[p. 154]

MDXCI

Rémission octroyée à Marsault Guyot, fils d’un maréchal de Châtain, pour un homicide involontaire. Contraint de prêter aide à Jean Jourdain, prieur de Roignac, qui voulait enlever une femme ayant suivi autrefois les gens d’armes et alors mariée à Bastien Charpentier, de Benest, il avait, dans la nuit, par mégarde, heurté de sa javeline Jean Charpentier, frère de celui-ci et lui avait fait une blessure à la gorge dont il était mort.

  • B AN JJ. 206, n° 1080, fol. 233 v°
  • a P. Guérin, Archives historiques du Poitou, 41, p. 154-157
D'après a.

Loys, par la grace de Dieu roy de France. Savoir faisons, etc., nous avoir receu l’umble supplicacion de Marsault Guyot, aagé de xxi ans ou environ, filz de Jourdain Guyot, mareschal, demourant à Chastaign, contenant que, le samedy avant la feste de Monsieur saint Jehan Baptiste derrenier passée, ledit suppliant audit Chastaign, Jehan Jourdain, prieur de Roignac, luy dist qu’il y avoit au lieu de Benais une femme mariée avecques Bastien Charpentier, qui avoit autresfoiz suyvy les gens d’armes, laquelle luy avoit promis de s’en aler avecques luy, en luy priant qu’il luy voulsist aider à prendre et enmener ladicte femme. Et pour ce que ledit suppliant se tenoit estre tenu audit prieur, pour ce qu’il avoit autresfoiz servy son frère, ne lui osa refuser, ains luy accorda que pour ce faire il se rendroit, le samedy ensuivant ou le lendemain, au lieu de Traslebost, à l’eure de vespres. Et pour ce que ledit suppliant ne se trouva pas à ladicte heure, ains s’estoit couché à l’ostel de son père, en entencion de n’y aler point, ledit prieur, à l’eure de dix heures de nuyt, vint appeller à la porte du père dudit suppliant par plusieurs foiz icelluy suppliant, et pour savoir que c’estoit, le père dudit suppliant [p. 155] se leva et issi hors et trouva ledit prieur, auquel il demanda qu’il vouloit. Lequel prieur luy dist qu’il demandoit ledit suppliant ; et pour ce que les père et mère d’icelluy suppliant dirent audit prieur que leurdit filz estoit couché et n’estoit pas heure, ledit prieur frapa ledit père d’une espée sur la teste jusqu’a grant effusion de sang. Et oyant ledit suppliant le bruit, se leva, et voyant que ledit prieur estoit fort mal meu, dobtant que plus grand inconvenient n’advint, se tira devers ledit prieur. Lequel prieur tout incontinent le print par le colet et le tira hors de la compaignie et luy parla d’aler prendre ladicte femme. A quoy ledit suppliant se excusa très fort, mais ledit prieur luy dit que s’il n’aloit avecques luy, il feroit raser la maison dudit suppliant. Pour dobte desquelles menasses et aussi pour obvier que ledit prieur qui est homme de mauvaix couraige ne procedast plus à batre sesdiz père et mère s’en ala avecques luy audit lieu de Traslebost. Auquel lieu ilz trouverent ung nommé Bilot, verrier, Morice, serviteur du seigneur de Benays1 et ung nommé Rateau, et eulx illec assemblez, se partirent et alerent audit lieu de [p. 156] Benays, embastonnez, c’est assavoir ledit prieur d’une espée, ledit Bilot d’une espée, ledit Morice d’une javeline, ledit Rateau d’une espée et d’une javeline, et ledit suppliant d’une espée et d’une javeline, que luy avoit baillé ledit prieur. Et eulx arrivez audit lieu de Benays environ mynuyt alèrent à la porte de la maison dudit (sic) Martin Charpentier qui estoit fermée ; laquelle ledit Morice ouvry et entra dedans en disant : « Qui est céans ? » et tous ensemble entrèrent dans ladicte maison et menèrent assez grant bruit. Auquel bruit ledit Martin et sa femme se levèrent et demandèrent que c’estoit. A quoy ledit prieur respondit qu’ilz demandoient ladicte femme dudit Bastien. Et lors ledit Martin leur dist qu’elle n’y estoit pas. En disant lesquelles parolles, icellui prieur secrètement dist audit suppliant qu’il alast devant la porte de ladicte maison pour garder que aucuns gens de guerre qui disoient estre accoinctés de ladicte femme ne empeschassent de l’enmener, et que ledit Morice s’en alast vers la rue dudit Benays. Lequel suppliant qui est jeune, simple et ignorant, se mist devant ladicte porte, où il se tint droit par aucun peu de temps, pendant lequel ayant le visage vers la rue et ne povoit riens veoir pour la nuyt qui estoit fort obscure, oyt bruit d’une personne qui venoit par derrière et luy dist soubdainement : « Qu’est-ce là ? Qu’est-ce là ? » Et lors ledit suppliant, qui ne s’estoit jamais trouvé en telz besoignes, pour la paour et frayeur qu’il eust, se retourna soubdainement et, en soy retournant, le fer de ladicte aveline qu’il tenoit toucha celluy qui estoit illecques survenu, duquel touchement il ne s’apperceut comme point, et si n’avoit point entencion de fraper personne. Et doubtant que ce fussent gens qui fussent illec survenus, s’en entra en ladicte maison et dist audit prieur et autres qu’ilz s’en alassent et qu’il avoit oy bruit de gens ; et atant s’en issirent hors de ladicte maison, et en eulx en alant, oyrent la femme de feu Jehan Charpentier, filz dudit Martin, qui crya à haulte voix [p. 157] que son mary estoit blecié et mort. Et lors ledit prieur et autres dirent audit suppliant qu’ilz se dobtoient qu’il eust blecié ledit feu Jehan Charpentier. Lequel respondit que non avoit, au moins qu’il sceust. Et depuis ledit suppliant a oy dire que ledit feu Jehan fut celuy qui vint à lui à ladicte porte et qu’il avoit ung petit pertuis à la gorge, dont saillit grant effusion de sang, et que, par faulte de gouvernement ou autrement, une heure après, il ala de vie à trespas. Pour occasion duquel cas, ledit suppliant s’est absenté, etc. ; requerant, etc. Pourquoy nous, etc., audit suppliant avons quicté, etc. les fait et cas dessus diz, avec toute peine, etc. Si donnons en mandement au seneschal de Poictou, etc. Donné à Paris, ou moys de mars, l’an de grace mil cccc. soixante seize, et de nostre regne le xvie.

Ainsi signé : Par le conseil, de Villechartre. — Visa. Contentor. Picart.


1 Il y avait, à Benest, un prieuré dont le prieur était peut-être seigneur du lieu. M. J.-M. Michon donne le texte d’une inscription gravée dans la nef de l’église de Benest, mentionnant des franchises octroyées aux habitants, l’an 1517, par le roi François Ier, en souvenir d’une défaite des Sarrasins en cette localité même, par Charlemagne. (Statistique monumentale de la Charente, Paris et Angoulême, in-fol. 1844, p. 64.) Les lettres de François Ier ne paraissent pas s’être conservées, mais on en connaît une confirmation donnée par Henri IV, à Chartres, au mois d’octobre 1593, qui font remonter ces franchises à Charlemagne lui-même et font supposer qu’elles furent à plusieurs reprises confirmées déjà par les prédécesseurs de François Ier. Elle est ainsi analysée dans un inventaire des enregistrements de la Cour des aides : « Lettres patentes de Henri IV portant confirmation aux habitans de Benay en Poitou de l’exemption de toutes tailles, aydes et subsides, suivant les lettres patentes à eux accordées par Charlemagne, en mémoire de la grande victoire qu’il remporta contre les Sarrazins, ayant fait bastir une belle église audit lieu de Benay et des tombeaux aux grands officiers de son armée tués en ladite bataille, pour lesquels lesdits habitans sont tenus tous les ans de faire celebrer à leurs frais un service solempnel, etc. » (Arch. nat., JJ. 666, à la date du 17 décembre 1593, qui est celle de l’enregistrement, et au 20 décembre 1602.)