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MDCXCII

Rémission obtenue par Jean Montigné, marchand de Poitiers, détenu dans les prisons de cette ville et appelant d’une sentence du sénéchal de Poitou le condamnant à être pendu pour avoir acheté et recélé un grand nombre d’objets volés dans des églises.

  • B AN JJ. 209, n° 151, fol. 84
  • a P. Guérin, Archives historiques du Poitou, 41, p. 452-456
D'après a.

Loys, etc. Savoir faisons à tous, presens et avenir, Nous avoir receue l’umble supplicacion de Jehan Montigné, povre marchant, demourant en nostre ville de Poictiers, chargé de femme et de plusieurs enfans, à present detenu prisonnier ès prisons de ladicte ville, contenant que ledit [p. 453] suppliant, qui par cy devant s’est bien et honnestement gouverné en son fait de marchandise, puis an et demi ença ou environ, se trouva en l’ostel d’un appellé Cinqsolz1 en ladicte ville de Poictiers, lequel faisoit lors taverne, et illec se mist à boire avec ung nommé Micheau Jousset, qui se disoit estre d’amprès Ensenis, et ung autre appellé Pierre qui se disoit estre de la ville d’Angiers, et en devisant et parlant les ungs aux autres les dessusd. Jousset et Pierre demanderent audit Jehan Montigné s’il avoit point quelques belles bagues pour donner à jeunes filles et il leur dist qu’il n’avoit que des aguilliers de soye, desquelz il leur en vendit trois la somme de cinq solz tournois. Et après, les dessusd. congnoissans ledit Jehan Montigné estre ung povre marchant desirant de gaigner, lui demanderent s’il vouloit point avoir d’eulx d’autres bagues, et il leur dits que oy ; et lors ilz s’en allerent ensemble à l’ostel de la Croix Blanche, où lesd. Jousset et Pierre estoient logez, et illec lui monstrerent certain argent brisé sur le bout d’une table avecques certaines reliques et touailles d’aulcier, lesquelz ledit Montigné achapta d’eulx la somme de cent dix solz tournois. Et ce fait, se departirent d’ensemble, et au partir les dessusd. demanderent audit Montigné s’ilz retournoient une autres foiz et ilz apportoient autre chose, s’il les despescheroit, et il leur dist que oy. Et certain temps après, les dessusd. Jousset et Pierre retournerent vers ledit Montigné en ladite ville de Poictiers et lui apporterent une charuble (sic) de satin violet et deux aulnes de satin noir qu’il achepta d’eulx ; et lui demanderent s’il les dechargeroit une autres foiz s’ilz retournoient vers lui, et il leur respondit que oy. Et longtemps après, les dessusd. revindrent en ladite [p. 454] ville de Poictiers et apporterent certaine quantité de cire ouvrée en cierges et chandelles, laquelle ilz firent poiser au pois de l’eschevinage de ladite ville, laquelle ledit de Montigné achapta d’eulx la somme de trente livres tournois. Et à une autres foiz, lesd. Jousset et Pierre retournerent vers ledit Montigné et lui apporterent une custode de cuyvre dorée, ung galice d’estain, une demie pateyne d’argent, ung petit crucifix et ung signetz de cuivre dorez, vallans la piece trois solz quatre deniers tourn. Et pour ce que ledit Montigné congneut que c’estoient choses d’eglise, leur dist qu’il n’en vouloit point et qu’il faisoit conscience de les achapter. A quoy lesd. Jousset et Pierre lui remonst[re]rent qu’il ne lui devoit chaloir que ce feust, puisqu’il y avoit à gangner : et moiennant leurs persuasions et la temptacion de l’ennemy qui sans cesser mect peine d’enorter chascune personne à mal faire, et ledit Montigné inclinant par le moyen de sa povreté et plusieurs pertes et fortunes qu’il a eues, à ce ce conscendit à les achepter, et leur en bailla certaine somme de deniers. Et puis lui firent promectre qu’il ne les encuseroit point. Depuis lesquelles choses, c’est assavoir six sepmaines a ou environ, ledit Montigné estant en la ville de Chastellerault, esperant venir jusques en la ville de Tours pour recouvrer certain argent qui lui estoit deu, en soy promenant par le marché de ladite ville pour cuider trouver et achapter aucunes toilles fines pour porter en icelle ville de Tours rencontra d’avanture lesd. Jousset et Pierre, lesquelz lui dirent qu’ilz avoient de la cire qui estoit à Saint George près ladite ville de Poictiers et que, s’il vouloit achapter icelle cire, qu’ilz luy en feroient bon marché, pour ce qu’ilz s’en voulloient aller au Lendit à Paris : ce qu’il leur accorda, et sur ce point le firent retourner jusques audit Saint George. Et quant ilz furent près l’eglise dudit lieu, lui dirent qu’ilz (sic) les actendist en ung blé en faisant pestre son cheval jusques à ce qu’ilz eussent esté querir ladite cire : [p. 455] ce qu’il fist, et les actendit jusques à la nuit et se mist à dormir, et, comme il dormoit, l’un d’entre eulx l’esveilla et lui apporta deux gros cierges. Et lors ledit Montigné leur dist que c’estoient cierges d’eglise, et il luy dist qu’il estoit vray, mais pour ce qu’il ne lui en devoit chaloir, et laissèrent illec lesd. deux cierges auprès de son cheval et allerent jusques près de ladite eglise, derriere une haye où les dessusd. lui apporterent certaine quantité de cire ouvrée en cierges et le tout vendirent [audit] Montigné certaine somme de deniers, sur laquelle ledit Montigné leur bailla la somme de seize livres tournois ; et après le chargerent sur le cheval dudit Montigné et lui dirent qu’il s’en allast à Poictiers la faire pezer, et quant ilz retourneroient il leur paieroit le surplus de ce qu’elle vauldroit. Et adonc ledit Montigné suppliant et lesd. Michau Jousset et Pierre se departirent les ungs des autres, et s’en alla ledit Montigné à Savigné l’Evesquau, ouquel lieu il fut trouvé saisy de ladite cire, et depuis mené prisonnier èsdites prisons de Poictiers, èsquelles il a esté oy et interrogué (sic) sur les choses dessusdites par le seneschal de Poictou ou son lieutenant : lequel, pour raison desd. cas et choses dessusdites, par sa sentence l’a condampné a estre pandu et estranglé : de laquelle sentence il s’est porté pour appellant à Nous et à nostre court de Parlement. En laquelle, s’il vouloit soustenir et poursuir sondit appel, il doubte que à cause desd. cas il fust en dangier de sa vie, qui seroit la totalle destruission de sa povre femme et mesnaige ; en Nous humblement requerant qu’il Nous plaise en l’onneur et reverance de la Passion Nostre Seigneur2 et de sa glorieuse mere, et en [p. 456] pitié de sadite femme et enfans, lesdites sentence et appellacion mectre au neant, et lui quicter, remectre et pardonner les cas et crimes dessusd. et sur ce lui impartir nostre grace et misericorde. Pour quoy Nous, etc., voulans, etc., audit suppliant avons quicté, remis et pardonné le fait et cas dessusdit, avecques toute peine, etc., en mectant au neant, etc. Et l’avons restitué, etc., satisfacion, etc. Et imposons, etc. Si donnons en mandement à nostre seneschal de Poictou ou à sondit lieutenant, et à tous, etc., que de noz presens, etc., etc. Et afin, etc. Sauf, etc. Donné au Plesseys du Parc lez Tours, ou mois de juillet, l’an de grace mil cccc. quatre vings et ung, et de nostre regne le vingt ungiesme.

Ainsi signé : Par le roy, l’evesque d’Alby3, le gouverneur du Daulphiné, le maire de Bourdeaux4, maistre Charles des Poutaulx5 et autres presens, G. Luillier. — Visa, Contentor. Texier.


1 Le 12 février 1444 n.s., un marchand de Poitiers, nommé Jean Cinqsols, obtint du maire et commun de la ville, des lettres d’exemption de rentes, péages, pavages, levages, travers et autres coutumes, conformément aux privilèges octroyés à la commune. (Original, signé P. Chenu, par mandement du maire, Arch. comm. de Poitiers, B. 4.)

2 Il semble d’après ce passage que Jean Montigné ait présenté sa supplique quatre mois plus tôt, dans l’espoir de bénéficier des grâces accordées à l’occasion du Vendredi Saint, qui en 1481 tomba le 20 avril ; l’expression « six semaines » employée ci-dessus pour désigner l’époque du dernier fait du récit, se réfère sans aucun doute à la date de la supplique. [L.C.]

3 Louis d’Amboise, évêque d’Albi, du 24 janvier 1474 au mois de mai 1497. (Cf. ci-dessus, p. 184, note.)

4 Jean de Blanchefort, chevalier, sr de Saint-Clément et de Sainte-Sevère, écuyer d’écurie puis chambellan de Louis XI, maire et gouverneur perpétuel de Bordeaux. (Ci-dessus, p. 276, note.)

5 Charles des Pouteaux, ou mieux des Potots, maître des requêtes de l’hôtel. (Ci-dessus, p. 389, note.)