans que, attendu ce que dit est et que ce qu’ilz ont fait en ceste partie, ce a esté par povreté et indigence et que en tous leurs autres faiz ou affaires ilz ont tousjours esté de bonne vie, renommée et honneste conversacion, sans jamais avoir esté actains ne convaincuz d’aucun autre villain cas, blasme ou reprouche, il nous plaise leur impartir nosdictes grace et misericorde. Pourquoy nous, etc., voulans, etc., ausdiz Guillaume Girard et Guillemete, sa femme, et à chacun d’eulx, avons, en [p. 535] l’honneur et reverence de Dieu nostre createur, Nostre Dame et de Monsieur Saint Claude2, dont sommes presentement retournez de voyaige que y avons fait en grant devocion, quicté, remis et pardonné les faiz et cas dessus diz, avecques toute peine, etc., en mettant, etc. Et les avons restituez, etc. Satisfacion, etc. Et imposons, etc. Si donnons en mandement au seneschal de Poictou ou à son lieuxtenant ou acesseur à son siège dudit Thouars, et generaulx de noz monnoys et à tous, etc. Et afin, etc. Sauf, etc. Donné à Belleville en Beaujoulois ou mois de may l’an de grace mil cccc. quatre vings deux et de nostre règne le vingt et ungiesme.

Ainsi signé : Par le roy, l’arcevesque de Vienne3 et autres presens. Parent. — Visa. Contentor (sic).


1 Serrurier.

2 L’itinéraire de Louis XI signale en effet la présence du roi à Saint-Claude les 21 et 22 avril 1482. (Vaesen et Mandrot, t. XI, p. 223.) [L.C.]

3 Astorg Aimery, d’abord évêque de Saint-Paul-Trois-Châteaux (14 août 1478), puis archevêque de Vienne (11 décembre 1480), chargé par le roi de missives en Angleterre, avant le 8 juillet 1482. Gallia christiana novissima, t. IV (1909), p. 429, 448, et Lettres de Louis XI, t. IX, p. 257. [L.C.]