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MDLXXXIV

Lettres d’amortissement des rentes acquises par l’abbaye de Charroux des deniers qu’elle tenait du roi en reconnaissance du don qu’elle lui avait fait d’un fragment de la vraie Croix, présent de Charlemagne à ladite abbaye.

  • B AN JJ. 204, n° 23, fol. 15
  • a P. Guérin, Archives historiques du Poitou, 41, p. 124-129
D'après a.

Loys, par la grace de Dieu roy de France. Savoir faisons à tous, presens et avenir nous avoir receu l’umble supplicacion de noz chers et bien amez les religieux, abbé, couvent et officiers de l’abbaye de Charroz1 en [p. 125] Poictou, estant de fondacion royal, contenant que puis aucun temps ença nous leur avons donné, aumosné et fait bailler et delivrer certaine somme de deniers pour convertir et employer en l’achapt et acquisition de rentes et revenues au prouffit et augmentacion d’icelle abbaye, et ce pour recongnoissance et recompensacion de certaine grant partie du fust de la vraye et digne croix Nostre Seigneur Jhesu Crist, que feu de bonne memoire monseigneur saint Charlemaigne, nostre predecesseur roy de France, premier et principal fondateur de ladicte eglise et abbaye, avoit donnée et laissée à icelle abbaye, et laquelle, lui vivant, il portoit sur lui toutes et quantes foiz qu’il alloit en bataille contre les mescreans ou autres ses adversaires, pour la conservacion de sa personne, et par les vertu et merites de laquelle il fut en sondit vivant tousjours preservé et gardé de sesdiz ennemys et adversaires, et à l’encontre d’eulx fist plusieurs grans et belles [p. 126] conquestes et eust de grans victoires dignes de perpetuelle memoire ; laquelle vraye Croix nous avons à nostre devocion voulu avoir et la tenons continuellement près de nous pour la conservation de nostre personne. Lesquelz supplians, pour obeir à nostre bon vouloir et plaisir nous l’ont voulentiers et liberalement baillée et delivrée, et de ladicte somme que leur avons fait bailler et delivrer ont acquis et achepté certaines rentes et revenues assises en aucuns lieux près ledit lieu de Charroz et mesmement en la ville et chastellenie dudit Charrotz, de Jaques d’Armaignac, duc de Nemours et conte de la Marche2, certaines rentes et revenues qui se montent et peuvent valloir chacun an la somme de cent livres tournois [p. 127] ou environ. Et aussi ont acquis des deniers de ladicte abbaye aucunes autres rentes, revenues et heritages et ont encores entencion d’en acquerir d’autres ; maiz ilz doubtent que, si lesdictes rentes, revenues et heritages par eulx acquises ou qu’ilz pourront acquerir ne leur estoient par nous admorties, que on les voulsist ou temps avenir contraindre à les mettre et vuyder hors de leurs mains ; et pour ce nous ont fait supplier et requerir nostre grace et provision convenable leur estre sur ce faicte et impartie, très humblement requerant icelle. Pourquoy nous, les choses dessusdictes considerées, qui sommes protecteur, garde et deffenseur de ladicte eglise et abbaye, qui, comme dit est, est de fondacion royal et fondée par ledit saint Charlemaigne, nostre predecesseur roy de France, desirans par ce le bien augmentacion et acroissement d’icelle, afin que le divin service soit de mieulx en mieulx continué en ladicte eglise et que lesdiz religieux, abbé, couvent et officiers aient mieulx de quoy vivre honnestement ou temps advenir et pour certaines autres grans, justes et raisonnables causes et consideracions à ce nous mouvans, et mesmement pour la grant, singuliere et entière devocion que nous avons tousjours eue et avons à la saincte et digne Circoncision et au saint veu et aux autres beaulx et dignes reliquières qui sont en ladicte eglise, ausdiz supplians avons octroyé et octroyons de grace especial, plaine puissance et auctorité royal, voulons et nous plaist, par ces presentes, qu’ilz puissent et leur loise tenir et posséder lesdiz heritages, cens, rentes et revenues par eulx acquis dudit Jacques d’Armagnac, assis audit lieu de Charroz et es environs jusques à la valleur et estimacion de cent livres tournois par an, et oultre et par dessus iceulx d’autres heritages, rentes et revenues, tant de ceulx qu’ilz ont jà acquis par cy devant que d’autres qu’ilz pourront acquerir ou temps avenir, quelque part qu’ilz soient situez et assis en nostre royaume, à la valeur [p. 128] et estimacion de troys cents livres tournois, qui sont ensemble iiiic livres tournois de rente par chacun an oultre et par dessus les autres heritages, cens, rentes et revenues qu’ils tenoient et possédoient par cy devant, et lesquelz leur avoient esté admortiz par noz predecesseurs et nous, et lesquelz heritages, cens, rentes et revenues quelz conques ainsi par eulx acquis ou qu’ilz pourront acquerir jusques à ladicte valleur de iiiic livres tournois par an, nous leur avons dès à present comme alors admorties et admortissons, à Dieu et à nostre dicte eglise et abbaye dediées et dedions par cesdictes presentes, sans ce que eulx ne leurs successeurs soient ne puissent estre contrains, ores ne pour le temps avenir, à les mettre ne vuider hors de leurs mains, soubz couleur des ordonnances royaulx faites sur le fait des francs fiefz et nouveaulx acquestz ne autrement, pour quelque cause ou occasion que ce soit ou puisse estre, ne que ilz soient, ores ou pour le temps avenir, pour iceulx tenuz paier à nous ne à noz successeurs roys de France aucune finance ou indempnité, et laquelle finance, à quelque somme qu’elle soit ou puisse monter, nous leur avons, en faveur et consideracion que dessus, donnée, quictée et aumosnée, donnons, quictons et aumosnons par ces presentes signées de nostre main. Si donnons en mandement, par ces mesmes presentes, à noz amez et feaulx les gens de noz comptes et tresoriers, aux seneschaux de Poictou, Xaintonge, Limosin, gouverneur de la Rochelle et à tous noz autres justiciers et officiers, ou à leurs lieuxtenans ou commis, presens et advenir, et à chacun d’eulx, si comme à lui appartendra que de noz presens grace, voulenté, admortissement, don, quictance et choses dessusdictes et chacune d’icelles ilz facent, seuffrent et laissent lesdiz supplians et leurs successeurs oudit couvent joir et user perpetuellement, plainement et paisiblement, sans leur faire, mettre ou donner, ne souffrir estre fait mis ou [p. 129] donné, ores ne pour le temps avenir, aucun arrest, destourbier ou empeschement, ainçoys, se fait, mis ou donné leur estoit, le mettent ou facent mettre à plaine delivrance et au premier estat et deu, incontinent et sans delay. Car ainsi nous plaist il estre fait, non obstant quelzconques ordonnances, restrincions, mandemens ou deffenses à ce contraires. Et affin que ce soit chose ferme et estable à tousjours maiz, nous avons fait mettre nostre seel à cesdictes presentes. Sauf en autres choses nostre droit et l’autruy en toutes. Donné au Pleissis du Parc lez Tours, ou moys de decembre, l’an de grace mil cccc. soixante et seize, et de nostre règne le xvime.

Ainsi signé dessoubz le reply desdictes lettres : loys, et dessus ledit reply : Par le roy. M. Picot. — Visa. Contentor. Rolant.


1 L’abbé de Charroux était alors Louis Fresneau, neveu et successeur de Jean Chaperon, avant le 12 mars 1474, n.s., qui était en même temps prieur commendataire de Montilliers en Anjou, et décéda le mercredi des cendres 21 février 1504. (D. P. de Monsabert, Chartes et documents pour servir à l’hist. de l’abbaye de Charroux, t. XXXIX des Arch. hist. du Poitou. Introduction, p. xliii.) Nos lettres d’amortissement de décembre 1476 ne se trouvent pas dans cet important recueil. A la date du 13 janvier 1480, n.s., il contient le procès-verbal de la remise entre les mains des religieux de Charroux de six lampes d’argent, destinées à être suspendues et entretenues à perpétuité devant le Saint-Vœu, données par Louis XI à l’abbaye, par l’intermédiaire des maire et échevins de Poitiers. (Lettres du roi à ceux-ci, datée du Plessis-du-Parc, le 7 janvier précédent, publiée : 1° par Thibaudeau, Hist. du Poitou, t. I, p. 251 ; 2° dans les Mémoires de la Société des Antiquaires de l’Ouest, t. I, 1836, p. 258 ; 3° par B. Ledain, Arch. hist. du Poitou, t. I, p. 185 ; 4° par J. Vaësen, Lettres de Louis XI, t. VIII, p. 106.) Nous pouvons ajouter que l’on conservait dans les layettes du Trésor des chartes deux actes scellés, l’un de quatre sceaux, l’autre de deux, émanant de l’abbé et du couvent de Charroux ; par le premier ils reconnaissaient avoir reçu les six lampes en question, « lesquelles sont du poix de six cens vingt six marcs quatre onces d’argent » et s’engageaient à ne jamais les aliéner ; par le second, ils déclaraient avoir déposé dans leur trésor les lettres de don du roi, aux conditions duquel ils promettaient de se conformer. La place des deux actes, aujourd’hui en déficit, serait le carton J. 389, nos 12 et 13 ; on ne les connaît que par la mention de l’inventaire de Dupuy.

Nous citerons, à cause de leur intérêt spécial, deux procès criminels soutenus, en même temps, par Louis Fresneau, abbé de Charroux. Dans le premier, il accusait Jean Bonnin, dit Messignac, et Jean Laurent, tous deux écuyers, hommes d’armes de l’ordonnance, de la compagnie de Louis de Beaumont, sr de la Forêt, puis de celle du maréchal de Loheac, d’avoir pris par surprise le château de Mauprevoir, appartenant à l’abbaye, de l’avoir mis à sac et d’avoir frappé et grièvement blessé le capitaine, et de plus d’avoir maltraité, battu et pillé les pauvres habitants du village. C’était en 1473, disaient les inculpés, lors d’une expédition dans le comté d’Armagnac, à laquelle ils devaient prendre part avec le sr de la Forêt ; leurs gens ayant été logés à Mauprevoir avaient été victimes des mauvais traitements de ceux du château, qui avaient voulu les faire déguerpir de force et les avaient assaillis au cri de : « Vive la Marche ! Sus à ces traîtres qui vont sur les Armignais ! » C’était en se défendant et par représaille qu’ils avaient commis les excès qu’on leur reprochait, en les exagérant. Bonnin et Laurent prétendaient, d’ailleurs, qu’ils n’étaient pas présents à ces violences. Ajournés, après information, devant le sénéchal de Poitou, ils avaient fait défaut et relevé appel au Parlement. (Actes du 28 avril 1478, du 1er décembre 1478, plaidoiries du 12 mai 1480 ; Arch. nat., X2a 42, 43 et 44, aux dates.) Dans le second procès, Louis Fresneau poursuivait, en matière d’ « excès et attentats », Pierre de Montfriant, châtelain de Charroux, Jean de Lavau, assesseur du sénéchal de la Marche, et plusieurs autres officiers de Pierre de Beaujeu, comte de la Marche, qui avaient enfreint les privilèges et droits de l’abbaye, battu ses sujets, pris leurs biens, etc. (Plaidoiries des 6 et 9 août 1479 ; X2a 43.)

2 Jacques d’Armagnac, duc de Nemours, comte de la Marche, de Pardiac, etc. (Cf. notre volume précédent, p. 276.) A la date de ces lettres, il était détenu et son procès s’instruisait. On sait que déclaré coupable de lèse-majesté, il eut la tête tranchée aux Halles de Paris, le 4 août 1477. Tous ses domaines ayant été confisqués. Louis XI disposa du comté de Basse-Marche en faveur de son gendre Pierre de Bourbon, sire de Beaujeu.