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MDLXXXVII

Rémission accordée à Georges Hervéron et Jean Brejon, jeunes hommes de labour, de la paroisse de Gizay, poursuivis en justice pour le meurtre de Jean Fauconnier, qui avait attaqué sans raison et menaçait de tuer Jean Hervéron, leur père et beau-père, au secours duquel ils étaient venus à temps.

  • B AN JJ. 204, n° 170, fol. 106
  • a P. Guérin, Archives historiques du Poitou, 41, p. 139-143
D'après a.

Loys, par la grâce de Dieu roy de France. Savoir faisons à tous, presens et avenir, nous avoir receue l’umble supplicacion de George Herveron et Jehan Brejon, povres jeunes hommes de labour, demourans en la parroisse de Gizay en Poictou1, contenant que lesdiz supplians qui sont jeunes enfans, nouvellement mariez, depuis leur jeune age et congnoissance, se sont tousjours bien et honnestement gouvernez, convercé doulcement entre leurs voisins et congnoissans, sans que jamaiz ils aient esté actains ne convaincus d’aucun vilain cas, blasme ou reprouche digne de reprehension, combien que, le xxviie jour de juing derrenier passé, Jehan Herveron, père dudit George suppliant ou de la femme dudit Jehan Brejon, aussi suppliant, se transporta, après disner, en ung sien pré estant près son hostel appellé les Chanières, pour tirer des chardons du foing qu’il avoit fauché en icellui pré avecques une fourche de bois, en laquelle chose faisant, environ vespres basses dudit jour, ung nommé Jehan Fauconnier, son voisin, se transporta vers ledit pré dudit Jehan Herveron père, aiant ung grant cousteau ou penart en sa [p. 140] saincture. Et quant il fut oudit pré, il dit audit Jehan Herveron : « Ton filz me voulut arseoir batre, maiz je le galloupperay bien. » Lequel Jehan Herveron lui fit responce tout en riant que s’il s’en pouvoit passer, qu’il lui feroit ung grand plaisir, cuidant que ledit Fauconnier ne se fit que bourder ou jouer avecques lui. Et à ceste cause lui demanda qu’il lui avoit fait. Auquel ledit Fauconnier dit que ses enfans avoient batu les siens ; lequel Jehan Herveron lui dit que non avoient. Et toutesfoiz ledit Fauconnier, sans autre chose dire, se reculla arrière dudit Jehan Herveron de six pas ou environ, faignant s’en aller vers la maison d’icellui Jehan Herveron, et incontinent se retourna vers ledit Jehan Herveron, et en ce faisant tira son dit cousteau en braquemart hors de la gueyne et lui dit : « Ha ! paysans, je vous galleray bien à ceste heure. » Et ainsi qu’il s’approchoit de lui pour l’oultraiger, comme il estoit vraissemblable, Mathurine Brejonne, femme dudit George suppliant, qui estoit ou villaige de Ferrières, prez dudit pré, courut tant qu’elle peut au devant dudit Fauconnier en s’escryant et lui disant qu’il ne battist pas le sire, qui estoit ledit Jehan Herveron. Maiz toutesfoiz ledit Fauconnier s’efforça par plusieurs foiz le frapper et estocquer dudit penart ou cousteau dont il l’eust blessé et navré, se n’eust esté ladicte Berjonne qui se mist au devant pour l’empescher en sa fureur et malice. Et à celle heure ledit George Herveron, suppliant, qui estoit en l’ostel dudit Jehan Herveron, son père, joignant dudit pré, oy sur ce le cry de sadicte femme, par quoy incontinent s’en alla courant oudit pré, sans avoir aucun baston ; et quant il y fut arrivé, il trouva ledit Fauconnier ayant ledit penart tout nu en sa main, qui s’efforçoit frapper sondit père. Et qui plus est, quant il vit ledit George suppliant, il s’adressa par plusieurs foys contre lui pour l’oultraiger ; lequel George suppliant, qui ne demandoit point de noise, lui dit par plusieurs foys en soy recullant : [p. 141] « Ne me frappe pas, car je n’ay de quoy me deffendre » ; de laquelle chose faire il ne voulu cesser. Et ce voyant ledit Georges et la fureur dudit Fauconnier qui le vouloit tousjours ainsi oultrager et estoucquer dudit penart, en soy reculant et pour deffendre et garder son corps, s’approucha de sondit père, auquel il osta ladicte fourche de boys qu’il avoit, et après en soy deffendent dudit Fauconnier d’icelle fourche, se reculla de lui et se deppertirent et esloignerent de la longueur de deux lances ou environ. Et neantmoins ledit Fauconnier, sans plus mot dire, s’en courut contre ledit Georges suppliant, le cuydant tousjours estocquer dudit penart, ce qu’il eust fait ; maiz sadicte femme se mist entre deux pour en ce l’empescher et tellement que, ainsi que ladicte femme estoit au devant, ledit Fauconnier estoucqua dudit penart ledit George suppliant par plusieurs foiz, en s’efforçant l’endommaiger et blesser, dont ledit Georges suppliant fut et se trouva en grand doubte et dangier de sa personne. Pour laquelle conserver de peril et de mort, et voyant qu’il n’y avoit remède que de soy deffrendre, frappa du doz de ladicte fourche de boys en cest conflict et debat ledit Fauconnier sur la teste, dont il tumbà à terre. Et à cest debat et cry survint ledit Jehan Brejon suppliant, gendre dudit Jehan Herveron, qui gardoit les beufz assez près d’illec. Lequel, voyant que ledit Fauconnier avoit encore ledit penart en sa main, pour les oultraiger, et qu’il se relevoit, frappa d’un baston de boys qu’il avoit sur la teste dudit Fauconnier, et le retumba dudit coupt et autres qu’il luy bailla sur les jambes et aillieurs. Et tumba en ce faisant audit Fauconnier sondit cousteau à terre ; lequel ledit George suppliant amassa. Et incontinent après illec arrivèrent Jehan de Laffa et Jehanne Herveronne, sa femme, la femme dudit Fauconnier et autres qui emportèrent ledit Fauconnier en son hostel ; et la nuyt ensuyvant, pour occasion desdiz coups, par faulte de bon gouvernement et [p. 142] autrement, alla ledit Faulconnier de vie à trespassement. Et est depuis sa femme convollée à secondes nopces. Et combien que ledit Fauconnier ait esté agresseur et non lesdiz supplians, que ledit cas ait esté commis et perpétré en deffendant et ledit Herveron, leur père, et que ledit Fauconnier ledit jour se fut venté que il batroit ledit Herveron ou de ses enfans avant qu’il dormist, et que par ce soit en coulpe, et non lesdiz supplians ne leurdit père, veu et considéré qu’ilz ne pouvoient evader la fureur dudit Fauconnier, embastonné dudit penart, et que lesdiz supplians n’avoient que simples bastons de boys et par ce soient excusables, toutesvoyes lesdiz supplians, doubtans rigueur de justice, se sont absentez du pays et contre eulx ont esté faiz plusieurs adjournemens personnelz par la justice de Genezay2 en la chastellenie et juridicion duquel ilz sont demourans et manans et subgetz, et contre eulx ont esté donné plusieurs deffaulx ; par quoy, n’y oseroient jamaiz converser ne repairer, se noz grace et misericorde ne leur estoient sur ce imparties, si comme ils dient, en nous humblement requerant, que, attendu ce que dit est, il nous plaise sur ce impartir ausdiz supplians nosdictes grace et misericorde. Pour quoy nous, ces choses considérées, voulans misericorde, etc. Si donnons en mandement, par ces mesmes presentes, au seneschal de [p. 143] Poictou et à tous noz autres justiciers, etc. Donné à Tours ou moys de décembre l’an de grace mil quatre cens soixante seize et de nostre règne le seziesme.

Ainsi signé : Par le conseil. Henon. — Visa. Contentor. J. Duban.


1 On connaît le curé de Gizay à cette époque. Il se nommait Jean Vincent, et le chapitre de Notre-Dame-la-Grande de Poitiers lui fit cession, en 1480, de la dîme des Herbert moyennant une redevance annuelle de huit setiers de froment, qu’il se refusa plus tard à payer, parce que les religieuses de la Trinité prétendaient aux deux tiers de cette dîme. (Arch. de la Vienne, G. 1227.) Dans un registre du Parlement, à la date de février 1484 n.s., se trouve un appointement entre Marguerite d’Amboise, veuve de Jean de Rochechouart-Mortemart, d’une part, et Jean Vincent, curé de Gizay. (Arch. nat., X1a 4825, fol. 118 v°).

2 La châtellenie de Gençay, dont faisait partie la paroisse de Gizay, avait alors pour seigneur Louis Ier de la Trémoille, comte de Benon et de Guines, dont les enfants étaient héritiers de la vicomté de Thouars, à cause de Marguerite d’Amboise, leur mère. Les seigneurs de l’Isle-Bouchard avaient possédé Gençay de temps immémorial, mais en avaient été dépouillés après le traité de Brétigny par les occupants anglais, et ensuite par le duc de Berry qui se l’était fait donner, sous prétexte qu’il l’avait reconquis. Catherine de l’Isle-Bouchard, au moment d’épouser Georges de la Trémoille, le célèbre ministre, en avait obtenu la restitution (1425). Plus tard, sur lettres données aux Montils-lès-Tours, le 10 mars 1467, n.s., Louis XI la confirma dans cette possession. (Arch. nat., X1a 8606, fol. 134.) Les ville, terre et châtellenie de Gençay passèrent ainsi au fils aîné de cette dame, Louis de la Trémoille, puis au troisième fils de celui-ci, Jacques, sr de Mauléon.